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Manisha Jooty: «Je suis une victime politique»

3 septembre 2022, 22:00

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Manisha Jooty: «Je suis une victime politique»

Manisha Jooty a été forcée de quitter son poste de journaliste à la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC), à la suite d’un incident qui l’a opposée au député Kenny Dhunoo. Dans l’interview qui suit, elle explique pourquoi elle a préféré partir au lieu de se battre, car elle pense que c’était une partie perdue d’avance. Elle se demande pourquoi les associations féminines et surtout les organisations socio-culturelles restent silencieuses, car selon elle, elle a été victime d’un politicien. Elle raconte aussi certains incidents qui se sont déroulés dans le passé.

C’est sans doute la belle vie, après avoir reçu votre compensation?
Vous me donnez l’occasion dès le début de cette interview d’apporter une importante précision. J’ai lu dans la presse que j’ai obtenu une somme de Rs 2,3 millions comme compensation. C’est faux. Je ne vous révélerai pas le chiffre, mais c’est une somme inférieure que celle mentionnée que j’ai obtenue. Et quand la Mauritius Revenue Authority (MRA) a perçu ses taxes et quand j’ai dû payer mon homme de loi, alors là, ce n’est pas un golden handshake que j’ai reçu. Et pour répondre à votre question, je vous annonce que je suis chômeuse. Cela fait plusieurs semaines que je cherche un boulot mais je n’en trouve pas. J’espère que je ne me retrouverai pas à demander de l’argent à mes parents avec lesquels je vis.

Mais pourquoi avoir accepté cette offre en argent, alors que vous auriez pu vous battre pour conserver votre emploi ?
J’ai beaucoup vu et entendu à la MBC. Je sais que depuis quelque temps, certains souhaitaient mon licenciement. J’ai entendu quelqu’une dire «bisin b… li deor».Et savez-vous que j’ai subi beaucoup de persécution depuis 2015? J’ai été suspendue, rétrogradée à mon poste de journaliste… Alors je savais que ce ne serait pas une partie facile pour moi d’autant plus que cela aurait pu prendre du temps. Donc, j’ai pensé qu’il valait mieux que je quitte la MBC. On a voulu faire remonter un ancien incident pour précipiter mon départ. Je vous raconte ce que j’avais dit sur l’actuel directeur général de la MBC, Anooj Ramsurrun. C’était, je crois, en 2016. J’étais membre du syndicat des employés de la MBC et il y avait une réunion entre la direction, notre syndicat de même que Narendranath Gopee, notre représentant syndical. A un certain moment j’ai élevé la voix et j’ai dis à Anooj Ramsurrun qu’il n’avait pas les qualifications pour être directeur général adjoint. Et récemment, on m’a fait croire que c’est sur cette base que j’allais être sanctionnée.

Pensez-vous qu’Anooj Ramsurrun est der rière votre licenciement ?
Non, pas du tout. Il m’a beaucoup aidée dans ces moments difficiles. Je sais qu’il a donné des conseils à travers mes amis pour que je parte avec une compensation. Peut-être qu’il savait que je n’allais pas avoir la partie facile avec le pouvoir. Vous savez, comme d’autres, il reçoit des instructions. Il n’est pas à blâmer.

Revenons sur cet incident qui a causé votre départ de la MBC. Qu’est-ce qui s’est réellement passé ?
C’était le 9 décembre de l’année dernière. Il y avait une cérémonie à Curepipe concernant des travaux de Metro Express. Comme à notre habitude, nous journalistes de la MBC, après la cérémonie, nous cherchons un résumé de ce qui s’est passé avec ceux qui l’organisent. Dans ce cas, il y avait les ministres Alan Ganoo et Steven Obeegadoo et Dass Mootanah. Après l’interview des deux ministres, c’était au tour de Dass Mootanah d’intervenir au micro. Au même moment, Kenny Dhunoo s’est approché de moi et il a souhaité intervenir également. Je lui ai donné la chance d’intervenir. Alors que je poursuivais avec l’interview de Dass Motanah, le député s’est approché de moi pour me demander si j’aurai besoin de sa carte de visite. Je lui ai répondu par la négative en lui disant que je le connais et si besoin est, je vérifierai son nom sur l’Internet. Il est revenu vers moi pour dire «mo enn malelevé» et répéte ces mots, alors qu’il regagnait sa voiture. Tous ceux qui sont intervenus sont passés à la télévision par la suite. Une semaine après, j’ai reçu une lettre m’informant qu’à la suite de ce que la MBC considérait comme un incident après que Kenny Dhunoo a envoyé un courriel à la station, je suis suspendue. Malgré mon objection à l’effet qu’on ne m’a pas donné l’occasion de m’expliquer, la MBC a maintenu la suspension. Et quelques jours après, j’ai appris qu’il y avait un comité disciplinaire qui avait été institué. Et on connaît la suite.

Donc c’est à cause d’un député que vous avez perdu votre travail ?
Voilà, je suis une victime politique. J’ai perdu mon travail, moi qui ai été à la MBC depuis 1998, avec une période d’interruption – car j’allais étudier à l’étranger – en raison d’une intervention politique. Et quelques mois après on a entendu les frasques de ce même député. Il a osé malmener un infirmier indien et ce qui me révolte, comme beaucoup de Mauriciens d’ailleurs, c’est qu’il reste intouchable. Pas même un mot d’explication de sa part. Il se cache derrière une enquête. On m’a suspendue avant même le début d’une enquête et lui il est encore honorable, bien que toute l’île Maurice ait vu son action.

Mais Manisha Jooty, on vous connaît comme une grande gueule. On nous a raconté qu’un jour vous aviez eu une prise de bec avec un Secrétaire Parlementaire Privé du Ptr. Vous souvenez-vous de cela ?
Franchement non. C’est récemment qu’un employé de la MBC m’a rappelé cela. Vous savez pourquoi je ne m’en souviens pas ? C’est que oui, j’ai une grande gueule et souvent je remets des personnes à leur place. Je ne suis redevable qu’envers mon employeur. Concernant cet incident dont vous faites mention, sans doute que cela s’est bien passé. Mais cet ancien honorable membre du Ptr ne m’a pas rapportée. L’incident, s’il y en avait un, était clos sur le champ. Sans doute il y a eu d’autres de ce genre, mais tout s’éteint sur place. Ce n’est pas comme cette personne «kinn met later dan mo boussé manzé». Aujourd’hui je cherche encore du travail. Où sont ces femmes qui organisent des conférences de presse pour défendre la cause féminine ? Ou encore ces associations socio-culturelles, surtout celles qui défendent la cause hindoue ? N’est-ce pas une femme hindoue qui a été victime d’un politicien dans ce cas ? Vous savez, je suis contre l’injustice. Vous étiez à côté de moi lors d’une conférence de presse tenue par Xavier Duval, Paul Bérenger et Roshi Bhadain. Quelques jours auparavant, Roshi Bhadain avait chassé un journaliste de la MBC avec des insultes. J’ai dit mes quatre vérités au leader du Reform Party. Je ne peux pas laisser un politicien faire comme bon lui semble.

Est-ce facile d’être journaliste de la MBC ?
Vous connaissez la situation. Mais pour vos lecteurs, je leur dis qu’il ne faut pas blâmer les journalistes de la MBC. Sauf quelques cas, ce sont des professionnels qui font leur travail correctement. Mais il y a l’ingérence politique et on doit travailler à partir des instructions reçues. Laissez-moi vous raconter un autre incident et vous allez sans doute mieux comprendre ma décision de quitter la MBC. L’année dernière, il y avait une fonction à la Hindu House à laquelle était présente Kobita Jugnauth. Arrivant sur place, j’ai reçu un appel de mon chef hiérarchique du News Desk me disant que je devais rester loin de l’épouse du Premier ministre. Lorsque j’ai demandé la raison, on m’a dit «fais ce qu’on te demande et tu auras les explications plus tard». Vous savez ce que j’ai reçu comme réponse ? «Ton visage ne passe pas devant ces personnes» ! Et pourtant ce jour-là j’ai fait un enregistrement de sa voix et tout s’est bien passé. Donc quelque part, j’ai compris qu’il y a beaucoup qui voulaient ma peau. Cela dit, je dois dire qu’il y a beaucoup de professionnels à la MBC. Je cite Ashok Beeharry, Ritvik Neerbun avec lesquels j’ai beaucoup appris. Dans le passé, j’ai beaucoup appris de Dan Callikan et de Trilock Dwarka et Ravin Joypaul. Ce sont de vrais professionnels. Tout comme il y avait Pamela Patten, Marie Michèle Etienne. Elles n’étaient pas journalistes, mais elles savaient faire leur travail sans aucune ingérence, même pas de la direction de la station.

L’ingérence politique à la MBC n’est un secret pour personne. Cela existait même sous l’ère du Ptr ?
Oui. Mais pas comme cela se déroule actuellement. Même quand sir Anerood Jugnauth était Premier ministre, cela ne se passait pas comme ça. Dev Bheekarry, qui était conseiller auprès de sir Anerood, ne s’ingérait pas comme certains le font actuellement. Je me souviens, il y avait un incident opposant un Deputy Prime Minister, à des employés de la MBC lors d’un reportage. Ils ont raconté l’incident à Dan Callikan, qui était alors le DG de la MBC. Celui-ci nous a demandé de ne plus couvrir des cérémonies où il y aurait la présence de ce Premier ministre adjoint, à moins qu’il présente des excuses. Il l’a fait. Regardez le JT. Jamais il n’a été aussi politisé. Je vous donne un exemple. Autrefois quand le ministre des Finances présentait son budget pendant une heure et demie, le lendemain, le leader de l’opposition avait au moins un quart d’heure pour lui donner la réplique. Les travaux parlementaires étaient couverts d’une autre manière. On favorisait toujours le gouvernement. Mais si on accordait 25 secondes à un membre du gouvernement, celui de l’opposition obtenait quand même 15 secondes. On montrait souvent l’ancien Premier ministre à la télévision sous l’ère du Ptr. Mais on montrerait rarement les mêmes images le lendemain et d’autres jours après.

Pensez-vous que la MBC changera un jour ?
Je le souhaite de tout mon cœur. Cela peut se faire. Ce qui se passe actuellement découle de la campagne électorale de 2014. La MBC était chassée des meetings de Lepep. Dan Callikan, sachant que je n’ai pas peur, m’envoyait souvent dans les meetings de l’opposition. Dans quelques cas, la foule devenait hostile envers nous, employés de la MBC. J’étais présente en compagnie de mon caméraman dans un meeting dans la circonscription de Vieux-Grand-Port/ Rose-Belle (N° 11). Il y avait Mahen Seeruttun, Prem Koonjoo et Sandhya Boygah. Nous avons placé nos équipements sur l’estrade. Ensuite arrive Pravind Jugnauth. Il nous a appelé et nous a demandé de partir en nous disant ceci : «Kan mo pou pran pouvwar zot pou koné ki pou ariv MBC.» Et ces menaces se sont traduites en action. Laissez-moi ajouter quelque chose. Je connaissais Pravind Jugnauth aussi bien que d’autres membres de son parti avant qu’ils ne viennent au pouvoir. Ils ont bien changé après. «Samem apel kan pouvwar mont dan latet !»