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François Ecroignard: «La prison m’a permis de mieux cerner le trafic de drogue et le système corrompu»
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François Ecroignard: «La prison m’a permis de mieux cerner le trafic de drogue et le système corrompu»
Après 26 mois à la prison centrale, François Ecroignard, qui avoue avoir été un «simple consommateur de cannabis» mais pas un trafiquant, a approfondi ses connaissances sur le trafic, les réseaux, les enquêtes et procédures ainsi que les méthodes policières. Il ne va plus rester tranquille. Il commence sa croisade dans nos colonnes.
Vous avez été journaliste, attaché de presse de Rama Valayden, et puis vous avez connu l’enfer de la prison pour une affaire de drogue…
…comme vous le savez, on ne cesse jamais d’être journaliste et la vie demeure un combat durant lequel tout ce qui n’arrive pas à vous tuer vous rend plus fort. Les épreuves les plus dures sont pour les soldats les plus forts. Je ne dirais pas que j’ai vécu l’enfer parce que le jour où j’ai été libéré de la prison, j’ai constaté une grande détresse sur le visage de plusieurs personnes (qui pourtant étaient libres) et j’ai tout de suite compris que je ne devrais pas me plaindre. Après la pandémie et la cherté de la vie actuellement, en sus de tous les autres problèmes sociaux tels que la drogue, les décès liés aux accidents de la route, je constate que les gens vivent mal. Les Mauriciens ont perdu leur sourire légendaire et leur joie de vivre.
Comme vous ?
Je suis un positiviste. Aujourd’hui pas question de me plaindre et je pense que j’ai plutôt eu l’opportunité d’approfondir mes connaissances sur des sujets que je ne connaissais pas vraiment jusqu’à présent, notamment le trafic de drogue, l’univers carcéral, les méthodes d’enquête et d’investigation de la police, l’ampleur de la corruption quasi généralisée, le système judiciaire concernant surtout la liberté conditionnelle, entre autres.
Un peu plus de deux ans, c’est quand même long…
Je ne dirais pas que ces 26 mois de détention ont été faciles pour moi. Loin de là. Je suis quelqu’un de très attaché à ma famille, surtout à ma femme et à mes enfants. J’ai été subitement privé de tout cela et de ma liberté. Sans Dieu dans ma vie je ne serais peut-être plus là car ils ont essayé de détruire ma vie, ma famille et ont mis en péril l’avenir de mes proches à travers un complot machiavélique. Ma plus grande satisfaction c’est que mes enfants n’ont jamais abandonné leurs études. Ma fille a complété ses examens du National Certificate of Education de Grade 9 et mon fils ses examens du PSAC. Je ne finirais jamais de remercier jusqu’à la fin de mes jours, mon épouse Love Jennifer Curpanen. Pensée émue aussi à toutes les personnes qui m’ont aidé surtout mes avocats Rama Valayden, Neelkanth Dulloo, Sameer Hossenbocus, Neil Pillay et l’avoué Kaviraj Bokhoree. Un grand merci également à tous ceux et celles qui ont prié pour moi, ma sœur Priscilla et les amis qui se reconnaîtront.
Elles sont nombreuses les personnes en prison qui doivent affronter les injustices des autorités mais n’ont pas la chance que j’ai eu d’être bien entouré sur le plan familial, d’avoir à leur disposition un panel d’avocats compétents.
Vous avez connu quoi ? L’enfer de la drogue ou de la prison?
Personnellement je ne me sens nullement concerné quand vous parlez de l’enfer de la drogue. Je ne suis qu’un simple consommateur de cannabis depuis l’âge de 14 ans mais cela ne m’a pas empêché de terminer mes études secondaires et entamer des études supérieures, de suivre plusieurs cours professionnels, d’obtenir plusieurs certificats et diplômes, de travailler pour des firmes renommées du secteur privé, d’être l’attaché de presse de Rama Valayden alors qu’il occupait le poste d’Attorney General, de fonder une famille, d’être un bon père attentionné et un mari aimant et responsable, de veiller scrupuleusement à l’éducation de mes enfants.
Mais tout le monde n’a pas les mêmes forces que moi et l’enfer de la drogue, l’héroïne et les drogues de synthèse, il existe réellement pour des milliers de jeunes actuellement qui tombent comme des mouches. S’ils ne meurent pas par overdose ils détruisent leur vie et celle de leurs proches.
Comment va la vie à la prison centrale de Beau-Bassin?
La situation sur le terrain ainsi qu’à la prison centrale de Beau-Bassin est catastrophique. C’est un véritable tsunami dans tous les coins et recoins du pays. Tous les villes et villages de Maurice sont touchés de Poste-de-Flacq à Riambel, de Mahébourg à Grand-Baie, de Flacq à Rivière-Noire en passant par Providence, Banane, Cluny, Rose-Belle, je le répète : toutes les agglomérations de Maurice sont affectées. L’héroïne et la drogue synthétique n’ont jamais été aussi abordables, accessibles. Un gramme d’héroïne se vend actuellement à Rs 2 500, une dose coûte moins cher qu’un pain fourré, soit à Rs 75. C’est «Buy One Get One Free». La situation est grave et dramatique. La prison est une passoire et je n’en dirais pas plus que le mot corruption. Après le rapport Lam Shang Leen la situation est pire. C’est alarmant.
Comment y avez-vous survécu?
La prison n’est plus un lieu de réhabilitation et si vous vous retrouvez là-bas et vous n’êtes pas armés solidement sur le plan moral et mental et ne bénéficiez pas du soutien de votre famille, soit vous vous suicidez soit vous vous laissez tenter par la drogue pour survivre. La nourriture est exécrable, digne d’un camp de concentration nazie. A Beau-Bassin, il faut absolument fermer les blocs A et B qui ne répondent plus aux normes des droits humains. Dans ces blocs les détenus sont enfermés pendant 15 heures d’affilée souvent à trois ou à quatre sans toilettes ni un point d’eau potable.
Je dois toutefois souligner que tous les gardiens de prison ne sont pas des ripoux; il y en a ceux qui font leur travail correctement en ayant toujours en tête qu’ils ont en face d’eux des êtres humains comme eux.
J’ai survécu grâce à la prière, ma positivité et le soutien indéfectible de mon épouse et mes enfants. J’ai aussi soutenu mes camarades de prison en ajoutant que nous ne sommes certainement pas pires que certaines personnes qui sont en liberté et qui, elles, méritent plus que nous d’être en prison.
Vous avez dénoncé des membres de l’ADSU auprès du DPP…
Depuis le début de cette affaire je clame mon innocence avec preuves à l’appui que jamais au grand jamais je n’ai été en possession de la quantité de cannabis que la police prétend. Il n’y avait que 115 grammes chez moi et cette équipe pourrie de l’ADSU a ajouté un kilo avec l’intention de me nuire et me porter préjudice.
J’ai envoyé trois lettres au Directeur des poursuites publiques pour expliquer ma position. Savez-vous que 26 mois après mon arrestation la police refuse toujours de me confronter avec le rapport du Forensic Science Laboratory et les photos prises le jour de mon arrestation à mon domicile et au bureau de l’ADSU et de consigner ma déposition à ce sujet ! Ils ont fabriqué un dossier contenant des faussetés qu’ils ont envoyé au bureau du DPP afin que mon affaire soit jugée devant les Assises. Vous vous imaginez que la police a monté un dossier de toutes pièces et fabriqué des preuves pour traîner une personne devant les Assises sous une accusation de trafic de drogue où la peine maximale est de 60 ans sans possibilité de remise de peine. Imaginez-vous la pression que la police exerce sur cette personne et sur les membres de sa famille par cette façon de faire.
Mais vous n’avez pas baissé les bras…
Après ma seconde lettre au DPP, ce dernier a donné l’ordre à la police de consigner ma version des faits. Ce que j’ai pu faire le 1er juillet dernier en présence de mon avocat, Me Neil Pillay, où j’ai exposé tous les faits tels qu’ils se sont déroulés le jour de mon arrestation et les agissements des membres de cette équipe de l’ADSU. Mais ce jour-là nous n’avons pas pu compléter l’exercice concernant le rapport du FSL et les photos.
Le 4 juillet l’enquêteur principal dans cette affaire, l’inspecteur Mamade Salim Jauforally, est venu devant la Bail and Remand Court pour dire que vu que j’avais formulé de graves accusations contre lui et les membres de son équipe dans ma déposition du 1er juillet, il n’allait plus s’occuper de cette enquête et que le dossier serait transmis à une autre équipe. Jusqu’à présent j’attends toujours qu’on vienne compléter ma déposition et j’ai envoyé une troisième lettre au DPP ainsi qu’une correspondance au commissaire de police à cet effet.
Dans ma déposition j’ai également expliqué comment dans plusieurs cas cette équipe de l’ADSU qui a procédé à mon arrestation, subtilise une partie ou la totalité de l’argent saisie lors des opérations qu’ils mènent. C’est le cas également pour la drogue saisie qui retourne ainsi sur le marché à travers leurs réseaux.
J’ai également dénoncé le harcèlement, les menaces, les intimidations et les pressions qui ont été exercées sur mon épouse depuis mon arrestation. Les propositions indécentes et illégales qui ont été faites. Je n’en dirais pas plus pour le moment car tout sera révélé en temps et lieu lors du procès et je serais sans pitié pour ma liberté et ceux concernés devront assumer leurs responsabilités et les conséquences de leurs actes. C’est trop facile de venir dire que «lord vine depi lao».
Je lance un ultime appel au DPP et au commissaire de police pour prendre les mesures nécessaires dans cette affaire. Je n’ai rien contre la police et les policiers qui font leur travail correctement. Mon frère était policier et il est décédé le 15 janvier 2020 après plus de 15 années de bons et loyaux services. Moi-même j’aurais pu être policier mais lors du «Measurement Test» on m’a dit qu’il me manquait deux centimètres. J’aurais pu être un très bon enquêteur. J’ai aussi été très actif pour la création et le lancement du premier syndicat de la police auprès de Rama Valayden, Neelkanth Dulloo et Kaviraj Bokhoree. Le premier syndicat, l’Union Policière, qui était présidé par l’ancien ACP Hector Tuyau.
La majorité des membres de la force policière font leur travail correctement et dans le respect de nos lois. Mais il y a une petite minorité, surtout dans les unités spécialisées, qui se croient tout permis et qui ternissent l’image de la police. Je compte solliciter une rencontre avec le commissaire de police à travers mon avocat pour dénoncer les agissements de certains. Je sais aussi que la police travaille dans des conditions difficiles et qu’il y a une grande frustration. Mon frère me confiait souvent ses inquiétudes au niveau professionnel et cela a aussi contribué à la détérioration de sa santé et son décès à l’âge de 37 ans. Il faut que les autorités agissent pour plus de professionnalisme au niveau de la police.
Comment reprendre la vie après avoir été privé de liberté ?
Je reprends la vie tout doucement mais ce n’est pas trop difficile pour moi car j’ai le soutien sans faille de ma femme et mes enfants. Le plus difficile c’est d’intérioriser l’absence de mon père. Il était là le jour de mon arrestation et depuis, sa santé s’est détériorée et il est décédé le 20 juin dernier. Je n’ai pas pu l’accompagner pendant ses derniers jours ni assisté à son enterrement. Je n’oublierai jamais cette injustice.
Quelles leçons tirez-vous de votre expérience ?
La méchanceté humaine n’a pas de limite. Tu ne finiras jamais d’apprendre sur les autres et sur toi-même. Dans la vie, il n’y a pas beaucoup de personnes sur qui tu peux compter dans les moments les plus difficiles. Tant mieux, cela permet de faire le tri et d’identifier les ordures qui nous entourent.
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