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La Nicolière: «Oui, j’habite dans la forêt»

15 octobre 2022, 18:00

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La Nicolière: «Oui, j’habite dans la forêt»

Si vous allez vous promener dans les bois du côté de La Nicolière, vous pourriez peut-être le rencontrer. Faute de moyens, cet homme a dû se résigner à vivre dans un abri de fortune en pleine nature.

Il ne dit jamais rien à personne ; son frère et ses sœurs ignorent tout de sa vie actuelle, mais depuis trois ans, Patrick Roberto Radhum vit seul dans une cabane vétuste dans la forêt de La Nicolière. Pas par choix mais parce que, sans ressources, il n’a pas trouvé d’autres lieux où s’abriter.

Soudain, après des heures d’attente et de vaines explorations de la belle forêt qui enserre le lac de La Nicolière, un homme poussant un vélo, jaillit d’un chemin. «Oui, j’habite dans la forêt», dit-il. «Je vous conduis si vous voulez.» Loin des regards, sur un terrain pentu, raviné par l’eau, il a tendu une bâche en plastique entre les arbres. À l’entrée, une sorte de table sur laquelle il a méthodiquement aligné des couverts, une tasse de camping en acier – inoxydable, c’est mieux –, une boîte de jus de fruit. Quelques marmites en piteux état. Des seaux en plastique, une cuvette noircie par la terre. Un matelas récupéré dans la nature. Une statue en plâtre de la Vierge Marie. De quoi se nourrit-il ? «Surtout de Mine Apollo», déclare-t-il, soulevant le couvercle d’une marmite dans laquelle croupissent des nouilles chinoises. «Instant Noodles can be prepared and eaten as a soup, a snack or a main course due to its versatility», mentionne le fabricant sur ses sachets. C’est sûr, Patrick applique le message à la lettre. «Et non, les fourmis ne viennent pas», ajoute-t-il.

 

«Si les singes ne l’attaquent pas la nuit, ils ne le laissent jamais totalement en paix.»

 

Dans le lac, il pêche aussi des écrevisses et des tilapias. Il en vend aux gens de passage et il en garde quelques-uns pour sa consommation personnelle. Les promeneurs qui viennent se recueillir à la grotte, près du barrage, lui donnent parfois aussi à manger. Il se nettoie sommairement avec de l’eau puisée dans le lac. «Oui», il est en bonne santé. Une seule fois, il a été malade. Il souffrait de maux de tête et a été pris en charge par le SSRN Hospital de Pamplemousses. Ses douleurs ne se sont jamais reproduites.

Patrick Roberto Radhum est né à Terre-Rouge, il y a 50 ans. «Papa travaillait sur des chantiers, maman lavait le linge», ce n’est pas lui qui va faire de longues phrases pour décrire son existence. Il a appris à lire, mais il ne sait pas trop écrire. Tout juste épeler son nom : Patrick Roberto Radhum. Il avait appris à travailler le rotin bazar et fabriquait des sièges pour quelqu’un qui, devenu trop vieux, a cessé son activité. Il a perdu son gagne-pain et du coup le logement qu’il occupait rue Arsenal à Port-Louis. Les Chinois qui le logeaient ont été eux-mêmes contraints de partir ou l’ont expulsé, difficile de bien comprendre. Il s’est retrouvé à la rue. Pas question pour lui de demander de l’aide à l’une de ses trois sœurs, toutes trois mariées et chargées de famille du côté de Petit-Bambou, ni à son frère qui travaille à Grand-Gaube. Il ne voulait pas déranger et, de toute façon, ses frère et sœurs n’auraient eu ni les moyens ni la place nécessaire pour l’accueillir.

Alors, il s’est souvenu que lorsqu’il était gosse, il venait parfois pêcher du côté de La Nicolière. Il s’est installé là, provisoirement, dans les sous-bois. À plusieurs reprises, il a changé d’emplacement pour trouver un lieu plus abrité. Pour être plus discret aussi. Quelqu’un dans le voisinage lui donne quelques heures de jardinage par semaine. Depuis trois ans, bon an, mal an, il survit avec Rs 5 000 par mois. Sa famille ne sait pas où il vit, ni comment. Ni personne d’ailleurs. Patrick ne se cache pas, mais il ne parle pas de sa condition. Chaque dimanche, à l’heure de la messe, le curé l’accueille comme un chrétien parmi les autres. Lui non plus ne sait rien. Il est heureux comme ça. Mais si Dieu, justement, intervenait en sa faveur, il n’hésiterait pas un instant. Il serait heureux d’être mieux logé car si les singes ne l’attaquent pas la nuit, ils ne le laissent jamais totalement en paix.

Des objets de récupération pour tout équipement et le toit très incliné, le protège de la pluie.
Lorsque les pluies sont trop fortes, il vient se réfugier sous les arcades du pont. Son visage aux traits fins ne porte pas les marques de la vie qu’il mène.
Il pousse son vélo plus qu’il ne roule avec. Les paniers lui permettent de transporter les poissons qu’il pêche et les rares achats qu’il peut faire.