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Quel chantier pour réussir nos ambitions touristiques ?
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Quel chantier pour réussir nos ambitions touristiques ?
À un peu plus de quatre mois de la fin de l’année, les paris sont ouverts sur l’objectif national de relever le défi d’accueillir un million de touristes en 2022. Les dernières statistiques sur les arrivées touristiques pour les premiers sept mois de l’année peuvent toutefois constituer une source de consolation pour les opérateurs et un début d’optimisme pour le gouvernement. Mais les réalités de cette industrie à l’échelle mondiale et régionale couplées aux problématiques des arrivées touristiques en interne peuvent objectivement renvoyer une autre image, celle qui est loin de cet objectif déclaré alors même que certains spécialistes se demandent si la messe n’a pas été dite.
Sur la base des statistiques disponibles, ils étaient 470 640 touristes à fouler le sol mauricien de janvier à juillet 2022, soit une moyenne mensuelle de 67 000, cela, avec un taux d’occupation des chambres de 66 %, alors qu’en juillet 2019, il était à 69 %. Ce qui fait dire à l’AHRIM qu’avec un meilleur mois d’août, un septembre plutôt calme et une forte reprise en octobre avec le démarrage de la période de haute saison, il y a lieu d’être optimiste avec le niveau de performance se rapprochant de celui de 2019. Mais la question n’est pas là : elle se situe au niveau des projections établies du ministère du Tourisme et de ses différents organes de marketing et sur lesquelles s’est basé le Trésor public pour fixer la barre de 1 million de touristes fin 2022.
Or, un simple calcul nous indique qu’il faudra au moins 530 000 touristes pour les cinq prochains mois de l’année pour atteindre l’objectif des arrivées touristiques cette année. Ce qui ramène à une moyenne de presque 105 000 touristes mensuellement. Est-ce qu’on a les moyens de cette ambition touristique ? Ou fautil donner raison au FMI qui, dans son dernier Article IV Consultation, s’est montré plus conservateur en prévoyant une estimation de 800 000 arrivées cette année ?
Et quid des 1,4 million qu’on avait projetés dans le dernier exercice budgétaire pour l’année fiscale s’achevant à juin 2023 ? Logiquement, il faudra nécessairement dépasser la barre de 1 million de touristes en 2022 pour envisager de telles arrivées en juin de l’année prochain. Le CEO de l’AHRIM, Jocelyn Kwock, soutient dans l’interview qui suit en page 10 que pour parvenir à cet objectif de 1,4 million, «il faut atteindre 650 000 arrivées le premier semestre, c’està-dire de janvier à juin, et 750 000 au deuxième semestre», qui sont, précise-t-il, des chiffres historiques de 2018 et 2019. Or, il insiste : «Sans un total de 1,1 million de touristes en 2022, il nous faudra faire une croix sur nos 1,4 million» sauf «si on fait proportionnellement mieux que la normale pour le premier semestre de 2023.»
Certes, réussir les ambitions touristiques passe forcément par d’autres conditions, dont une amélioration de la connectivité aérienne. Le CEO du groupe Lux Resorts et Chairman de l’AHRIM, Désiré Elliah, confiant à l’express récemment le besoin urgent de plus de sièges et de tarifs aériens plus compétitifs. La décision d’Airport Holdings Ltd de louer deux aéronefs pour étoffer la flotte d’Air Mauritius, après avoir vendu deux A-319 dans le sillage de l’administration de celle-ci en 2020, démarche incongrue et largement critiquée aujourd’hui, s’inscrit dans cette logique, accueillie positivement d’ailleurs par les opérateurs. Et qui par la voix de l’AHRIM estiment que les deux aéronefs combinés avec les vols supplémentaires annoncés par Emirates Airlines et Turkish Airlines, influeront positivement le nombre d’arrivées, sachant bien que la logistique actuelle d’Air Mauritius est loin de correspondre aux besoins de cette industrie avec une reprise touristique attendue du marché et les 1,4 million de touristes susceptibles d’être transportés à court et moyen termes.
L’exemple des Maldives
Mais il y a mieux. Kevin Teeroovendagum, expert financier et directeur, siégeant au sein des conseils d’administration de certains groupes hôteliers, pousse la réflexion plus loin pour inviter les autorités à mieux comprendre pourquoi les Maldives opèrent désormais à près de 100 % des niveaux d’occupation de 2019, engrangeant des revenus beaucoup plus élevés par touriste. «Comment se fait-il que l’Inde soit devenu le premier marché touristique des Maldives et la Russie le troisième malgré la crise ukrainienne ?» s’interroge-t-il. Et d’ajouter qu’il n’y a pas de solutions magiques.
Comment se fait-il que l’Inde soit devenu le premier marché touristique des maldives et la russie le troisième malgré la crise Ukrainienne ?»
Le succès de l’industrie touristique maldivienne repose sur l’ouverture complète de l’accès aérien et sur sa capacité d’attirer les clients des marchés émetteurs sur une base stratégique. «De la même manière que l’Inde étant le principal marché émetteur compte tenu de sa proximité avec les Maldives, nous aurions pu faire de l’Afrique du Sud notre deuxième marché émetteur compte tenu de sa proximité. D’autant plus que depuis deux ans, les Sud-Africains n’ont pas pu voyager et que les voyages long-courriers des Sud-Africains vers l’Europe ou l’Asie sont devenus trop chers avec la hausse du coût des tarifs aériens et la faiblesse du rand», analyse Kevin Teeroovengadum.
Il ajoute qu’avec la crise énergétique en cours, entraînant des coupures d’électricité de six heures par jour en Afrique du Sud, nous aurions pu attirer un autre type de clientèle qui recherche un plan B pour des séjours prolongés afin de pouvoir concilier vacances et travail à distance. «Tant que nous serons dans l’état d’esprit de protéger Air Mauritius à tout prix et que nous aurons une half pregnant strategy en termes de politique d’accès aérien sans aucune mesure radicale et audacieuse au niveau de la stratégie globale pour identifier une nouvelle clientèle, nous continuerons à rater l’objectif fixé par le gouvernement. Ouvrir les frontières et attendre une vague de touristes n’est plus malheureusement une stratégie.»
Un constat acerbe mais qui a le mérite d’agiter les idées des membres de l’establishment de ce secteur conscient que la reprise post-Covid a changé le paysage de cette industrie avec de nouveaux défis. Le manque de bras affectant certaines opérations de ce secteur, suivant la crise sanitaire qui a vu le départ d’une frange importante des travailleurs manuels et le recours à la main-d’œuvre étrangère pour compenser ce vide est une réalité à laquelle les opérateurs seront appelés à faire face. Comme ils doivent composer avec des voyageurs d’un nouveau profil réclamant un accueil différent et que même l’hospitalité mauricienne légendaire, qu’on gargarise comme un atout dans ce secteur, ne sera pas suffisante.
Un vaste chantier pour une industrie qui doit se réinventer pour dépasser l’image carte postale de l’île et les slogans creux qui ne veulent plus rien dire…
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