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Dr Dharmesh Ramlugun: «Pouvons-nous avoir une totale confiance en ceux revenant de leurs études sans même avoir exercé ?»
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Dr Dharmesh Ramlugun: «Pouvons-nous avoir une totale confiance en ceux revenant de leurs études sans même avoir exercé ?»
Il a passé 18 ans en France, où il a fait ses études en médecine, et a exercé comme chirurgien cardiaque adulte et pédiatrique au CHU de Strasbourg. Aujourd’hui, le Dr Dharmesh Ramlugun veut mettre ses compétences au service de son pays.
Pouvez-vous dresser votre parcours scolaire et professionnel ?
J’ai fait mes études secondaires au Collège Royal de Curepipe (RCC) que j’ai terminées en 2004. Je mets ensuite le cap sur la France, à l’université de Strasbourg, pour mes études en médecine. Après des passages de concours, j’entame ma spécialisation en chirurgie cardiaque au CHU de Strasbourg dans un service d’excellence qui comporte toute la panoplie de cette spécialité : chirurgie cardiaque adulte, chirurgie cardiaque congénitale et pédiatrique, assistance et transplantation cardiaque. En parallèle, je complète également un Master 2 en Sciences chirurgicales après avoir été lauréat d’année de recherches à l’université de Strasbourg. Après mon internat de spécialisation, j’ai réalisé un clinicat complet (comme Chef de Clinique des Universités et Assistant Hospitalier) dans ce service qui reste toujours dans le Top 5 de cette spécialité en France.
Vous qui exercez en tant que chirurgien cardiaque à Strasbourg, comment avez-vous été invité pour participer à un congrès organisé dans le cadre du 10e anniversaire de la Cardiovascular Society Mauritius ?
De passage à Maurice en mai 2022, j’en ai simplement profité pour venir déposer mon dossier au Medical Council comme l’exige le protocole administratif pour tout médecin souhaitant venir exercer dans le pays. J’étais agréablement surpris d’avoir le président de la société au téléphone m’informant de la tenue d’un congrès les 13 et 14 août et on m’a invité à y participer. Ensuite j’ai eu l’occasion de participer à une causerie à l’Université de Maurice sur l’utilisation des techniques d’assistance cardio-circulatoire dans la gestion de l’insuffisance cardiaque. Je suis également intervenu à la société pédiatrique pour parler des bases des cardiopathies congénitales.
Vous êtes intéressé à venir exercer dans votre pays natal après avoir passé 18 ans en France. Pourquoi ?
Bien sûr, je veux maintenant servir le pays. Mon souhait, c’est d’apporter le progrès médical au pays et mettre mes compétences au service des Mauriciens afin que notre île rayonne en matière cardiovasculaire. Je suis chirurgien cardiaque adulte et pédiatrique et comme souvent des enfants doivent être envoyés à l’étranger pour être soignés, et on sait que cela coûte très cher, donc si tout se passe bien au niveau administratif, je suis certain que je pourrai apporter un soulagement non seulement à ces enfants malades, mais également à leurs parents.
Des chirurgiens étrangers viennent de temps en temps opérer des enfants à Maurice. Pensez-vous que cela doit se faire sur une période plus fréquente chez nous ?
Pour le moment peut-être, mais au long cours je pense qu’il faudra changer de vision pour être en phase avec la réalité. J’ai eu l’occasion de discuter avec certains intervenants internationaux du passé. Comme partout où se font les missions, il y a une liste d’un certain nombre d’enfants qui est envoyée à ces chirurgiens attendus dans le pays. C’est quand ils sont à Maurice, qu’ils ont une meilleure idée de chaque cas. Et ils feront également un constat des équipements/matériels disponibles avant de se lancer dans une chirurgie. Aucun chirurgien du monde ne prendra le risque d’opérer un enfant s’il estime qu’il n’y a pas le matériel suffisamment adapté. Donc si un chirurgien spécialisé dans la pédiatrie est sur place, c’est sûr que plus d’enfants peuvent être opérés car il y aura une activité régulière locale.
Je prends mon cas. Ayant travaillé à Strasbourg pendant des années et ayant des liens solides en France, je serai bien placé pour faire appel à l’expertise de certains confrères pour des cas où j’estimerai qu’il faut être deux chirurgiens formés pour assurer le bon déroulement des procédures, et ils seront bien briefés sur chaque cas avant qu’ils ne viennent chez nous.
Quel constat faites-vous au niveau du traitement des patients cardiaques chez nous ?
Il y a trente ans, nous avons débuté avec la chirurgie valvulaire et des pontages, ce qui était très bien à l’époque. Après discussion avec certains professionnels de la santé, mon constat est qu’il y a beaucoup d’améliorations à faire si on veut arriver à un niveau où j’imagine mon pays. Le plus simple c’est d’effectuer des pontages coronariens. On le fait partout à travers le monde et croyez-moi, là également on peut améliorer les pratiques.
Pourquoi selon vous ? Manque de personnel qualifié ou indisponibilité des équipements ?
Les deux. Nous avons les équipements de base à Maurice. Si nous voulons évoluer vers la chirurgie de pointe, il nous faut trouver des équipements/matériels plus sophistiqués. Et là-dessus, je pense qu’il n’y pas de problèmes. Mais encore faut-il que nous ayons un personnel qualifié. Il y a un manque aigu de personnel qualifié à Maurice. En chirurgie cardiaque, cela demande au moins une quinzaine d’années d’études. Soyons honnêtes et réalistes envers notre peuple car personne n’est à l’abri. Dans un domaine pareil, pouvons-nous avoir une totale confiance en ceux qui reviennent rapidement après leurs études sans même avoir réellement exercé ? Je connais des situations qui m’inquiètent.
Donc selon vous, après 30 ans, nous n’avons pas fait assez de progrès ?
Effectivement. Les cas les plus compliqués ne sont pas forcément opérés à Maurice. Certains Mauriciens les plus fortunés ne veulent pas être opérés dans les hôpitaux. Soit ils partent à l’étranger soit ils préfèrent subir des interventions dans des cliniques. Et là, ils peuvent choisir leurs chirurgiens.
Quelle est votre opinion sur l’annonce d’un Medical hub à Côte-d’Or ?
Autant que j’aie appris, pour qu’un tel centre soit vraiment opérationnel, il faut compter au moins trois ans. J’ai appris que ce sera un centre aux normes internationales, que j’apprécie et j’ai hâte de découvrir.
Mais il faut faire attention. Mettre le même repas dans un nouveau plat, c’est garder le repas d’avant. Alors là je dirai qu’il faut être ultra vigilant. Si on ne fait pas appel aux compétences et on pense diriger ce centre de la façon dont on gère des centres hospitaliers, alors je crains qu’on n’utilise pas la structure de façon optimale freinant notre avancée médicale. J’estime qu’il faut qu’il y ait plusieurs unités. Et chaque unité soit gérée par une personne hautement qualifiée. On dit souvent que l’exemple doit venir d’en haut, c’est une occasion en «Côte-d’Or» de l’appliquer non ?
Par exemple, une unité d’anesthésie doit avoir un responsable. Cela devrait être le même pour le département de cardiologie et celui de la chirurgie cardiaque et ainsi de suite. Il faut un nouveau schéma pour que la population puisse profiter au maximum des facilités d’un tel centre.
Vous insistez pour qu’il y ait des responsables qualifiés et compétents pour chaque unité. Donc vous n’êtes pas d’accord pour qu’il y ait un directeur pour tout contrôler ?
Ecoutez, je ne veux pas polémiquer, mais ceux qui me connaissent savent de quoi je parle et pourquoi : mon focus est sur les patients d’abord. Par contre, dans l’administration pure d’une telle structure, il nous faudra des personnes qui comprennent un minimum de médecine/chirurgie et ouvertes d’esprit. Les conflits sont à proscrire car cela freine le progrès et démotive tout le personnel.
On parle de plus en plus de rajeunissement des patients cardiaques à Maurice. Pourquoi cette tendance selon vous ?
Effectivement. Certes, je n’ai pas les chiffres, mais tous ceux que je rencontre avancent cela. Selon moi, c’est la conscientisation qui a été une faillite. Pendant trente ans, on mène des campagnes mais cela n’a pas donné les résultats escomptés. Nous devons nous poser la question de savoir si notre stratégie de ces 30 dernières années a bien marché. Pour moi, la sensibilisation aux maladies cardio-vasculaires doit débuter dans les écoles primaires. Il faut expliquer aux enfants un minimum d’anatomie, comment une artère peut se boucher et comment s’alimenter sainement. Et je suis sûr qu’avec cette éducation précoce, quand un parent achète quelque chose pour son enfant dans un supermarché, l’enfant le découragera. Il lui dira que ce n’est pas bon pour la santé. Tout comme il dira à son père ou à sa mère que la cigarette n’est pas bonne pour la santé.
Selon les statistiques, la liste d’attente pour une chirurgie cardiaque s’allonge depuis ces derniers temps. Pensez-vous que le manque de personnel en est la cause ?
Si c’est le cas, il faut poser la question aux personnes responsables. Tout ce que je peux vous dire, selon nos habitudes en France (et d’ailleurs globalement dans le monde) c’est qu’un patient en chirurgie cardiaque réglée peut attendre, en moyenne, jusqu’à un délai de deux mois avant d’être opéré. Et encore, cela dépend de sa maladie sous-jacente. Nous ici, on ‘screen’ au cas par cas afin que chaque malade puisse avoir accès à ces soins en temps et lieu en toute sécurité. Au-delà de cette période, il y a un plus grand risque pour lui.
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