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Eddy Lagrosse, établi au Canada : Il retrouve son île pour être la voix des sans-voix
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Eddy Lagrosse, établi au Canada : Il retrouve son île pour être la voix des sans-voix
Eddy Lagrosse, sexagénaire mauricien, établi à Port Hardy au Canada, a débarqué dans son île natale, dimanche dernier, après plus de 25 ans. Cela fait la deuxième fois qu’il vient à Maurice, après son grand départ à l’âge de 12 ans. Cette fois, il y vient dans un but précis : être la voix des sans-voix, surtout de ceux placés dans les institutions et obligés de quitter ces établissements à 18 ans. Cette idée lui a traversé l’esprit après lecture d’un article sur Jérémy, un sans domicile fixe laveur de voitures, qui avait été chassé par la police à Port-Louis.
Alors qu’il célébrait toujours les fêtes de fin d’année avec sa famille, Eddy Lagrosse n’arrêtait pas de penser à l’article qu’il avait lu quelques jours auparavant sur Jérémy. Depuis, il ne parvenait plus à chasser de sa tête le vécu douloureux de ce dernier, notamment l’épisode relative à son adoption. «Quand j’ai lu l’histoire de Jérémy, j’ai pensé que cela aurait pu être moi. Je me suis dit que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que des enfants comme lui puissent s’exprimer. Quelque part, c’est mon frère, je ressens sa douleur car nous avons eu presque le même vécu. Quand on a grandi dans un foyer, il y a beaucoup d’émotions que l’on doit refouler ou surmonter. Ce sont des sentiments qui ne nous quittent plus», souligne ce père de deux enfants. Après avoir discuté avec ses proches, il décide d’entreprendre un voyage à Maurice pour venir en aide à Jeremy et à d’autres jeunes, qui sont obligés de quitter les institutions à 18 ans, souvent en n’ayant nulle part où aller et vivre. Ainsi, dimanche dernier, il a débarqué à Maurice en compagnie de sa fille et de son meilleur ami, les valises remplies de cadeaux pour ses ‘frères’ et ‘soeurs’.
«Parfois, lorsqu’on sort d’un foyer, il est très important de connaître ses racines afin de se recadrer dans la vie.»
Il souhaite rencontrer Jérémy. «Aucun bébé naissant ne regarde sa mère et le médecin qui a accouché cette dernière en disant qu’il veut être placé dans un shelter ou mis au couvent.Ainsi, à mesure que ces enfants placés grandissent, leur cœur est brisé, ils se sentent rejetés. Ils ne peuvent pas faire confiance et surtout, il n’y a personne pour leur apprendre à aimer ... Leur fournir un abri, de la nourriture et la sécurité, c’est bien mais cela ne répare pas un cœur brisé. Pour certains de mes ‘frères’ et ‘sœurs’ qui ont été abandonnés, les dégâts sont incroyables et insupportables. En tant que société, nous avons l’obligation de réparer le cœur de ces enfants.»
Rencontrer les autorités
Au cours de son séjour, ce sexagénaire compte solliciter une rencontre avec la ministre de l’Egalité des Genres pour abor- der ce sujet des enfants placés dans des foyers et qui doivent s’en aller à 18 ans, quelle que soit leur réalité, pour lui parler d’un projet qui lui tient à coeur.
Ce qu’Eddy Lagrosse souhaite, c’est sensibiliser les autorités sur les problèmes rencontrés par les enfants placés au sein des institutions. «Tel que je vois la situation et la façon dont les choses fonctionnent à Maurice, pour incapacité parentale ou abandon, les enfants sont placés dans des foyers et ils n’ont pas voix au chapitre. Ils ont été emmenés là par un travailleur social à la demande du ministère. Mais les objectifs du ministère pour ces enfants sont-ils atteints ? Ces enfants devraient être constamment suivis par un psychologue et chaque enfant doit être chapeauté par un responsable. Je ne parle pas que pour Jeremy, mais pour tous les enfants qui sont dans la même situation que lui. Cet encadrement constant permettrait d’avoir, au final, une communauté plus saine.»
Eddy Lagrosse fête ses 63 ans ce mois-ci. Contrairement à Jérémy, sa vie à Port Hardy a été remplie d’amour. Mais il aurait pu en être autrement s’il était resté à Maurice. Après sa naissance, sa grand-mère biologique l’a placé dans un couvent. Il n’a jamais connu sa mère, Régina, car cette dernière est morte peu après son placement. Mais il parle d’elle comme d’une femme courageuse pour avoir accepté d’aller au bout de sa grossesse. «Elle a dû prendre cette décision qui n’était sûrement pas facile pour elle mais qu’elle a estimé être la meilleure pour moi.» Au couvent, une visiteuse, Marie Thérèse Lagrosse, le remarque et s’attache à lui. Elle et son époux décident de l’adopter et en- clenchent les procédures d’adoption. Ils émigrent pour Canada lorsqu’il a 12 ans.
Absence de maisons de transition
Pendant longtemps, Eddy Lagrosse pense à sa famille biologique et déprime. C’est la descente aux enfers, à tel point qu’il sombre dans la drogue. «Un jour, j’ai demandé de l’argent à ma mère. Elle m’a dit qu’elle m’en donnerait certes mais a voulu savoir ce que j’en ferai. Je ne pouvais plus cacher mon tourment. Elle avait été si gentille envers moi que je devais être honnête envers elle. Je lui ai dit que je ne savais pas comment l’interroger à propos de ma famille biologique car je ne voulais pas lui faire mal et briser son cœur de maman. Elle a alors compris pourquoi je me droguais. Elle m’a pris dans ses bras et nous avons pleuré ensemble. Puis, elle m’a proposé d’aller voir ma famille biologique à Maurice.» C’est en 1994 qu’il va à la rencontre des proches de sa maman biologique et ces retrouvailles portent leurs fruits car depuis, il se dit guéri.
«À ma connaissance, le ministère de l’Egalité des Genres n’a pas mis en place une maison de transition pour ceux qui sont obligés de quitter les foyers à l’âge de 18 ans. Il faudrait peut-être faire des collectes de fonds. Je pense que ce serait une bonne idée d’avoir une organisation à but non-lucratif pour mener à bien ces collectes de fonds à cette fin. Pourquoi ne pas demander à plusieurs parrains et aux médias de l’île de travailler ensemble pour donner à ces enfants une chance de réparer leur cœur brisé. Parfois, lorsqu’on sort d’un foyer, il est très important de connaître ses racines afin de se recadrer dans la vie», estime Eddy Lagrosse.
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