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Fuite de vidéos et photos intimes: les protocoles entourant une pièce à conviction ont-ils été respectés?

15 septembre 2022, 19:00

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Fuite de vidéos et photos intimes: les protocoles entourant une pièce à conviction ont-ils été respectés?

Ils n’en démordent pas. Akil Bissessur et sa compagne, Doomila Moheeputh, accusent des policiers d’être à l’origine de la fuite des vidéos et photos intimes d’eux qui circulent sur WhatsApp depuis samedi. Quels sont les protocoles entourant la saisie des téléphones de suspect comme pièce à conviction ? Comment est censé procéder la police ? Que risque le/la suspect(e) s’il/elle est trouvé(e) coupable ? Est-ce qu’une personne a le droit de refuser de donner son appareil, et sur quels critères ?

Depuis samedi, cette affaire ne cesse de faire grand bruit. En effet, pour Akil Bissessur et Doomila Moheeputh, ce sont les officiers qui les ont arrêtés qui sont derrière la fuite de leurs vidéos et photos intimes sur les réseaux sociaux. Est-ce possible ? Comment procède la police pour avoir accès aux devices d’un suspect, une fois que ce dernier est arrêté ?

Selon nos sources au sein de la police, une fois qu’elle procède à l’arrestation d’un suspect dans une quelconque affaire, il est du devoir de la police de demander l’autorisation du suspect pour avoir accès à son téléphone portable, ordinateur portable ou tablette. «Nous demandons le consentement de la personne pour pouvoir y avoir accès. Et elle a le droit de refuser, peu importe le délit auquel elle est mêlée», explique un policier.

Des propos appuyés par l’avocate Danisha Sornum, spécialisée en droits humains et victimologie. «La police est obligée d’avoir le consentement de la personne car un téléphone portable est considéré comme un objet privé. Si la personne refuse, la police doit attendre un ordre d’un juge en chambre pour vérifier le téléphone.»

Jusqu’à l’obtention de l’ordre de la cour, le téléphone ou autres appareils doivent rester sous scellés. «Lorsque l’appareil est collecté lors de l’arrestation, l’exhibit officer doit mettre le téléphone dans un sac sous scellés devant l’accusé et son avocat. Après avoir reçu l’ordre de la cour, l’appareil doit être enlevé sous scellés toujours devant l’accusé et son homme de loi», ajoute notre source policière.

Me Danisha Sornum ajoute pour sa part que l’ordre du juge en chambre est très spécifique. «Le juge stipule clairement où et quoi récolter du device qui peut avoir un lien avec l’affaire dont le suspect est accusé.»

Ce que confirme Ish Sookun, System Architect, qui avait subi une arrestation arbitraire en 2016. Son domicile avait été perquisitionné et ses appareils électroniques et téléphones portables avaient été saisis. Il révèle que comme il n’avait rien à cacher, il avait tout donné aux policiers mais avait demandé à la cour que tous ses appareils soient vérifiés devant lui et ses avocats. «Cela avait été le cas, sauf pour mon téléphone portable. Pour examiner mon téléphone portable, il fallait qu’on le transporte dans une autre salle de l’IT Unit où uniquement ceux faisant partie des forces de l’ordre ont le droit d’accéder. Cette salle est pour le clonage du téléphone. J’ai accepté mais j’ai fait demander un papier en écrit du sergent expliquant cela.»

Cependant, dans le cas de l’affaire Akil Bissessur, il n’y a pas eu lieu d’aller en cour pour obtenir un judge’s order. Il est important de rappeler qu’après son arrestation, il avait donné l’autorisation à la police d’avoir accès à ses appareils. Toutefois, l’avocat avait consigné une entrée avant que son portable ne soit examiné et avait fait état qu’il y avait des vidéos qui concernent sa vie privée dans son cellulaire.

Messages effacés retracés

Le portable n’a donc pas été examiné devant lui. «Les objets informatiques qui sont mis sous scellés sont ouverts en la présence de l’accusé, ils sont examinés dans un laboratoire de police de l’IT Unit», révèle une source à la Cybercrime Unit. «Il n’est pas demandé que la vérification d’un téléphone portable, par exemple, soit faite devant le suspect. Kan avoy ou bann doné a FSL, eski analiz fer dévan ou sa?» Néanmoins, les e-mails et le compte Facebook ou autres réseaux sociaux de la personne sont vérifiés en la présence de cette dernière, comme le veut la loi, ajoute notre interlocuteur.

Quels sont les paramètres justement ? Où doivent-ils chercher dans un téléphone ? Nos sources au sein de la force policière révèlent que, techniquement, ils font un «digital forensic examination» et peuvent donc avoir accès à tout ce qu’il y a sur le téléphone. Mais, comme l’a fait ressortir Me Danisha Sornum, ce sont uniquement des éléments relatifs à l’enquête en cours qui ont le droit d’être examinés. «Par exemple, pour un délit de drogue, nous regardons les appels et les messages qui ont été échangés. La galerie aussi peut être vérifiée pour voir s’il n’y a pas de photos en lien avec l’affaire. Par exemple, des photos de plantes de cannabis chez la personne ou des liasses de billets.»

D’ajouter que même les messages qui ont été effacés peuvent être retracés. «La Cybercrime Unit a toutes les technologies nécessaires pour cela. Il y a ce qu’on appelle un cache memory sur les appareils électroniques et c’est tout à fait possible», ajoute notre source à la Cybercrime Unit. Cependant, elle révèle aussi qu’à Maurice, cela se fait dans de rares cas «car la plupart des policiers de cette unité n’ont pas l’expertise et la qualification requise pour cela. Mais même les mots de passe sur le téléphone peuvent être récupérés par la police».

Quoi qu’il en soit, si les accusations d’Akil Bissessur et de Doomila Moheeputh sont vraies et que ce serait bel et bien la police qui est derrière la diffusion de ces photos et vidéos, plusieurs délits ont été commis. Car se servir d’une pièce à conviction dans une affaire en cour à des fins personnelles pour réaliser des choses qui n’ont rien à voir avec l’affaire en question est considéré comme un abus de pouvoir.

En premier lieu, si le protocole de saisie de téléphone n’a pas été respecté, c’est-à-dire qu’il soit resté sous scellés et ouvert uniquement devant le suspect, c’est déjà un «breach of standing orders» de la police, révèle Me Danisha Sornum. «Et il y a aussi le Criminal Code qui stipule clairement que si un ou des officiers ont agi sans ordre et ont commis un abus de pouvoir ou quelque chose d’arbitraire, il y a une peine d’emprisonnement.»

En effet, selon la section 77 du Code pénal : «Lorsqu’un fonctionnaire public, un agent ou un préposé du gouvernement aura ordonné ou fait quelque acte arbitraire et attentatoire, soit à la liberté individuelle, soit aux droits civiques d’un ou de plusieurs individus, soit à la Constitution de Maurice, et qu’il n’aura pas justifié qu’il a agi par ordre de son supérieur, pour des objets du ressort de celui-ci, il sera condamné.»

D’ajouter que ces officiers auraient aussi commis un délit tombant sous la Cybersecurity and Cybercrime Act, nommé Revenge Pornography. Car se servir des photos et vidéos intimes d’une personne pour ternir sa réputation est un délit sous la section 19 qui stipule que :«Quiconque, au moyen d’un système informatique divulgue ou publie une photographie ou un film à caractère sexuel sans le consentement de la personne qui apparaît sur la photographie ou le film, et avec l’intention de causer de la détresse à cette personne, commet une infraction en droit, et, en cas de condamnation, est passible d’une amende n’excédant pas un million de roupies.»

Pour Danisha Sornum, il est important de se poser des questions sur l’enquête en cour concernant cette affaire de fuite de vidéos et photos intimes. Et, en premier lieu, «est-ce que les téléphones des policiers accusés seront aussi examinés ?»