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Journée mondiale contre le cancer : Réduire les inégalités dans la prise en charge des malades

4 février 2023, 16:35

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Journée mondiale contre le cancer : Réduire les inégalités dans la prise en charge des malades

Jusqu’à l’an dernier, les malades du cancer, qui avaient les moyens, étaient obligés d’aller à La Réunion ou ailleurs pour passer un scanner de tomographie par émission de positons/tomodensitométrie (PET CT Scan), appareil d’imagerie localisant la position exacte des tumeurs cancéreuses dans le corps, permettant ainsi des traitements de précision. Depuis mai dernier, cet appareil est disponible au Aegle Cancer Hospital à Rose-Belle. Dr Teenushka Issarsing, gynécologueobstétricienne et Chief Executive Officer de la Aegle Clinic et de la Aegle Cancer Hospital, nous en parle à l’occasion de cette Journée mondiale contre le cancer. De son côté, Jérôme, 48 ans, raconte comment le PET CT Scan a réussi à identifier son mal, la maladie d’Hodgkin ou cancer des ganglions et permettre un traitement qui porte ses fruits. De son côté, Selvina Moonesawmy, coordinatrice à Link To Life, parle de ce que fait l’ONG pour rendre les soins contre le cancer plus justes.

Questions au Dr Teenushka Issarsing

Depuis quand le Aegle Cancer Hospital est-il opérationnel ?

Le Aegle Cancer Hospital est en activité depuis mai dernier. C’est un centre d’oncologie offrant des soins complets aux malades du cancer.

Vous êtes le seul établissement hospitalier à Maurice à proposer le PET CT Scan. Comment fonctionne cet appareil d’imagerie ?

Le PET CT Scan est un scanner à résolution avancée. Quand le patient débarque pour faire ce scan ou qu’il est référé par un médecin, il a droit à une consultation pré-PET CT Scan gratuite afin que l’oncologue de notre hôpital puisse avoir une idée de quel type de lésions il s’agit. Ensuite, on lui injecte la FDG, substance radioactive à base de sucre et dont les principes restent actifs dans l’organisme pendant 110 minutes. Le patient doit se reposer dans une salle pendant 45 minutes, le temps pour ce produit radioactif de pénétrer son système vasculaire auquel chacun des organes est rattaché. Les tumeurs cancéreuses, qui sont une multiplication de cellules de façon non organisée, sont assoiffées d’énergie et dès que la FDG entre dans le système sanguin, elles l’absorbent. Une fois le temps d’attente écoulé, le patient est dirigé vers la salle de PET CT Scan où son corps entier est scanné. Le résultat est visible sur moniteur. Les cellules cancéreuses scintillent dans le système vasculaire ou dans les organes, démontrant là où se situe l’activité cancéreuse. Les résultats de ce PET CT Scan, disponibles dans les 24 heures, sont interprétés par notre équipe de radiologues nucléaires et à partir de là, l’oncologue et son équipe interprètent les résultats du PET CT Scan pour le malade et si nécessaire, les investigations plus poussées vont démarrer. Dépendant des cas, les biopsies subséquentes permettront de définir le traitement à suivre, à moins qu’il ne soit décidé de basculer directement sur l’ablation, la chimiothérapie ou l’immunothérapie.

Et quid de la radiothérapie ?

Nous serons en mesure de démarrer la radiothérapie très bientôt car nous avons déjà l’appareil de radiothérapie, un Electa Versa 4D Model Robotics, qui est en phase d’installation. La technologie suédoise, qui provient d’un des meilleurs fabricants de ce type d’appareils, permet la destruction très précise des cellules cancéreuses. Le PET CT Scan vient des États-Unis.

Votre FDG pour PET CT Scan vient d’où ?

Nous la fabriquons à travers un appareil, le Cyclotron, qui vient des États-Unis et, le 13e existant dans le monde. Il a été placé dans une aile séparée de l’hôpital. Une aile blindée au plomb car la FDG est une substance radioactive. Tout a été fait selon les normes internationales.

Qui calibre ces appareils high-tech ?

Nous n’avons rien laissé au hasard. Comme nous traitons avec le nucléaire, avant la construction de l’aile, nous avons soumis nos plans à l’International Atomic Energy Agency et à la Radiation Safety and Nuclear Security Authority, qui est un organisme mauricien. Les deux ont vérifié la construction et l’installation des équipements. L’organisme local vérifie désormais le seuil de radioactivité alors que le calibrage et le monitoring du PET CT Scan sont effectués par un ingénieur du fabricant américain. La maintenance se fait tous les six mois car il faut s’assurer que l’appareil reste à un niveau State of the art. Mais si besoin est, nous pouvons communiquer en ligne n’importe quand avec le fabricant.

Qui manie ces équipements dans votre hôpital ?

C’est malheureux mais les techniciens mauriciens n’ont pas encore l’expertise voulue pour le faire. Nous avons une équipe d’étrangers qui les fait fonctionner, à savoir une physicienne médicale malgache, diplômée en médecine nucléaire en Autriche, deux ingénieurs pakistanais et un technicien PET CT indien.

Les médecins des autres établissements hospitaliers privés vous réfèrent-ils leurs malades du cancer ?

Certains le font mais pas tous. Les malades, qui ont fait un PET CT Scan à l’étranger, sont conscients qu’ils peuvent le faire ici. Il y a trois types de patients qui viennent faire le PET CT Scan, ceux dont le médecin traitant suspecte une lésion cancéreuse et nous les réfère, ceux qui sont en traitement et dont il faut en vérifier l’efficacité, et les malades en rémission pour voir que le cancer n’ait pas récidivé. Il y en a aussi ceux qui sont conscients de leur santé et qui veulent faire un bilan à titre volontaire. Depuis notre ouverture, nous avons traité plus de 2 000 patients dont presque 40 % venaient des Seychelles, des Comores, de Madagascar. Nous sommes le deuxième centre dans l’océan Indien, après le Centre Hospitalier Universitaire de La Réunion, à avoir cet appareil d’imagerie, qui permet de détecter le cancer à un stade précoce.

Combien d’examens de PET CT Scan avez-vous fait jusqu’ici ?

Depuis mai, nous en avons fait plus de 750. Nous avons aussi eu jusqu’ici plus de 600 admissions pour chimiothérapie et immunothérapie. . Et 10 % de nos patients sont en rémission. Beaucoup sont encore en phase de traitement. Nous avons pratiqué plus de 35 chirurgies oncologiques. Plus de 30 de nos patients étaient des enfants et certains venaient de Rodrigues. Nous avons mis en place une Aegle Cancer Hospital Foundation pour subventionner ou traiter gratuitement les malades qui n’ont pas les moyens.

Combien coûte un PET CT Scan dans votre établissement ?

Dans les environs de Rs 25 000. Nous sommes en négociations avec certaines compagnies d’assurance pour qu’elles remboursent en partie les coûts de cet examen et que la procédure soit Cashless. Nous sommes en discussion avec d’autres organisations afin de faciliter le traitement des malades.

Même si ce coût n’est nullement comparable au coût d’un tel examen à l’étranger, tout le monde ne pourra pas se le permettre. N’est-il pas temps que le gouvernement subventionne cet examen pour les malades incapables de payer ?

Je ne peux vous répondre. Il faudrait poser la question au ministère de la Santé.

Combien vous a coûté l’aménagement de votre unité nucléaire ?

Nous y avons injecté Rs 700 millions.

Quel nouveau traitement avez-vous prévu cette année ?

D’ici le mois d’avril, nous allons mettre en place une unité de transplantation de moelle osseuse pour traiter les patients leucémiques. Nous allons installer deux unités pour pouvoir traiter deux patients à la fois. Les équipements viendront de Genève.

Jérôme*, 48 ans, éducateur, en rémission du lymphome de Hodgkin : «Je pensais que la maladie n’arrivait qu’aux autres»

La vie de cet éducateur de 48 ans, marié et père de deux enfants de 16 et 14 ans, tournait autour de l’enseignement, de sa famille et de son sport quotidien. Jusqu’à ce qu’il sente une grosseur sous son bras gauche. C’était en mars dernier.

Jérôme se rend alors dans un hôpital public et là, après un examen, le médecin lui conseille d’aller nager en disant que cette grosseur pourrait disparaître après six mois de natation. Etant sportif et convaincu qu’il est en bonne santé, il suit le conseil pendant quelques semaines mais au fond de lui, il se dit qu’il vaudrait tout de même mieux consulter un médecin du privé.

Le chirurgien qui examine la grosseur fait une biopsie, soit un prélèvement de la tumeur à des fins d’analyses et le résultat indique une forme de cancer. Jérôme fait la tournée des médecins et des cliniques et personne n’arrive à déterminer de quel cancer il s’agit. Là, Jérôme prend peur. «Ler dir moi cancer là pa défini, monn per. Kouma dir mo ti bisin prépare moi pou la mort.»

Un examen d’Imagerie à Résonance Magnétique indique qu’il a une autre grosseur dans le ventre. Jérôme est sous le choc car vu la vie saine qu’il mène, il pensait que la maladie n’était pas pour lui. «Je pensais que ça n’arrivait qu’aux autres.»

Comme il a mal au ventre, «douler ti komans pince moi», il consulte un autre praticien qui lui prescrit de la cortisone, d’abord pendant cinq jours, puis pendant 21 jours. Il a la présence d’esprit de se documenter sur le Net et découvre comment la cortisone, prise en grande quantité, peut être néfaste. «Cela aurait pu me tuer. Ce médecin faisait du Trial and error».

Ce qu’il ignore, c’est que les tumeurs se sont multipliées dans ses glandes lymphatiques, se rapprochant dangereusement de son système respiratoire. En mars dernier, un ami lui parle du Aegle Cancer Hospital qui va bientôt ouvrir. Il prend son mal en patience et en mai, lorsque cette clinique ouvre ses portes, il s’y rend, emportant avec lui son dossier médical épais. Après consultation, on lui fait un PET CT Scan. Et là, il découvre le nom du cancer qui le ronge, soit le lymphome de Hodgkin ou le cancer des ganglions lymphatiques. Il en a partout, au niveau du cou, du ventre, des cuisses.

L’oncologue et son équipe décident de lui administrer un protocole de six sessions de chimiothérapie. Les personnes souffrant d’un cancer et qui ont dû être traités par chimiothérapie et leurs proches savent à quel point ce traitement affaiblit et rend malade. Jérôme affermit sa volonté en sachant que s’il baisse les bras, sa famille sera découragée. Il refuse d’écouter cette petite voix au fond de lui qui lui dit qu’il ne s’en sortira pas. «Monn ale avec enn lesprit vainqueur.»

Même nauséeux après un traitement de chimiothérapie, il tient à prendre le volant et conduire jusqu’à chez lui. Il n’arrête aucune de ses activités, qu’elles soient professionnelles ou sportives.

Après sa quatrième «chimio», son médecin lui refait un PET CT Scan et là, surprise, les tumeurs malignes ont régressé par 70 %. Et lorsqu’il termine son protocole de chimiothérapie et qu’il fait à nouveau un PET CT Scan à la fin de l’année dernière, le cancer a totalement disparu. «Mo ti pe expect mo bisin gueri mais ti enn sok trouve ki mo finn complètement guéri.»

Tous les deux mois et pendant les deux prochaines années, il devra faire ce PET CT scan pour vérifier qu’il n’y ait pas de récidive. Le cancer, dit-il, l’a rendu mentalement et spirituellement plus fort. «Zordi mo pli bien ki n’import ki dimounn.» C’est ce mois-ci qu’il doit à nouveau se soumettre au PET CT scan. Cependant, il ne nourrit aucune appréhension. «Le cancer est une petite voix intérieure, qui nous déprime pour nous faire mourir plus vite. Il ne faut pas écouter cette voix. Il faut laisser les médecins vous soigner et renforcer votre mental et nourrir votre vie spirituelle».

Jérôme réalise que peu de personnes survivent au lymphome de Hodgkin. Il rend grâce à Dieu pour cette rémission qu’il estime miraculeuse. «Autrefois je priais. Maintenant, je prie deux fois plus. Le Christ a fait des miracles et il continue à le faire.»

*Nom fictif

Link to Life continue à militer pour l’accès aux soins

Disséminer l’information sur le cancer et rendre accessibles et gratuits les tests de dépistage contre cette maladie, c’est un des principaux objectifs de Link To Life, qui ce faisant, s’aligne sur le thème de cette Journée mondiale contre le cancer, valide pour encore un an et qui est «Pour des soins plus justes». C’est ce qu’explique Selvina Moonesawmy (photo), coordinatrice au sein de cette ONG.

L’accès aux tests de dépistage fait partie de la prévention et de la lutte contre les iniquités dans le traitement du cancer. Elle indique que lorsque Link to Life fait des sessions de sensibilisation à travers l’île, le personnel réalise que les gens n’ont pas accès à l’information adéquate concernant le cancer. «Beaucoup attendent l’apparition de symptômes pour se faire dépister, cela montre que le cancer est encore tabou.»

Si à son siège de Vacoas, cette organisation propose comme tests de dépistage à prix réduit la palpation, l’échographie des seins, le frottis, le dépistage du cancer de la prostate, lorsque l’organisation se rend dans les centres communautaires ou les Village Halls pour faire de la prévention, à part le frottis, tous les autres tests de dépistage susmentionnés sont gratuits. «Et dès qu’on suspecte une anomalie, on réfère aux hôpitaux ou aux cliniques. Les personnes qui sont dans le besoin et que nous référons pour la mammographie paient cet examen à moitié prix en clinique.»

Pour marquer la journée d’aujourd’hui comme celle de l’an dernier, l’Union internationale contre le cancer, qui définit chaque thème de cette journée mondiale, demande à toute personne ou entreprise sensible au cancer de participer en mettant sur son site une photo et une légende. L’an dernier, Link to Life a notifié ses partenaires à ce sujet et une trentaine de personnes l’ont fait. Cette année, elle n’a eu que trois réponses.

«C’est une lutte pour trouver des fonds et nous n’avons aucune aide du gouvernement principalement pour ce projet.»

Toujours dans l’optique de militer pour des soins plus justes, Link To Life organise un dépistage gratuit, le 8 février, à Rose-Belle. Le 10 février, Martine Ducler, une patiente du cancer, organise une expo-vente de tableaux d’artistes mauriciens à partir de 18 heures à la galerie Ilha Do Cirne à Pointe-aux-Cannoniers. Une grosse partie des recettes ira à Link To Life et servira à financer son plus important projet, qui est d’assurer le transport de 500 malades du cancer vers les hôpitaux où ils recevront leur traitement. «Il y a trois ans, Martine Ducler avait organisé une levée de fonds via la Mauritius Commercial Bank et obtenu Rs 300 000 pour Link to Life. Cette année, c’est une expo-vente de tableaux d’artistes mauriciens. Des entreprises nous financent aussi pour ce projet mais chaque année, c’est une lutte pour trouver des fonds et nous n’avons aucune aide du gouvernement principalement pour ce projet.»

Selvina Moonesawmy rappelle que Link to Life offre un service de counselling gratuit trois fois la semaine sur rendez-vous avec le psychothérapeute Emmanuel Maurice. Ce mois-ci, Cindy d’Unienville, art thérapeute, animera une session d’art thérapie pour les adultes-patients souffrant de cancer. L’an dernier, ces sessions, adressées aux enfants, avaient connu un vif succès.

Finalement, Link to Life fera bientôt un rebranding de son logo. La couleur rose sera abandonnée car elle est surtout associée au cancer du sein alors que cette ONG fait de la prévention contre tous les types de cancers.