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Famille Kistnen: l’humain au-delà du politico-judiciaire
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Famille Kistnen: l’humain au-delà du politico-judiciaire
Une visite à la famille de Soopramanien Kistnen, c’est remettre la mort au cœur du vivant, ce sont les émotions d’une épouse, d’un fils, d’une nièce… des gens humbles qui ont besoin d’être protégés.
C’est une maison simple et modeste comme il y en a des centaines dans la circonscription n°8, Quartier-Militaire– Moka. Une cour avec un sol en terre battue, plusieurs voitures pas toutes jeunes, des chiens qui gambadent en liberté, du linge qui sèche devant la porte. Et tout de suite en entrant, une immense photo de celui dont on est venu parler. Il a une bonne tête, Kaya. Des yeux sombres pleins d’espérance, des cheveux courts avec les tempes qui commencent à se dégarnir, une chemise blanche au col ouvert, un sweat gris à capuche et ces mots imprimés sur l’image, mais qui semblent comme gravés à même sa peau : «Soopramanien Kistnen (Kaya) 1968-2020». 52 ans ! Trop jeune pour mourir. Surtout dans la violence d’un meurtre qui pourrait marquer l’histoire politique et judiciaire de Maurice.
La télé est presque trop grande pour la pièce. Des canapés râpés se font face et derrière, une table, des chaises et des tabourets sur lesquels quelques membres de la famille Kistnen vont peu à peu venir prendre place : Simla ; son fils, Hansley, qui vient de fêter ses 18 ans; sa nièce Sonia; sa maman, 87 ans, et un de ses dix frères et sœurs. On parlera aussi un peu de Bryan, 30 ans, né d’une première union de Soopramanien, qui vit en France et qui ne donne pas de nouvelles.
Il y a aussi un autel, avec des statues, des cadres, des petits accessoires en cuivre et des fleurs qui composent une jolie harmonie de couleurs rouge et or. Ni pauvres, ni riches. Simplement modestes – très modestes – et croyants. Immédiatement se dégage la sensation qu’il doit être bon de s’installer ici, en famille, pour partager le plaisir d’être ensemble. S’installer en confiance surtout, en étant sûr de pas être obligé de contrôler tout ce que l’on dit, par crainte de mal s’exprimer ou pire, que les mots ne soient retenus contre soi.
Pudeur
Simla Kistnen est une femme discrète et pudique. Elle l’est peut-être devenue par la force des choses. Elle parle peu, ne fait pas de longues phrases et réfléchit aux répercussions que ses propos pourraient avoir. Son fils et sa nièce l’aident à trouver les mots justes quand elle s’exprime en français. Deux ans de procédure lui ont enseigné la prudence. Il en faudrait peu pour qu’elle dise tout ce qu’elle a sur le cœur, mais les avocats ont dû lui apprendre à rester sur la réserve. Les fuites dans la presse du rapport de la magistrate Vidya MungrooJugurnath ne sont pour elle, elle l’espère, qu’une étape qui la rapproche de la vérité. Elle ne veut pas commenter davantage, elle ne sait pas. Simla veut seulement savoir qui a assassiné son mari. Elle ne veut pas que les gens imaginent qu’elle pourrait avoir soif de vérité pour de l’argent. Seulement pouvoir faire le deuil.
Sur son téléphone, elle montre rapidement une photo de son mari : sur le dos, à même le sol, avec de larges taches sombres sur le corps comme s’il avait été battu à mort ou calciné. Même s’il était légitime que la police ouvre l’hypothèse du suicide – après tout, c’est le devoir de la police et de la justice de poser toutes les questions, à tout le monde, sans oublier personne – la piste ne pouvait pas tenir longtemps à l’examen objectif de la situation. Cet homme-là ne s’est pas suicidé. Simla ne dit rien, la plaie est encore ouverte. Elle n’a pas oublié qu’elle et Soopramanien avaient des projets: acheter un terrain, construire une maison, un jour… Projet rêvé et à jamais disparu.
«Ami»
Pour tout revenu, elle vit aujourd’hui avec une pension de veuve de Rs 10 000. Elle n’a pas d’emploi d’appoint. Elle ne sait rien qui n’ait déjà été dit. Avec son mari, elle parlait peu de ses activités professionnelles et encore moins de ses activités politiques. Il avait son activité de contracteur, il militait pour le MSM comme il l’avait fait auparavant pour le MMM. Elle pense que c’est son ami Yogida Sawmynaden qui l’avait fait changer d’orientation politique. Elle dit «son ami» car les deux hommes se connaissaient depuis longtemps. En tout cas, «il y a trois ou quatre ans», son mari avait eu un accident au travail. Rien de sérieux, mais suffisamment pour qu’après des soins à l’hôpital, il reste immobilisé à la maison pendant quelques jours. Cordialement, Yogida Sawmynaden était passé prendre de ses nouvelles. C’est aussi ça être un ami, non?
C’est pour cette raison que Simla Kistnen n’a pas compris l’attitude de Yogida Sawmynaden lors du décès de son époux. Alors que le corps de Soopramanien reposait dans la maison familiale, le député et alors encore ministre du Commerce avait arrêté sa voiture dans la cour quelques minutes, comme pour venir se recueillir. Mais il n’était pas sorti, n’avait pas dit un mot et était reparti. Depuis, elle a appris que Yogida Sawmynaden l’avait déclaré comme Constituency Clerk et, qu’à ce titre, elle aurait dû percevoir Rs 15 000 par mois dont elle assure n’avoir jamais vu la couleur. Pour quelles raisons le ministre n’était-il pas entré ? Qu’avait-il alors dans la tête ?
Maintenant, elle se sent en sécurité. Mais elle a eu peur les jours qui ont suivi la découverte du corps. À plusieurs reprises, une voiture – toujours la même – est entrée dans la cour, puis ressortie, puis revenue. Jamais, le ou les occupants – elle ne sait plus – ne sont sortis pour lui parler. Elle ne sait pas si l’identité du propriétaire du véhicule a été établie. Pour l’heure, elle continue de s’exprimer lorsqu’on la sollicite et elle se montre là où elle pense que c’est utile pour que le meurtre de son mari ne disparaisse pas des mémoires. Elle dit que, sans les avocats, la police aurait pu conclure au suicide.
Fragilité
À dire vrai, elle aimerait aussi que son fils, Hansley, 18 ans depuis quelques jours, passe moins de temps sur les écrans et plus dans ces devoirs. «Mais je travaille», répond le jeune homme timide qui profite de Diwali pour faire une pause dans ses examens. Il aime le sport mais sans plus. Il aime se balader près de la rivière en contrebas. Il n’est pas geek, mais pourrait plus tard aimer travailler dans l’informatique. Il se réjouit que l’université soit gratuite à Maurice. Il ne parle plus de la mort de son père avec ses potes. Il ne veut surtout pas que son visage apparaisse dans les journaux. Pour un peu, c’est Sonia, sa cousine qui en dirait davantage. Elle l’aimait bien son tonton. Mais elle aussi, malgré ses yeux pétillants de malice, elle reste sur la réserve.
C’est une évidence : c’est une famille éprouvée qui vit dans cette maison. Les élus de la circonscription n°8 devraient garder à l’esprit la fragilité des gens humbles qui ont voté pour eux. Ils ont besoin d’être protégés.
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