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Affaire Bruneau Laurette - Analyses ADN: entre certitudes et polémiques
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Affaire Bruneau Laurette - Analyses ADN: entre certitudes et polémiques
Les affaires se suivent et se ressemblent, et toutes tournent autour des tests ADN et de leurs résultats. La semaine dernière, il a été confirmé que l’ADN de Bruneau Laurette ne se trouvait pas sur la drogue que la police dit avoir saisie dans sa voiture. Il y a quelque temps, c’était la même conclusion dans le cas de l’avocat Akil Bissessur. Ces analyses qui se font depuis au moins 20 ans ont toujours fait débat. Décodage…
Ces cas qui ont défrayé la chronique
En 2005, le cadavre d’une fillette de deux ans et demi est retrouvé. Deux suspects sont arrêtés ; l’un avoue le crime et incrimine l’autre, mais ce dernier clame son innocence. Cependant, coup de théâtre lors des résultats des tests ADN réalisés en Afrique du Sud. Aucune trace des deux suspects, mais d’une tierce personne, qui avait été également arrêtée. Cette affaire avait été reprise par le Dr Satish Boolell, médecin légiste, dans son premier livre, Forensics in Paradise. Déjà, il se disait d’emblée pessimiste sur les prélèvements ADN car «the body had soaked for too long in the brackish waters» où le cadavre avait été retrouvé.
Les deux premiers suspects ont été condamnés. Quant au troisième suspect, l’ancien chef médico-légal de la police avait écrit qu’il s’agissait d’une «farce» car «the DNA fingerprint is like a helix with some runs similar in some blood-linked relatives. They (NdlR, la police) managed to find a man amongst their suspects with part of his helix similar to part» de l’ADN de la victime. Il avait ainsi été disculpé. Ce cas avait retenu l’attention car, au-delà de l’horreur, le cadavre avait été retrouvé le jour des élections législatives.
La première fois que l’ADN est évoqué dans une affaire pénale remonte à 2003. Mᵉ Rama Valayden explique que grâce aux analyses réalisées en Afrique du Sud, son client, Marcelin Azie, avait été blanchi d’une charge de viol et de meurtre. La même année, un autre homme est accusé du viol d’une coopérante française mais son ADN n’est pas retrouvé sur la victime. Comme il avait avoué à la police ne pas avoir éjaculé ce jour-là, le test ADN n’a pas prouvé grand-chose. Mais, dans d’autres cas, les analyses ADN ont mené à des condamnations sans détour. En 2006, Abdool Mosheen Mooniaruck est condamné à sept ans de prison pour le meurtre de son père en 1997. Son ADN avait été retrouvé sous les ongles de la victime, et même s’il clamait son innocence, la cour s’est basée sur ces résultats pour déterminer son jugement.
Les années passent, les polémiques changent. En 2012, Gro Derek est arrêté pour trafic de drogue. Pendant son procès à rebondissements, la question de l’ADN est soulevée. En 2016, les avocats du trafiquant avaient objecté à l’admissibilité des analyses ADN comme preuve, arguant qu’il y avait eu des manquements dans la collecte des échantillons et que les prélèvements avaient été faits sans le consentement des suspects. Le juge avait alors tranché en faveur de la défense et les résultats rejetés. La semaine dernière, il a été condamné à 32 ans de prison.
Cette année, l’ADN a fait son retour en force dans le débat public. Après l’arrestation de l’avocat Akil Bissessur pour trafic de drogue, son ADN n’est pas retrouvé sur les colis que la police dit avoir retrouvés chez lui. Suite à cela, le DPP n’avait pas objecté à sa remise en liberté conditionnelle. La semaine dernière, les analyses ont confirmé l’absence de l’ADN de l’activiste Bruneau Laurette sur les colis de drogue, mais celui d’une tierce personne a été trouvé sur le sac. Quant à l’éleveur Wayne Attock, son avocat a demandé que son ADN soit prélevé pour voir s’il correspond à celui se trouvant sur la drogue retrouvée chez lui. L’ADN des officiers qui ont participé à la fouille chez lui devrait aussi être prélevé et analysé.
Les origines des tests
Malgré les débats, Rama Valayden est catégorique. L’ADN joue un rôle important, non seulement dans les affaires criminelles, mais aussi civiles. Par exemple, en se basant sur un tel test, la Cour a pu statuer rapidement et sans détour dans des cas de contestation ou de reconnaissance de paternité. «Les analyses ADN dans les affaires judiciaires ont été une révolution à travers le monde. Cela a permis d’éviter des erreurs judiciaires. Mais surtout, cela a permis de rétablir la justice car il y a eu la libération de plusieurs condamnés qui ont passé des années en prison pour des crimes qu’ils n’avaient pas commis.»
Sollicitée, la directrice du Forensic Science Laboratory (FSL), Vidhu Madhub-Dassyne, n’a pas souhaité parler car l’affaire Bruneau Laurette – surtout les débats sur l’ADN – est toujours en cours. Mais en avril dernier, dans une interview réalisée par AFM Media, elle a rappelé que c’est dans les années 2000 que l’idée de faire des analyses ADN à Maurice a germé. L’aide du haut-commissariat britannique avait été sollicitée à cet effet. Le but était de faire de Maurice le premier pays du continent africain à réaliser des analyses ADN. Mais ce n’est qu’en 2009 que la loi qui y est relative sera promulguée.
L’ébauche de la DNA Identification Act sera rendue publique en 2007. Si, au départ, il était question que les prélèvements se fassent uniquement sur l’ordre d’un magistrat satisfait de l’importance de l’échantillon pour l’enquête, la loi finale donnera ce pouvoir à un policier ayant au moins le rang de surintendant. La loi prévoit aussi la création d’une banque de données. La collecte de l’ADN des condamnés avait débuté en 2011.
Puis, en 2012, le FBI mettra à la disposition du FSL un logiciel permettant la comparaison de l’ADN d’un suspect à celui de ceux présents dans la banque de données des repris de justice. À l’époque, cette avancée avait redonné espoir aux familles des victimes de crimes non élucidés. Mais l’espoir sera de très courte durée car rien n’a changé. Dans son interview d’avril, Vidhu Madhub-Dassyne expliquait que le logiciel n’avait pas permis de résoudre les cas en souffrance. Toutefois, l’ADN retrouvé sur les victimes est perpétuellement comparé aux nouveaux échantillons de suspects dans des affaires criminelles.
La base de données est constamment mise à jour, avec les nouveaux suspects et condamnés. C’est justement sur ce point que l’ancien inspecteur de la Major Crime Investigation Team, Ranjit Jokhoo, estime qu’il y a un problème. Il confie qu’à ce jour, le gros problème demeure la fameuse banque de données. Un projet qui a finalement débuté très tardivement. «Nous commençons à le faire mais cela prendra définitivement beaucoup de temps à mettre sur pied», déplore-t-il. Cependant, il précise que Maurice a toujours été avant-gardiste en matière d’analyse dans les affaires criminelles. Hormis les analyses qui se font au FSL, dépendant de la nature de l’affaire et de la décision de la police, des échantillons sont aussi envoyés en Afrique du Sud ou encore en France pour analyse.
Le rôle des analyses
Revenons aux cas récents. Si l’ADN d’Akil Bissessur et celui de Bruneau Laurette n’ont pas été retrouvés sur la drogue, cela ne veut pas forcément dire qu’ils n’ont pas manipulé la drogue. Et s’ils avaient porté des gants ? Ou encore, peut-être qu’une tierce personne exécutait des ordres ? «Certes. Mais à ce moment-là, la police devra venir de l’avant avec des preuves irréfutables. Sinon, l’affaire est très faible», dit Me Valayden. Parmi les preuves qui peuvent aider la police, l’avocat cite des appels téléphoniques à des personnes impliquées dans le trafic de drogue ou encore des transactions financières douteuses. «Désormais, il y a aussi les images de Safe City. C’est ironique car lapolis pou ranferm li dan so prop latrap si li pa kapav prodwir sa.»
L’avocat des Avengers revient aussi sur l’importance de l’ADN dans l’affaire Wayne Attock. Dans ce cas, il rappelle qu’il y a des images CCTV qui appuient la thèse de «planting». Selon lui, il faudra faire des prélèvements non seulement sur son client et sur la drogue retrouvée par les policiers, mais aussi sur tous ceux qui ont participé à l’opération. «Ils ont le droit de refuser. Mais cela jettera le doute et jouera contre eux, dans l’opinion publique du moins.» Quant à Ranjit Jookhoo, il explique qu’un suspect peut refuser un prélèvement ADN. «Dans ce cas, un ordre de la Cour est sollicité. Et un affidavit sur l’importance de ces analyses pour l’affaire en question doit être juré.»
Les limites du test
Les analyses ont beau aider, mais sont-ils contestables en justice ? «Évidemment», répond Mᵉ Valayden. Il rappelle le cas d’OJ Simpson aux États-Unis. «Cette affaire a mis en lumière les agissements d’un policier véreux et raciste pour piéger cet homme», rappelle-t-il. Cependant, il faut noter que la décision du jury de ne pas condamner le célèbre sportif, alors que son ADN avait été retrouvé sur la scène du crime, reste l’un des verdicts les plus controversés de l’histoire judiciaire des États-Unis à ce jour.
Par ailleurs, quand les deux coupables ont avoué le viol de la fillette en 2005, leur ADN n’a pas été retrouvé sur la victime. Idem dans le viol de la coopérante française. «Trouver votre empreinte ADN sur des échantillons prélevés sur les lieux du crime signifie que vous étiez à cet endroit, mais cela ne veut pas nécessairement dire que vous êtes l’auteur du crime», avait avancé le Dr Meera Maraj à l’époque. Le contraire est aussi vrai.
Donc, le test ADN a-t-il des limites ? Non, répond Rama Valayden. «Avec les avancées technologiques, il est même possible maintenant de comparer des ADN partiels», avance-t-il. Ranjit Jookhoo renchérit en disant que la présence ou l’absence d’ADN est certes d’une importance capitale dans une affaire, mais il faut aussi d’autres éléments. «L’ADN d’une personne n’est pas suffisant pour démontrer sa culpabilité ou son innocence. D’autres preuves et témoignages doivent être vérifiés avant de prononcer une sentence», soutient-il.
L’avenir
Le FSL continue à se moderniser. Cette année, le laboratoire a fait l’acquisition d’un appareil au coût de Rs 25 millions qui permet d’analyser des échantillons abîmés ou encore des cheveux sans le bulbe. Une autre technique utilisée est le Touch DNA, qui permet des résultats très précis. La première fois que cette technique a été utilisée remonte à 2015 dans le terrible meurtre de la petite Eleana Gentil. De plus, un nouveau laboratoire au coût de 13,5 millions de dollars est en construction et devrait être opérationnel d’ici 2024. L’annonce a été faite par le Premier ministre lors du Forensic Disciplines Exchange Programme et le financement sera fait à travers une ligne de crédit de l’Inde.
Mais tout n’est pas rose dans ce domaine. En 2014, le gouvernement mauricien donne son accord pour la construction d’un laboratoire ADN. Deux Français, Christian Doutremepuich et son fils, Antoine, des experts dans le domaine, étaient derrière. Ils ont un des laboratoires les plus importants à Bordeaux et traitent toutes les grandes affaires criminelles françaises. Il était même question d’amender la DNA Identification Act pour permettre l’opération du laboratoire privé. Mais, en 2016, le gouvernement décida de ne pas aller de l’avant avec le projet sans avancer de raisons. Christian et Antoine Doutremepuich ont initié une procédure d’arbitrage international à l’encontre de la République de Maurice.
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