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Drogue: la police attrape beaucoup de petits poissons et peu de gros requins
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Drogue: la police attrape beaucoup de petits poissons et peu de gros requins
Des grosses saisies se font certes, par l’unité antidrogue depuis plusieurs mois. Or, on note que dans plusieurs cas, les enquêtes de la police, dont celles de l’ADSU, n’aboutissent pas à l’arrestation des gros trafiquants de drogue. Pourquoi ? Comment ?
Si Pravind Jugnauth se vante constamment des grosses saisies de drogues effectuées sous son gouvernement, il ne précise pas que les cerveaux derrière ces importations n’ont pas encore été identifiés et encore moins arrêtés dans la plupart des cas. De plus, certaines saisies ont été faites dans des conditions assez surprenantes. La première qui vient à l’esprit est une des plus grosses prises de toute l’histoire du pays, soit Rs 1,4 milliard de cocaïne retrouvée dans des sacs sous le capot d’une tractopelle. Les éléments connus font penser à une prise tout simplement fortuite. Pourquoi ? Ce sont des employés de la compagnie Scomat qui en vérifiant la tractopelle au garage sont tombés sur ces sacs. Et grâce à leur honnêteté les colis ont été remis à la police.
La tractopelle est donc passée par la douane comme une lettre à la poste. Il n’y a donc pas eu de surveillance, ni de ‘saisie’ pour ainsi dire ; c’est la drogue qui est venue vers la police et non le contraire. L’exercice de controlled delivery n’avait aussi rien donné. C’est la découverte et non la saisie de drogue qui a été rendue publique, sans doute en raison de l’implication de plusieurs témoins civils. Autre fait marquant : la tractopelle accompagnait la rame du métro, Mauricio, sur le même navire cargo. Comment est-ce arrivé ?
Selon un agent de l’Anti Drug & Smuggling Unit (ADSU), la personne qui était chargée de cacher les sacs de cocaïne au port d’embarquement de la drogue se serait trompée de véhicule. Quant à la saisie de 119 kg d’héroïne d’une valeur marchande de Rs 1,8 milliard dans des bonbonnes de gaz, ce sont, selon Rama Valayden, les autorités sud-africaines et non un simple indic’ qui ont alerté la police mauricienne de l’arrivée de cette grosse cargaison. Toutefois, à ce jour, le principal suspect, Navind Kistnah, n’est toujours pas fixé sur son sort.
Dans le cas de l’autre grosse saisie de 269 kg d’héroïne et de haschisch d’une valeur de Rs 3,6 milliards effectués le 2 mai 2021 à Pointeaux-Canonniers, il semblerait que cette saisie ait été rendue possible à la suite d’une surveillance de deux semaines seulement. Cependant, le policier responsable de cette prise a été muté vers une autre unité plusieurs mois plus tard. De plus, un seul des frères de Gurroby est en détention à ce sujet. On ne sait pas si c’est lui le cerveau ou juste la mule qui aurait transféré la marchandise d’un navire vers la plage de Pointe-aux-Canonniers. On avait aussi parlé de la proximité d’au moins un des frères Gurroby avec un ministre et un exsenior adviser. Mais à propos de toutes ces étranges coïncidences, les autorités ne pipent mot.
«In dékouver lamérik lor map»
our rappel, dans l’affaire de la tractopelle, lors de la Prime Minister’s Question Time en avril, Steven Obeegadoo avait, à la grande surprise d’Arvin Boolell, affirmé que les limiers avaient pu retracer le trajet de la tractopelle à partir du Brésil en passant par le Maroc. Mais rien sur l’itinéraire de la drogue. La réponse de Steven Obeegadoo fait rire Robert Hungley, consultant en logistique. «Pour connaître l’itinéraire de la tractopelle, il suffit de consulter le connaissement (bill of lading). Ou alors la compagnie maritime qui aurait été en mesure de nous donner en instantané l’itinéraire.» Il semble même que cette information peut être obtenue sur Internet. «Il n’y a pas besoin de recherche savante et compliquée, ni la nécessité de gaspiller des fonds pour le déplacement à l’étranger de nos enquêteurs.» Et d’ajouter: «In dékouver lamérik lor map.»
Plus récemment, le mercredi 24 août plus précisément, 1,5 kg de drogue synthétique d’une valeur marchande de Rs 7 millions ont été saisis à Batterie-Cassée. Cette drogue dissimulée dans un sac à proximité d’un terrain en friche a été découverte par la Special Striking Team. À ce jour, aucun suspect n’a été identifié dans cette affaire. Puis, il y a l’ADSU qui a saisi 908g de drogue synthétique, à Baie-du-Tombeau au début du mois, estimée à Rs 2 millions. Le suspect ayant pris la fuite à l’arrivée des officiers, il n’y a toujours pas eu d’arrestation. Et pas plus tard que cette semaine, il y a eu la découverte de 1,438,55 kg de simik rouz d’une valeur marchande de Rs 7,1 millions à Quatre-Bornes, toujours par l’ADSU. Mais encore une fois, le suspect ayant pris la fuite avec l’arrivée de la police, il n’y a pas eu d’arrestation.
De plus, rappelons l’enquête sur la saisie de Rs 33 millions de drogue sur un bateau rapide intercepté au Morne le 1er avril dernier par une équipe de l’ADSU. Mais là aussi, à ce jour, personne n’a accepté la responsabilité de cette affaire. Puis, toujours en début d’année, la Mauritius Revenue Authority avait saisi plus de 600 g de méthamphétamine, estimée à Rs 10 millions, en février. Le colis a été intercepté sur le vol MK 2852 d’Air Mauritius en provenance d’Afrique du Sud. À ce stade de l’enquête, l’ADSU n’a pas mis la main sur un quelconque suspect
Comme dans presque toutes ces grosses saisies, le «parrain» n’a pas été arrêté et n’a même pas été identifié bien que dans certains cas, le trafiquant était présent sur les lieux mais a pu s’enfuir sans être reconnu. La police parle maintenant de faire appel à des caméras Safe City. On verra ce que cela donne. En revanche, dans le cas d’Akil Bissessur, l’interpellation a eu lieu avant la saisie par la Special Striking Team. Il semble donc que cette dernière soit bien mieux informée que l’ADSU, vu qu’elle aurait identifié le trafiquant avant même la saisie de drogue...
Certains se demandent comment fait la Special Striking Team alors que l’ADSU, qui est sur le terrain, a ses sources ou indics avant de faire une opération. Comment, se demande-t-on, la Special Striking Team, qui n’est pratiquement pas sur le terrain, n’a pas de sources et n’est opérationnelle que depuis quelques semaines, est-elle informée ? À moins qu’elle ne le soit par le «sommet». La question dès lors: le «sommet» choisit-il ses cibles en fonction des informations non accessibles à l’ADSU et aux autres unités de la police ou alors sur d’autres considérations – politiques, personnelles et autres ?
«Bann trafikan in dévans nou!»
Nous avons sollicité la cellule de communication de la police afin de pouvoir parler à représentant de l’ADSU pour d’obtenir plus de chiffres et d’informations à ce sujet, mais n’avions pas eu de retour à hier. Nous nous sommes donc tournés vers nos sources habituelles pour savoir pourquoi il est aujourd’hui difficile de mettre la main sur les trafiquants. «Ils sont de plus en plus rusés et ont une longue avance sur nous. Simple exemple, si nous retrouvons un colis sur un terrain en friche, même si des tests d’ADN ou d’empreintes digitales sont effectués, nous ne sommes pas sûrs de pouvoir retracer la personne.» Cela car premièrement, il n’y a pas une base de données pour comparer les résultats mais aussi que les dealers sont conscients du risque. «Zot met legan tou aster. Pou pa les tras.»
Autre raison ; il est fréquent que l’ADSU découvre des colis de drogues sur des terrains abandonnés, mais c’est parce que ce serait un acte délibéré des trafiquants. «Ils exposent une petite partie de leur cargaison. Ils savent que si nous avons eu cette drogue, nous n’allons pas les embêter dans leur transaction. Nous serons donc occupés à rechercher un suspect ‘imaginaire’.» D’ailleurs, selon nos interlocuteurs, ce seraient même les trafiquants qui donneraient des tips à l’ADSU sur ces éventuels colis de drogues sur des terrains. «Bann trafikan pé devans nou...»
Ce qui rendrait la tâche encore plus difficile pour les limiers de l’ADSU, c’est que les gros trafiquants ne se mouillent pas à faire les sales besognes. Ce ne sont, disent nos sources, pas eux qui réceptionnent la marchandise, par exemple. «Ils paient des gens pour cela. Akoz samem kan trapé, gagn tidimounn mé pa gro servo.» Les «patrons» auraient, eux, des contacts très privilégiés dans de «hautes sphères»… «Même si tous au sein de l’ADSU ont quelques noms en tête, si ou oz tous zot, ou pé transfer dimé mem. Bé ou pou al lager kont sa ? Plito ou ferm lizié mem.»
Finalement, pourquoi les affaires traînent-elles même quand on arrive à mettre la main sur de «présumés trafiquants» ? Tout simplement parce que l’enquête de la police continue à «suivre son cours», alors que les policiers espérent remonter à la source du trafic, ce qui risque de prendre des mois, voire des années. «Mais aussi dans plusieurs cas, voire presque tous, les personnes arrêtées ne coopèrent pas avec la police.»
En chiffres
<p>Statistics Mauritius, dans son dernier rapport de 2021, stipule que : <em>«The market value of all drugs seized in 2021 was estimated at around Rs 4.77 billion... Some 50,058 plants of cannabis were uprooted by the Anti-Drug and Smuggling Unit in 2021 against 62,712 in 2020.</em>» De plus : <em>«In 2021, out of the 4,826 drug offences reported, 45.9% were cannabis (commonly known as ‘gandia’) related offences, 26.3% for heroin-related offences, 2.3% for sedatives/ tranquilizers, and 22.0 % for synthetic cannabinoids. Other types of drugs, comprising mainly methadone and hashish, represented 3.5% of drug offences.»</em></p>
<p><strong>Objet d’une PNQ de Xavier Duval...</strong></p>
<p>Lors de sa PNQ le 17 juin, le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval avait demandé au Premier ministre, «<em>whether, he will, for the benefit of the House, obtain from the Commissioner of Police, information as to the persons prosecuted and convicted, if any, with regard to drug seizures of street value greater than Rs1 billion since year 2017 to date, including the seizure of – (a) heroin in six cylinders of Rs1.8 billion street value in March 2017; (b) 100 kgs of heroin on a speed boat of Rs1.5 billion street value in October 2018; (c) 95 kgs of cocaine in a tractopelle of Rs1.4 billion street value in July 2019, and (d) 243 kgs of heroin and 26 kgs of hashish in Pointe-aux-Cannoniers of Rs3.6 billion street value in May 2021.» </em>Pravind Jugnauth lui avait répondu que de 2017 à mai 2022, 17 556 affaires de drogue avaient été rapportées et 15 571 personnes arrêtées. La valeur des drogues saisies pendant cette période était estimée à Rs13,7 milliards.</p>
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