Publicité
Grâce présidentielle: la difficile révision judiciaire…
Par
Partager cet article
Grâce présidentielle: la difficile révision judiciaire…
La grâce présidentielle accordée au fils du commissaire de police ne cesse de mettre en lumière les dysfonctionnements du système à Maurice. En pleine polémique, l’«Attorney General» a tenu une conférence de presse et laissé entendre qu’il y aurait hypothétiquement une demande de révision judiciaire de cette décision. Mais, en réalité, rien n’est moins sûr. Au-delà de cette affaire, le débat sur le certificat de moralité revient encore une fois sur le tapis.
Les décisions présidentielles
«Mo pa koné ki pou éna divan ; éna sertenn aksion dé judicial review ki pé kontanplé», a déclaré Maneesh Gobin, le 11 janvier. Mais, dans la pratique, très peu de décisions présidentielles peuvent être contestées. Selon la Constitution, le président de la République peut se prononcer de trois manières. Il peut agir selon son propre jugement. Par exemple, à l’issue des élections, il nomme le Premier ministre et le leader de l’opposition de cette manière. Ces décisions ne sont pas contestables.
Il peut aussi prendre des décisions après consultations. Par exemple, l’Ombudsman et le chairman de l’Electoral Boundaries Commission, entre autres, sont nommés après des consultations avec le Premier ministre et le leader de l’opposition. Il faut noter ici que le président n’est pas tenu de suivre les recommandations et qu’il peut nommer qui il veut. D’ailleurs, en 2005, il y avait un conflit entre le Premier ministre d’alors, Navin Ramgoolam, et le président SAJ.
Ce dernier avait procédé à la nomination d’un président de la Public Service Commission de son choix, alors que lors des consultations, le Premier ministre avait proposé un autre nom. Ces décisions ne sont pas contestables non plus. Troisièmement, le chef de l’État peut prendre des décisions «with the advice» d’autres personnes. La nomination des ministres tombe sous cette catégorie. Si la décision en soi ne peut pas être contestée, l’avis donné lors de la consultation peut être sujet à une révision judiciaire.
Le problème du «locus standi»
Dans le pourvoi en grâce, le président est tenu d’agir «with the advice» de la commission de pourvoi en grâce. De ce fait, si la décision de gracier Chandra Prakash Dip n’est pas contestable, l’avis donné par la commission peut, en revanche, être sujet à une révision judiciaire. Il faut noter que le président peut nommer les membres de la commission «in his own deliberate judgement». D’ailleurs, la Cour suprême s’est prononcée à ce sujet en 1999, jugeant que «the Supreme Court has the jurisdiction to review the advice tendered to the President by the Commission of Prerogative of Mercy so as to enquire whether it has performed its functions according to the Constitution or any other law». C’est ce qui serait contemplé en ce moment, selon Maneesh Gobin.
Toutefois, ici surgit un autre problème. Pour demander une révision judiciaire, il faut absolument que «the aggrieved party» soit directement affectée par la décision de l’autorité ou du corps public. De ce fait, la demande ne pourra être formulée que par l’État ou la police. Rappelons que pour toute demande à la commission de pourvoi en grâce, un rapport est demandé à la police. L’autre souci est que cette affaire a postulé que la commission de pourvoi en grâce est un dernier recours, lorsque toutes les autres voies ont été épuisées. Il faut donc qu’il y ait un «hard and final judgement».
Dans le cas du fils du commissaire Dip, tel n’est pas le cas, car il avait fait une demande de permission pour aller au Privy Council contester le jugement et une décision était attendue. De plus, dans le milieu judiciaire, on explique que la demande de revoir une sentence à la baisse peut aussi être demandée à la Cour suprême, mais dans ce cas, la décision aurait été prise par des juges selon la procédure légale établie. L’on avance aussi qu’en pourvoi en grâce, c’est la sentence et non la conviction qui est considérée ; ainsi, la personne est toujours considérée comme condamnée.
Moralité entachée pour un délit mineur
La condamnation allégée de Chandra Prakash Dip figurera-t-elle sur son certificat de moralité (casier judiciaire) ? Les experts avancent que oui, car la demande pour le blanchir doit faire l’objet d’une autre requête, comme cela a été le cas pour le député travailliste Ehsan Juman et l’ex-député bleu Thierry Henry. La demande doit être faite à la commission et une décision est alors prise. Le problème est que personne ne sait vraiment comment fonctionne la commission et elle n’a pas d’obligation à s’expliquer non plus.
Le certificat de caractère, aussi appelé certificat de moralité, est un document qui peut freiner une carrière, voire la briser. Il est exigé dans toute demande d’emploi ou encore dans le cadre de certaines démarches administratives. Des organisations non gouvernementales, politiciens et avocats ont longtemps décrié ce système jugé discriminatoire, surtout envers ceux ayant commis des délits mineurs. Ils ont réclamé des amendements à la Certificate of Character Act pour que des délits mineurs n’y soient plus inscrits. L’affaire Dip, qui a révélé que des hommes publics ont pu faire blanchir leur certificat de moralité, a mis au jour un système de deux poids, deux mesures. Ceux qui ne sont pas informés ne savent même pas que ce recours existe. Nous avons été interpellés par le cas suivant.
Un homme d’une quarantaine d’années avait divorcé à l’amiable de son épouse, une policière. Il devait payer une pension alimentaire pour ses deux enfants, dont la garde était revenue à la mère. Il a gardé les enfants «sans contribution de son ex-épouse» pendant deux ans, encourant tous les frais. En 2020, le Covid frappe et il se retrouve sans emploi, le secteur dans lequel il travaille étant un des plus affectés. Il ne peut pas payer deux mois de pension alimentaire mais les enfants sont en majeure partie chez lui pendant cette période. L’ex-épouse policière porte plainte et il est arrêté, puis relâché quelques heures plus tard, sans explications. L’affaire passe au tribunal quelques mois plus tard et il est condamné à payer une amende. «Je n’ai jamais eu de souci avec la police, mais maintenant, cette affaire figure sur mon certificat de moralité et c’est un handicap», déplore-t-il.
Un tel délit mineur mérite-t-il de se retrouver sur son certificat de moralité ? Y aurait-il eu abus de pouvoir de l’ex-épouse policière de connivence avec des collègues pour le piéger ? N’y avait-il pas de circonstances atténuantes pour cet homme, bon travailleur, bon père de famille ? Il vient tout juste d’apprendre qu’il peut faire une demande pour faire rayer ce délit de son certificat de moralité. Combien se retrouvent comme lui dans cette situation ?
Deux points de vue
Nous avons sollicité deux avocats pour des éclaircissements sur toute cette affaire.
Mᵉ Richard Rault: «S’il y a grâce totale, cela efface le caractère du délit du casier judiciaire»
L’Attorney General a parlé d’une révision judiciaire de la grâce présidentielle à Dip. Est-ce possible ?
Toute décision administrative doit pouvoir être justifiée et, de ce fait, elle est susceptible de faire l’objet d’une révision judiciaire.
Est-ce que le délit d’une personne graciée figure sur son certificat de moralité ?
S’il y a grâce totale, cela efface le caractère du délit de son casier judiciaire. Dans le cas de Dip, il y a eu substitution de la sentence de prison par une amende. Il n’y aura donc pas d’effacement sur le casier judiciaire du prévenu, condamné en tout état de cause par la cour intermédiaire dont le jugement aura été confirmé en appel.
Le président peut-il enlever n’importe quel type de délit du certificat de moralité ?
L’article 75 de la Constitution, qui régit les pouvoirs présidentiels en matière de droit de grâce, ne fait aucune distinction entre les types d’infractions et permet au président d’accorder la grâce en tout état de cause. Rappelons juste que le président n’a aucun pouvoir décisionnel réel et qu’il doit suivre les recommandations de la Commission de pourvoi en grâce. Le président n’a que la prérogative de demander à la commission de reconsidérer sa décision. Si celle-ci maintient sa décision, le président est alors tenu d’exécuter cette décision.
Mᵉ Ashley Ramdass: «Chandra Prakash Dip ne peut obtenir un ‘‘certificate of character’’»
Dans une conférence de presse, Maneesh Gobin a évoqué une éventuelle révision judiciaire de la décision du président. Ce recours légal est-il possible ?
N’importe quelle décision dans un public body peut faire l’objet d’une révision judiciaire. Je dirais que oui, mais la question est : qui peut réclamer une révision judiciaire ? Ce serait celui qui a un locus standi. C’est-à-dire, celui qui a été gracié par la présidence peut le faire ou encore celui qui se sent lésé par cette décision. L’autre question qui doit être posée tourne autour du rôle de l’Attorney General. Est-ce qu’il peut contester cette décision ? L’article 75 4(b) de la Constitution n’évoque aucunement le pouvoir de l’Attorney General, mais plutôt celui du président. Cette loi stipule que le président peut demander à la commission de reconsidérer tout avis émis par elle et il agit conformément à l’avis. Je ne vois pas comment l’Attorney General entre en jeu, étant donné qu’il se pourrait que le Directeur des poursuites publiques (DPP) puisse intervenir en interjetant appel pour dire que, dans le cas de Chandra Prakash Dip, il a été condamné mais n’a pas encore purgé sa peine. Mais toujours est-il que cela demeure très tricky car s’il y a appel, la Commission de pourvoi en grâce sera représentée par les avocats du bureau de l’Attorney General.
Le délit d’une personne graciée figure-t-il sur son «certificate of character» ?
Selon l’article 5 (2) du Certificate of Character Act, si une personne fait une demande pour ce certificat, le DPP ou la personne déléguée, s’il n’est pas le CP, renvoie toute demande à ce dernier pour enquête et rapport. Dans le cas de Dip, qui a été condamné pour un délit sérieux et qui n’a pas bénéficié d’une grâce présidentielle absolue, il ne pourra pas obtenir ce document.
Le président de la République peutil enlever n’importe quel type de délit du «certificate of character» ?
Il me semble que oui, car l’article 5(2) (d) de la Certificate of Character Act ne semble pas limiter le pouvoir du président à une catégorie de délits.
Pour info: comment obtenir un certificat de caractère…
<p>Le certificat de moralité est un document qui recense vos éventuelles condamnations. Vous pouvez déposer votre demande aux Police Divisional Headquarters, à Curepipe, Flacq, Moka, Piton, Port-Louis, Rose-Belle et Rose-Hill. Le formulaire est téléchargeable sur ce site : https://police.govmu.org/police/wp-content/uploads/2020/12/Application-for-Certificate-of-Character.pdf ; et il faut soumettre les documents suivants en original avec une copie : acte de naissance, carte d’identité, preuve d’adresse, acte de mariage, si nécessaire. Il faut compter au moins un mois d’attente ou même plus.</p>
Publicité
Les plus récents