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Afin que Mare-Chicose ne devienne pas Mare Psychose…

29 novembre 2022, 19:00

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Afin que Mare-Chicose ne devienne pas Mare Psychose…

Les habitants des hautes Plaines-Wilhems ont respiré, jusqu’au sein même de leur foyer, un air pollué et toxique pendant plusieurs jours durant la semaine dernière. Beaucoup n’en savaient pas la provenance, encore moins le danger potentiel. Par contre, ceux vivant aux alentours de Mare-Chicose ont bien témoigné de près, et souffert davantage, d’un incendie qui doit être pris comme un ultime et sérieux avertissement, afin que Mare-Chicose ne devienne pas «Mare Psychose».

Rappel

Pour les habitants de la région, la psychose ne date pas d’hier. Le mot «lixiviat», ou «leachate» en anglais, ne signifie rien pour beaucoup, mais cet épais liquide résiduel, venant des déchets stockés, avait causé tant de problèmes déjà aux habitants de Mare-Chicose. Pour comprendre le danger auquel ils ont été exposés, il suffit à chacun de voir ce qui est déposé comme liquide au fond des poubelles d’ordures que nous avons chez nous. Surtout, après quelques jours comme quand le service de voirie nous oublie.

Nous sommes tous responsables de plus de 500 000 tonnes de déchets solides produits chaque année. Imaginons chacun parmi nous ayant à porter sur lui 1 kg d’ordure chaque jour à son compte, 1 kg additionnel chaque jour de sa vie. Que fera-t-il de tout cela ? Mare-Chicose a été la seule solution imaginée jusqu’ici par nos décideurs et nous les avons suivis dans cette facilité apparente.

Depuis 2018, il n’y a plus de compostage de déchets et presque tout va à Mare-Chicose. Vous et moi, nous y envoyons ainsi notre kilo journalier d’ordures : environ la moitié de nature organique et plutôt humide, souvent de la nourriture, et le reste recyclable mais presque jamais recyclé. On y compte presque 15 % de déchets plastiques, mais aussi 95 % des 3 000 kg de déchets médicaux générés chaque jour. Désormais, il faut y ajouter les déchets électroniques à la hauteur de plus de 1 000 tonnes annuellement. Et que se passe-t-il si tout cela brûle au lieu de demeurer ou de se décomposer tranquillement sous terre ?

Impacts

Ailleurs, avec une population statistiquement significative, des moyens de monitoring et de contrôle sophistiqués, un système rodé et indépendant d’alerte, nous aurions eu une information rapide, en toute transparence, sur les risques de morts ou de maladies graves suite à l’incendie avéré. Nous ne saurons jamais ici les impacts, surtout après des années, voire des décennies. Mais les témoignages doivent être pris au sérieux car ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de statistiques qu’il n’y a donc pas de menaces.

Si les habitants de Mare-Chicose ont été déplacés, il demeure que de Deux-Bras à St-Hubert, sans oublier RoseBelle, Cluny et Mare-d’Albert, les émissions de molécules cancérigènes − comme les furanes ou les dioxines et de particules fines − ont pu être néfastes, particulièrement aux enfants, aux personnes âgées et à ceux souffrant de troubles respiratoires. Ailleurs, il est connu qu’il y a une corrélation entre le risque relatif de décès et la concentration de ces émissions. Par exemple, une hausse de la concentration de particules fines de moins de 10 microns par 10 µg/m3 augmente ce risque par environ 1,5 %. Il y a un risque accru de mortalité aussi bien avec les métaux lourds comme le plomb, l’arsenic, le mercure, le cadmium qu’avec les émanations d’amiante, car quelque 500 tonnes auraient été disposées à Mare-Chicose. Il est du devoir des autorités de communiquer au plus vite afin de dissiper les doutes de la population. Elles auront peut-être raison d’affirmer qu’il n’y a pas de preuves, mais c’est le principe de précaution qui doit primer. Et, en tout cas, il faut agir. Des analyses indépendantes par les Organisations non gouvernementales auraient dû avoir lieu avant que ce ne soit trop tard.

Faire mentir les chiffres est probablement la seule chose que certains ont retenu de leurs études universitaires. Sans une éthique et un sens de responsabilité, il y a toujours un élément de subjectivité, et une possibilité de manipulation lorsque les données sont interprétées pour le public. Mais la réalité du terrain ne trompe pas. Du directeur de l’Audit en 2017 jusqu’à la rapporteure des Nations unies en 2021, les publications indépendantes ne manquent pas, tirant la sonnette d’alarme face à une crise des déchets imminente. À qui profite aussi le statu quo avec l’absence du tri sélectif des déchets à la source ? C’est un business de plusieurs milliards de roupies que se partagent quelques compagnies, dont les éboueurs et éboueuses travaillent dans des conditions plus que déplorables. L’agrandissement de la décharge ne peut se faire que verticalement, dans un endroit situé en dessous du niveau de la mer. Si nous nous soucions peu des victimes humaines, il est peu probable que nous allons nous préoccuper d’un péril de dégâts aux écosystèmes côtiers locaux, voire océaniques. Il y a plus de 60 000 tonnes de plastique enfouies annuellement à Mare-Chicose, une partie désormais brûlée lors de l’incendie avec l’émission de gaz cancérigènes.

Consumérisme

Il manque de clarté dans la politique déclarée de favoriser une gestion intégrée des déchets, notamment avec une économie circulaire. L’objectif de réduire de 70 % la quantité d’ordures acheminée à Mare-Chicose d’ici 2030 est irréaliste. Il n’y a qu’à voir l’avalanche des emballages dans les poubelles après un Black Friday pour se rendre à l’évidence. D’ailleurs, l’extension à la verticale du dépotoir bute sur de nombreux obstacles administratifs et légaux. Par contre, la roadmap pour le secteur énergétique prévoit bien un projet de Wasteto-Energy d’ici 2029, compris dans le contexte de l’application d’abord de mesures comme le tri sélectif et le compostage. Y aura-t-il une volonté de réduire tout simplement et de façon drastique la production de déchets? Osera-t-on s’attaquer au consumérisme qui est à l’origine de nos maux non seulement environnementaux, mais aussi sociaux et économiques ? Une approche holistique fait cruellement défaut.

La rapporteure des Nations unies souligne aussi un autre risque majeur. Les liquides dit leachates ou lixiviat sont transportés actuellement de Mare-Chicose par camions vers des stations de traitement, avant d’être rejetés à la mer. Elle questionne sérieusement notre système de traitement des eaux usées. Certains trouveront là un prétexte afin d’enclencher, en «Emergency Procurement», des mégaprojets de stations d’épuration, alors que tant de solutions locales, écologiquement propres et durables existent. Il en est de même pour la production énergétique à partir des déchets où, contrairement à ce qui avait été proposé à Maurice dans le passé, des solutions qui respectent l’environnement et complémentent la pratique du tri sélectif existent aujourd’hui à l’échelle commerciale.

Bilan final

Non seulement le consumérisme peut faire de Mare-Chicose une «Mare Psychose», mais ce fléau qui ne dit pas son nom est aussi la cause principale du changement climatique, la grande menace existentialiste. Chacun, à son niveau, peut et doit essayer d’apporter sa pierre à l’édifice de la construction d’un monde plus propre, mais il y a trop souvent un sentiment que les autorités, comme le monde des affaires, ont leurs priorités ailleurs.

Par exemple, comment expliquer que les normes pour les émissions atmosphériques et la qualité de l’air, y compris celles relatives à l’incendie à Mare-Chicose, n’aient pas changé depuis… 1998 ? Cela fait presque un quart de siècle marqué par une transformation à tous les niveaux dans notre pays pendant ce temps. Les normes de l’Organisation mondiale de la santé ou de l’Union européenne, comme celles de la Chine, ont radicalement évolué entre-temps.

Et pourtant, Dieu sait combien de gens partout, dans les secteurs public et privé, comme dans la société civile, ont tant fait afin que les choses avancent. Un hommage au regretté Yahyah Pathel qui a lutté au sein du département de l’Environnement, un élève inoubliable, un fonctionnaire attentif, et surtout un frère qui avait foi en son engagement pour la planète.