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Suicide d’un ouvrier indien: Larsen & Toubro, un bulldozer pour les employés

9 septembre 2022, 18:00

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Suicide d’un ouvrier indien: Larsen & Toubro, un bulldozer pour les employés

Pourquoi cet aide-maçon indien s’est-il suicidé ? Est-il resté sans soin après être tombé malade ? Souffrait-il trop ? En tout cas, cette affaire lève le voile sur les conditions difficiles pour ne pas dire inhumaines des travailleurs de cette entreprise.

Le jeune Indien de 24 ans souffrait psychiquement aussi bien que physiquement de son mal. Cependant, ses collègues se demandent comment le malheureux a eu cette maladie. «Le travail était trop dur», nous dit un de ses camarades. «Il est vrai qu’il n’était pas fort physiquement. Mais on l’a quand même mis sur les tâches difficiles.» Le décédé était aide-maçon. «C’est le plus dur», nous explique un vieil ouvrier. «Il faut porter des charges lourdes et faire tout ce qui est le plus fatigant.»

Un autre ouvrier du chantier de l’hôpital de Flacq se souvient de ce qui s’est passé juste avant le suicide. «Il a souffert le martyre pendant 15 jours. Les chefs de chantier ont dit qu’il faisait semblant…»

Ni soins publics ou privés ni billet

Il faut savoir que les travailleurs étrangers ont accès aux soins gratuits dans nos hôpitaux. Sauf quand il s’agit d’accidents de travail – on ne sait pas pourquoi –, on les dirige alors vers une clinique. C’est normalement l’employeur qui paie pour ces soins. Dans le cas de cet Indien, c’est Larsen & Toubro ou l’un des sous-traitants – car il y en a plusieurs – qui prennent en charge ces dépenses. Ont-ils tergiversé juste pour ne pas payer, en prétextant que le travailleur jouait la comédie ? Toujours est-il que même lorsqu’ils ont compris que c’était pour de vrai, ils ont cherché une autre excuse, selon le premier ouvrier que nous avons contacté : l’Indien malade n’est arrivé à Maurice que depuis trois ou quatre mois et il n’avait pas assez travaillé pour mériter le financement de ses soins. On ne sait qui a fait le calcul ; on ne sait pas ce que le plan d’assurance éventuel prévoit ; on ignore également s’il y a un médecin ou infirmier sur le site qui aurait conclu que l’Indien faisait semblant de souffrir (voir les explications de Larsen and Toubro ci-contre).

Quoi qu’il en soit, le travailleur ne pouvait plus attendre, nous dit un ouvrier indien, «tellement il souffrait». C’est ainsi que le malade a exprimé le vœu d’être rapatrié en Inde où, nous relate-ton, ses proches pourraient s’occuper de lui. Mais une autre désagréable, pour ne pas dire mortelle, surprise l’attendait. L’employeur ne voulait pas payer le billet d’avion car, aurait-il avancé, l’aide-maçon malade n’a travaillé que pendant trois ou quatre mois. Donc, selon la logique comptable implacable de la direction, payer le billet et les soins dans de telles circonstances ferait perdre de l’argent à l’employeur. Finalement, il a pu être acheté, on ne sait par qui.

Le pauvre travailleur a-t-il mis fin à ses jours car souffrant atrocement ? Ou pour une autre raison ? Personne ne peut le dire car le malheureux ne parlait pas beaucoup, surtout dans sa situation. Mais les apparences pointent vers son supplice. Cependant, un autre ouvrier nous dit qu’il était déjà malade en arrivant au pays. Et que son billet d’avion a été annulé le jour de son suicide. Ce qui aurait causé son désespoir.

Autopsie incomplète ?

Le mal dont souffrait le suicidé pourrait-il provenir d’un effort trop brusque ou intense ? avons-nous demandé à un spécialiste. «C’est possible, nous dit-il, même si la cause peut être autre, par exemple une inflammation.» Comment savoir ? «Il suffit que l’on fasse une échographie ou une ponction.» Mais le malade est décédé. «Dans ce cas, l’autopsie permettra de le savoir assez facilement.» Une autopsie a bien été effectuée mais il semble qu’elle ait conclu sur la cause du décès, à savoir un suicide. Quant au mal dont souffrait l’Indien, on ne sait pas si cela a intéressé l’officier médico-légal.

Un ouvrier interrogé nous fait état de mauvais traitements et de conditions inhumaines sur les chantiers. Après le drame, les travailleurs, d’ordinaire de caractère doux, ont pris leur courage à deux mains et ont exprimé leur mécontentement auprès de la direction. Qui, surprise par cette mobilisation, a promis sur-le-champ d’améliorer les conditions de travail avec notamment le recrutement de travailleurs supplémentaires.

Il faut savoir que sur le chantier de l’hôpital de Flacq, ils bossent actuellement au moins 10 heures par jour de lundi à samedi, plus deux heures supplémentaires par jour. Ils commencent donc à 8 heures pour finir à 20 heures ! Parfois, ils sont obligés de travailler les dimanches aussi. Sans doute pour permettre à l’employeur d’économiser sur les coûts ou pour permettre «un koupriban» programmé ? Le salaire d’un ouvrier manuel, qui s’élève à Rs 15 665 mensuellement plus environ Rs 10 000 pour les heures sup, est ponctionné d’environ Rs 5 000 pour payer la nourriture, «et même pour le déjeuner, pendant le travail», nous dit un ouvrier. S’il y a des heures sup, il faut payer pour dîner sur place. Un Mauricien qui côtoie ces travailleurs indiens est formel : «C’est l’esclavage sur les chantiers de Larsen & Toubro.» Le ministère du Travail nous parle de salaire de Rs 14 703 (voir ci-contre).

Les travailleurs ont aussi fait une promesse à la direction. Si les conditions ne s’améliorent pas d’ici décembre (généreux et compréhensifs, ces pauvres travailleurs !), ils vont tous rentrer en Inde «même si l’on doit économiser sur notre salaire maigrichon pour acheter nos billets.» Nous apprenons maintenant qu’une vingtaine d’entre eux veulent partir tout de suite, ne faisant pas confiance à la direction.

Et le ministère du Travail dans tout cela ? Une inspectrice chargée de faire des visites surprises sur le site aurait averti systématiquement la compagnie de sa venue. Elle se faisait même transporter par le véhicule de l’entreprise. Pour une surprise, c’en est une ! Le ministère du Travail justifie cette «habitude» par le besoin de prendre rendez-vous et le problème de déplacement sur le site en raison de routes impraticables sur les chantiers (réponse complète ci-contre).
 

 

Extension du métro et du contrat

<p>Nous avons appris durant notre enquête que le directeur de la compagnie indienne de construction conduit déjà une étude sur le futur parcours de la phase 4 du projet métro. Cela, alors que l&rsquo;appel d&rsquo;offres n&rsquo;a pas encore été lancé. Il aurait même rencontré le directeur d&rsquo;un établissement sucrier qui lui aurait permis de reconnaître les lieux où il faudra enlever la canne pour faire place aux rails. &laquo;Il n&rsquo;a pas le droit de faire cela&raquo;, s&rsquo;écrie un haut cadre du ministère du Transport. &laquo;Mais vous savez, il a ses entrées en haut lieu.&raquo; On nous parle aussi d&rsquo;un autre manager qui rentre souvent de l&rsquo;étranger avec plusieurs valises sans aucune difficulté. Mais que contiennent ces valoches ?</p>


Voici les promptes réponses du ministère du Travail à nos questions :-

Has your inspectorate dept (Ministry of Labour) reported any case of mistreatment in general of the Indian workers of Larsen and Toubro at the Flacq Hospital and other sites?
As at date, no such case of mistreatment has been reported to this Ministry.

What was the conclusion of your ministry on the suicide of the Indian worker, found hanged?
The matter relates to a case of suicide which is being enquired by the police.

Are you aware that this unfortunate worker suffered atrociously during 15 days without receiving any care?
No such case has been reported to this Ministry.

Are you aware that the contractor refused to finance his private treatment saying he has come to Mauritius only since 3 to 4 months?
No complaint has been received in this regard.

Are you aware that the contractor refused also to pay for his return ticket for the same reason?
No complaint has been received in this regard.

Are you aware that on the Rs 25,000 salaries of an ordinary worker, Rs 5,000 are claimed back by contractor for food and other expenses?
According to his contract of employment, the last basic salary payable to the employee was Rs 14,703 monthly.

Are you aware that after the suicide of this Indian worker and protests by the workers, the contractor has now promised to improve working conditions on the Flacq site?
The Occupational Safety and Health Division has carried out two visits at the construction site since construction started at the teaching hospital situated at Flacq. Last inspection was carried out on 31 March 2022. It is worth highlighting that after each visit carried out recommendations to improve safety and health standards have been issued to the employer. Subsequent visits carried out help to indicate the level of compliance by the employer.

Is it true that a sub-contractor has been hired by Larsen & Toubro? If yes, who is it?
The Ministry has been informed by Larsen & Toubro Limited that they have hired the services of subcontractors for this project. The Occupational safety and Health Division ensures that all employees on the construction site are provided with adequate safety and health standards.

Are you aware that the workers have threatened to return to India and through their own financing if the working conditions are not improved?
No such information has been communicated to this Ministry.

Are you aware that a certain D. working in the Ministry usually warn Larsen & Toubro’s management before visits by Labour Inspectors?
As it is the case for all employers, an appointment is usually taken prior to carrying out inspections so as to ensure that employer’s representative is present on site with records made available for verification.

Are you aware that the same D. is often ferried through Larsen & Toubro’s vehicle and chauffeur, notably when she has to visit the dormitories and work sites?
Larsen & Toubro sites are restricted for public access. Inspection visits on sites where roads are not practicable can only be carried out in company of management’s representative in their own means of transport.

La version de Larsen & Toubro

Why did the worker commit suicide?
We ignore the reason as at date. He did not show any suicidal signs.

Was he hurt or suffered this ailment because of the hard work?
This link can only be concluded by a medical practitioner over the patient’s history and activity.

Was he given adequate and prompt care?
L&T gives adequate care to all its workers through a company-wide standard of facilities and takes prompt actions over any medical case by referring them to the local hospitals.

Did the autopsy make mention of the ailment suffered by the worker?
Port-mortem reports concludes on the death cause generally not diseases of the deceased person.

When did his request to return to India made?
Less than one week prior to the incident.

Who is the sub-contractor of the Flacq Hospital construction?
There are several sub-contractors employed on the Flacq Teaching Hospital project for different scopes of work.

On another note now, is it true that Larsen & Toubro’s director has already started to visit and work on the new metro line from Réduit to Côte-d’Or?
The new metro line of Phase 4 details are not yet published. Working on the same is not possible without the exact coordinates of the line. Some of the people of our team may have visited the regions independently for their own personal knowledge of the places around. This does not mean that they are “working” on it as you have quoted.

Has he met with ENL’s officials concerning future track of the Metro?
(NdlR : Pas de réponse à cette question)