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Magistrature: des avocats jugent que le système est dépassé

2 septembre 2022, 18:17

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Magistrature: des avocats jugent que le système est dépassé

La  question revient de plus en plus souvent sur le tapis. Le système judiciaire nécessite-t-il une réforme ? Oui, répondent plusieurs avocats et hommes politiques. Le gros problème, qui ne date pas d’hier, est la manière dont les magistrats sont nommés.

Selon la Court’s Act, une personne est éligible au poste de magistrat si elle a deux ans de pratique au barreau. Cette provision de la loi, estiment les légistes, est dépassée. D’ailleurs, le Bar Council a adressé une lettre aux Senior Counsels le mois dernier pour une consultation sur le mode de nomination dans le judiciaire. Le conseil préconise que la méritocratie soit prise en compte. Le mouvement de transferts entre le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) et l’Attorney General’s Office (AGO) a aussi été décrié

Me Steven Sauhoboa estime cependant que deux ans de barreau, c’est largement insuffisant. «Les avocats ne sont pas assez mûrs pour évaluer de manière indépendante les comportements en matière pénale», dit-il. D’autant plus que dans de tels cas, les faits évalués par le magistrat en question sont difficilement contestables. «Comment peut-on s’attendre à ce qu’un magistrat de 28 ans évalue les comportements ? Ils s’appuient fortement sur des procureurs de police. Le problème est que même la force policière n’est pas formée!» Le problème devient plus apparent lorsqu’ils sont face à des cas de violence domestique, ajoute l’homme de loi. Pour avoir une bonne appréciation de telles affaires, l’expérience et la maturité sont primordiales. «Si nous avons des personnes qui ne sont même pas capables de comprendre les bases, et là, je pense à ceux issus de la classe moyenne ou aisée, il ne comprendra pas le fond de telles affaires.»

Ce problème ne date pas d’hier. Dans une interview en 2020, Mᵉ Yahia Nazroo, Head of Dispute Resolution à la firme Appleby, tenait les mêmes propos. Il affirmait que deux années de pratique sont insuffisantes pour acquérir l’expérience nécessaire. De plus, les qualités requises dans les deux fonctions sont différentes. «L’expérience acquise en tant qu’avocat est essentielle mais apprendre l’art d’écrire des jugements demande une formation adéquate avant d’aspirer à la fonction de magistrat», affirmait alors l’homme de loi.

Le manque de formation pose des problèmes plus profonds. «La plupart des magistrats qui siègent ont travaillé soit au bureau du DPP soit à l’AGO. Certains sont donc ‘prosecution-minded’ et se laissent influencer par leurs anciens postes ou encore, par l’opinion publique. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle certains jugements sont renversés au niveau de la Cour suprême», avance un autre homme de loi. Selon lui, la raison principale est que pendant leur brève carrière d’avocat, ils n’ont pas eu le temps de traiter d’affaires au pénal ou au civil et de ce fait, ne peuvent motiver leur jugement et expliquer la raison de leur décision.

«Ce transfert peut mener à une ‘relation incestueuse’ entre la magistrature et ce bras de l’exécutif.»

École de formation

La solution, affirment les légistes, est simple. Il ne s’agit pas de réinventer la roue. D’ailleurs, sur les ondes de Radio One cette semaine, Mᵉ Hervé Duval, Senior Counsel, avait fait part des réformes qu’il souhaite voir. Tout d’abord, il a parlé d’indépendance financière du judiciaire. Puis, il a aussi évoqué une école de formation pour les magistrats. Cette idée est reprise par quasiment tous les avocats interrogés. D’ailleurs, Mᵉ Imtihaz Mamoojee avance que cette idée a été lancée depuis longtemps. «Cependant, joindre le geste à la parole, c’est autre chose...» Dans la foulée, il avance qu’un minimum de cinq ans d’expérience serait souhaitable avant d’accéder à la magistrature. L’absence de formation, renchérit un autre avocat, peut mettre les magistrats dans une position délicate. «Selon l’Institute of Judicial and Legal Studies Act, un magis- trat doit suivre une formation avant de siéger. Mais comme les cours n’ont jamais eu lieu, je dirai que ces magistrats opèrent dans l’illégalité.»

Autre point de discorde évoqué par les légistes : la «valse» du bureau du DPP, au bureau de l’Attroney General et à la magistrature. «Comment quelqu’un peut-il être avocat au bureau du DPP aujourd’hui et le lendemain être magistrat et vice versa. Où est l’indépendance du magistrat ? Être nommé juge ne peut pas simplement être une question de career path, c’est-à-dire, ‘c’est mon tour’. Cela doit être plutôt une question de compétence», poursuit l’avocat. D’ailleurs, selon Mᵉ Hervé Duval, ce transfert peut mener à une «relation incestueuse» entre la magistrature et ce bras de l’exécutif. Il préconise aussi l’ouverture de la magistrature aux avoués et une spécialisation des magistrats.