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Proposition de la Law Reform Commission: revoilà la castration chimique comme traitement contre les violences sexuelles

2 février 2023, 22:00

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Proposition de la Law Reform Commission: revoilà la castration chimique comme traitement contre les violences sexuelles

Les délits sexuels dénoncés prennent de l’ampleur à Maurice. Pour les contrer, la Law Reform Commission se prononce en faveur de la castration chimique pour les hommes récidivistes sexuels, la considérant comme un traitement et comme la solution la plus appropriée. Quelles en sont ses implications ? Cette proposition est-elle applicable dans le contexte socio-politico-juridique actuel du pays ?

Face aux délits sexuels en hausse constante, de nouvelles mesures sont envisagées. Selon les données de Statistics Office of Mauritius, entre 2017 et 2021, 2 031 abus sexuels sur des enfants ont été rapportés à la Child Development Unit (CDU). De plus, les chiffres du bureau central des statistiques révèlent également une tendance à la récidive. En 2020, 72 % des détenus condamnés pour violences sexuelles étaient des récidivistes. Partant de ce constat et comme solution la plus appropriée, la Law Reform Commission (LRC) se prononce en faveur de la castration chimique, soit l’administration de médicaments pour inhiber les pulsions sexuelles en agissant sur la production de testostérone, la considérant comme un traitement et non comme une punition. Contrairement à la castration chirurgicale, qui consiste à pratiquer l’ablation des organes reproductifs, la castration chimique est réversible à l’arrêt du traitement.

Mais comment et à qui ce traitement serait-il administré ? Selon les recommandations de la LRC, il le serait aux hommes récidivistes sexuels, que la victime soit mineure ou adulte important peu, mais pas aux primo-délinquants, sauf si le délit est si horrible et révèle un degré de perversité ne laissant aucun doute sur la «dangerosité du délinquant» et qu’il serait donc dans l’intérêt du public qu’il subisse une castration chimique. La LRC note aussi, entre autres, que compte tenu que ce traitement constitue une transgression importante dans l’intégrité de la personne et entraîne des conséquences biologiques, la pratique de ce type d’intervention doit être consensuelle.

Ce traitement, explique la LRC, pourrait généralement être prononcé dans le cadre d’une injonction de soins. Celle-ci peut être ordonnée dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire, d’une liberté conditionnelle ou de surveillance. Le traitement peut aussi être administré dans un centre socio-médico-judiciaire prenant en charge les individus placés en détention préventive. La LRC n’entrevoit pas la castration chimique comme une punition prononcée par un juge mais plutôt comme un «traitement médical», déterminé par un médecin. Ainsi, dans le cadre d’une injonction de soins émise par un tribunal, un médecin déciderait si un tel traitement est nécessaire ou pas. Si la personne refuse de suivre ce traitement alors qu’il lui a été prescrit par le médecin, cette réaction constituerait une violation de ses obligations contenues dans la mesure judiciaire et la personne condamnée devrait alors être replacée en détention.

Par ailleurs, la personne condamnée doit avoir utilisé toutes les voies de recours à sa disposition avant qu’une telle ordonnance ne soit rendue et sa condamnation doit être définitive. Pas qu’un problème biologique Cette mesure pourrait-elle être efficace contre les violences sexuelles ? Pour Prisheela Mottee, présidente de l’ONG Raise Brave Girls, elle s’apparente davantage à une solution miracle (quick fix) qu’à une initiative visant à traiter le problème à sa racine. Elle souligne qu’à notre époque, la violence sexuelle revêt aussi un aspect social car, souvent, il s’agit d’une expression de pouvoir sur la victime ou une manifestation de troubles psychologiques et que, de ce fait, sa conception ne peut se limiter uniquement à son aspect biologique.

«Il est vrai que les violences sexuelles sont en hausse. Cependant, la castration chimique n’est pas une solution à laquelle nous sommes favorables. Si la LRC envisage cette forme de traitement consensuel qui réclame un investissement conséquent dans les ressources, je pense qu’il faudrait plutôt investir pour garantir que toute la population ait, dès la naissance, une carte de santé et un suivi psychologique et médical. Cela permettrait de suivre correctement toute personne et de mettre en place des mesures de soutien et d’intervention dès que des problèmes sont constatés.»

Même si le consentement est sollicité, poursuit Prisheela Mottee, un autre problème avec la castration chimique «est que l’administration de ces médicaments peut occasionner des effets secondaires chez une personne car l’organisme des uns et des autres réagit différemment. Et compte tenu de notre époque, même si nous réfrénons nos pulsions biologiques, rien n’empêchera la personne de commettre d’autres formes de violence sexuelle avec d’autres moyens, par exemple en réalisant des vidéos sexuelles d’une victime pour se venger.»

La LRC avance que la castration chimique, soit l’utilisation d’antiandrogènes (NdlR, médicament bloquant l’activité des hormones mâles), ne peut être considérée comme étant intrinsèquement cruelle et qu’elle aide plutôt le délinquant à renoncer à un comportement qui pourrait entraîner d’autres crimes et de futures peines. De plus, l’utilisation de substances chimiques n’est pas démesurée si l’on considère le tort causé précédemment et l’importance de prévenir la victimisation sexuelle. En outre, les droits des détenus doivent être mis en équilibre face à la protection de notre société, en particulier des groupes vulnérables tels que les enfants.

 Fonctionne-t-elle ?

En novembre 2021, le Pakistan a voté le Criminal Law (Amendment) Bill, qui autorise la castration chimique, bien que forcée, comme sanction possible pour les récidivistes de violences sexuelles. Plusieurs autres pays utilisent également la castration chimique comme punition pour les délits sexuels, y compris pour la pédophilie. Il s’agit notamment de la Russie, de l’Indonésie, de l’Australie et de l’Allemagne. Dans cette optique, la LRC propose une analyse de cette mesure appliquée en France, aux ÉtatsUnis et en Corée du Sud, pour prôner la castration chimique consensuelle.

Selon des études, la castration chimique s’est avérée efficace dans la réduction de la libido et du liquide séminal. Toutefois, cela n’a pas empêché les violences sexuelles ou les comportements agressifs, et la réduction du taux de testostérone n’élimine pas les risques de récidive, explique la Dr Micki Pistorius, psychologue résidant à Maurice et profileuse des Serious and Violent Crimes.Elle est en faveur de la sauvegarde absolue des victimes potentielles contre les délinquants de crimes sérieux et violents tels que les violeurs et pédophiles récidivistes.

«In my experience, even if a man has been castrated or is impotent, he can still penetrate a woman with a phallic object such as a bottle or a hammer. The danger lives in the sexual fantasies which makes these men act.» Dans le cas des violeurs sexuels récidivistes, explique-t-elle, «rape is a crime of violence and anger and the repeated sexual offenders should be incarcerated for life because records show that they recommit the crimes when they get out as they still have their fantasies.»

Dans certains pays tels que la France, des détenus volontaires pour la castration chimique peuvent bénéficier d’une remise de peine, décidée par un juge. Dès lors, lorsque nous parlons de castration chimique administrée en tant que traitement, cela signifie-t-il que nous visons éventuellement à relâcher les délinquants sexuels dans la société ? Cette question fait débat. En fin de compte, malgré les études, «such a therapeutic intervention does not have such a success rate that I would endanger the life of a victim», affirme la Dr Pistorius.

Démagogie pénale sans recherche

Si au niveau de certains pays, la castration chimique pour les délinquants sexuels récidivistes a été appliquée dans un cadre politico-légal, celle-ci comporte aussi son lot de complexités. À Maurice, ce n’est pas la première fois que cette mesure fait l’objet de discussions. On en parle depuis une dizaine d’années. Compte tenu de la situation actuelle à Maurice, le recours à la castration chimique est-il approprié et durable dans le cadre politico-juridique ? Selon Me Rama Valayden, avocat et ancien Attorney General, cette proposition nécessite une recherche et un débat plus approfondis dans un contexte plus vaste au lieu de suivre la tendance consistant à «tomber dans la démagogie pénale sans une recherche et une compréhension appropriées». Ceci, bien que cette mesure soit réalisable car le coût de l’administration de ces médicaments est relativement faible pour une personne qui se porte volontaire pour ce traitement.

Alors que l’origine de cette initiative semble provenir du projet de loi sur le Child Sexual Offender Register Bill et du débat parlementaire, qui a eu lieu en 2020 et au cours duquel Kalpana Koonjoo-Shah, ministre de l’Égalité des genres, avait soutenu l’introduction de la castration chimique, «les statistiques sur lesquelles la LRC se base sont très vagues et les taux de récidivisme sont très élevés pour tous les types de délits. On ignore aussi souvent l’environnement social et psychologique dans lequel vivent les délinquants. En tant qu’avocat, mon constat est que la majorité de ces personnes vit dans de petites maisons où tout le monde dort dans une seule chambre, dans des conditions de promiscuité incroyables, aboutissant parfois à des agressions sexuelles sur des enfants perpétrés par leurs semblables. Malheureusement, notre politique de logements n’a pas changé à ce jour», souligne l’avocat.

De plus, poursuit Me Valayden, notre système d’éducation publique est fondamentalement défaillant dans la mesure où «il ne protège pas l’enfant dès le départ et ne le sensibilise pas à l’éducation sexuelle au niveau pré-primaire ou primaire». Il va même plus loin en alléguant que, selon ses sources, depuis l’entrée en vigueur du Child Sex Offender Register en janvier 2022, registre géré par le commissaire de police, qui permet de contrôler et de suivre les personnes reconnues coupables de délits sexuels sur des enfants, «il n’y a eu aucun contrôle ni de suivi à ce sujet». En outre, compte tenu de l’aspect médico-légal du traitement consensuel à travers une injonction de soins, la présomption ici est de traiter les délinquants comme des personnes malades. «Si c’est ledit plan d’action, il devrait comporter, dès le départ, des suivis médicaux pour ceux qui ont une libido élevée ou incontrôlable, ainsi que l’introduction de cours de formation sur la gestion de la colère (anger management), de la violence domestique et du comportement (behavioural management) à plusieurs niveaux pour contrôler le problème plutôt que de venir plus tard avec une solution après l’incarcération», ajoute Me Valayden.

Par rapport à l’aspect des droits humains, le traitement de la castration chimique, même avec consentement, a aussi été débattu par des organisations telles qu’Amnesty International. «Il s’agit donc d’un dossier nécessitant de reconsidérer le rôle des services pénitentiaires, des hôpitaux, des psychologues, des psychiatres, ainsi que celui des probation officers et d’approfondir les recherches sur les aspects sociologiques car on ne peut se contenter que de simples récits», souligne l’avocat.

Un ancien détenu, qui a été maintenu en détention préventive pour un délit présumé autre que sexuel, et qui a eu des interactions avec des délinquants sexuels à haut risque, enfermés dans la même prison, donne son avis sur cette proposition de la LRC. «À mon avis, ces délinquants sexuels sont des personnes vraiment dangereuses et si la castration chimique peut aider à réduire leurs pulsions sexuelles, dans la mesure où elle est réversible et ne nuit pas à la capacité de la personne à avoir des rapports sexuels normaux par la suite, alors c’est acceptable. Je crois aussi que cela coûtera moins cher au gouvernement de les traiter plutôt que de les incarcérer.»

Cependant, «avant de l’appliquer, nous devons nous assurer de l’existence de preuves scientifiques récentes et appropriées pour définir des délits comme le viol car, à mon avis, nous avons encore des modes de pensée archaïques pour définir les termes. Étant donné que dans le milieu carcéral, nous avons déjà des lacunes par rapport au respect des droits des détenus, le système médico-légal et le front politique doivent nous rassurer sur le fait que la castration chimique ne sera pas utilisée comme une arme pour nuire intentionnellement aux personnes concernées, mais plutôt comme un traitement administré avec le consentement des récidivistes sexuels, dans l’intérêt public», estime cet ancien détenu