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Faut-il taxer les plus riches pour soulager les plus démunis?

8 février 2023, 21:00

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Faut-il taxer les plus riches pour soulager les plus démunis?

Il passionne économistes, dirigeants syndicaux et politiciens, mais il les divise aussi. L’impôt sur la fortune est revenu polariser l’attention avec l’interview récente de l’économiste américain Joseph Stiglitz, lauréat du prix Nobel de l’Économie, au «Guardian». Il réclame une taxation des plus riches à 70 % pour lutter contre les inégalités. Sa proposition d’inspiration keynésienne suit celle de l’ONG Oxfam dans le sillage du «World Economic Forum» à Davos sur l’abolition des milliardaires, estimant que chaque milliardaire représente un échec de politique publique. Mais aussi la démarche au même forum où 200 millionnaires ont demandé à être taxés davantage pour le «bien commun».

Dire aux grosses fortunes d’un pays qu’il faudra les taxer à un taux plus élevé, vu qu’une partie de leur richesse provient d’un héritage familial ou autre et qu’elles l’ont obtenue par chance sans efforts physiques, peut, d’une part, relever d’une certaine logique. Mais, d’autre part, cela peut susciter des réactions hostiles, même si d’après Oxfam, «deux tiers des richesses produites depuis la pandémie sont allés dans la poche du un pour cent qui représente les plus riches dans le monde».

Loin de balayer d’un revers de main ses réflexions, voire ses propositions, celles-ci ont le mérite de nourrir le débat sociétal d’un sujet aussi délicat que tabou. Inspirent-elles véritablement nos spécialistes ? L’économiste Pierre Dinan note qu’elles émanent de personnalités de pays développés, qui devraient en leur âme et conscience se demander s’ils se soucient toujours des conditions qu’imposent aux pays dits du tiers-monde, notamment en commerce international. «Sans doute, ces conditions doivent bien être à l’origine de certains milliardaires de leur pays respectif. Mais s’il y a échec de politique publique, ce sont bien les conditions imposées par les pays puissants aux pays en développement.» Il ajoute que «le pays est bien placé pour le savoir, vu que le sucre de canne a été obligé de capituler devant la betterave, produite par des pays bien plus développés que nous».

L’économiste et ex-directeur de la Mauritius Employers Federation, Azad Jeetun, épouse cette opinion, estimant qu’il ne faut pas parachuter des propositions d’un pays développé dans un autre État n’ayant pas le même niveau de développement. Même si, d’une manière générale, ces réflexions peuvent donner matière à réfléchir et «qu’il ne faut pas réagir avec passion et émotion». «L’idéal est de comprendre le contexte local d’abord, réaliser ensuite une étude pour mieux comprendre les réalités du marché avant de prendre une décision fiscale.»

Pour autant, l’analyste financier, Imrith Ramtohul, trouve que des propositions visant à taxer les riches peuvent séduire un segment de la population car elles sont basées sur la philosophie consistant à prendre de l’argent des riches pour financer les programmes gouvernementaux afin de produire une société plus juste. Ce qui peut s’apparenter, dit-il, à un moyen facile de réduire l’endettement du gouvernement. N’empêche qu’Imrith Ramtohul est convaincu que les conséquences de taxer davantage les fortunés de la société doivent être sérieusement étudiées; sinon, c’est le pays qui sera le grand perdant à court et à moyen termes. «Il s’agit de trouver le juste équilibre.»

Sans doute, la proposition de Joseph Stiglitz pourrait être débattue à Maurice d’une manière dépassionnée par les différents stakeholders et trouver un consensus entre les partenaires sociaux pour destiner cette taxe à réduire l’écart entre la classe aisée et possédante et celle au bas de l’échelle – des disparités accentuées par la récente crise sanitaire et renforcée aujourd’hui par le choc inflationniste. Anthony Leung Shing, Country Senior Partner de PwC, pousse la réflexion loin. Vu le seuil d’exemption, privilégiant ceux au bas de l’échelle, seuls 18 % de la population active sont imposables, comparés à 48 % à Singapour. Le fardeau fiscal est donc déjà très concentré et la fiscalité n’est pas nécessairement le meilleur outil pour réduire les inégalités. «À mon avis, il faudrait revoir les dépenses publiques, éviter le gaspillage et mieux cibler ceux dans le besoin.» (Voir plus bas).

Opinion partagée par Sameer Sharma, expert financier et ex-haut cadre de la Banque de Maurice, exerçant aujourd’hui aux États-Unis. «Il nous faut un système fiscal équilibré qui permette de réduire la taxe sur la consommation et celle découlant de l’inflation. Car faire grimper l’inflation augmente mécaniquement et rapidement le PIB en termes nominaux. D’ailleurs, l’inflation réduit la valeur réelle de l’endettement des secteurs public et privé et se veut être en réalité une taxe sur les pauvres.»

Pire encore, l’intelligence artificielle remplacera un certain nombre d’emplois dans la prochaine décennie, surtout les jobs qui n’innovent pas. «Aussi longtemps qu’on n’arrive pas assez rapidement à éduquer notre main-d’œuvre, l’écart entre les riches les pauvres se creusera davantage. Malheureusement, très peu de politiciens comprennent cette réalité mondiale.» Parallèlement, il plaide en faveur d’opportunités sociales et économiques égales à toute la population, estimant qu’il faut adopter une approche pragmatique envers les dirigeants d’entreprises «en leur faisant devenir de bons citoyens où leurs intérêts s’alignent sur ceux du pays».

Concurrence féroce

Aujourd’hui, faut-il reconnaître que la répartition des revenus n’est pas équitable, venant au fil des années élargir le fossé entre la classe aisée et les économiquement faibles. Du coup, Azad Jeetun ne croit pas qu’avancer un taux d’impôt pour un pays est la bonne démarche, surtout dans un monde où la concurrence pour attirer des investissements, voire des compétences étrangères, demeure féroce. Il ne faut surtout pas que le taux de fiscalité constitue des contraintes additionnelles et décourage des professionnels à s’installer à Maurice. «Il ne faut pas qu’on retourne aux années 80 où l’impôt sur le revenu était excessivement élevé, plus de 60 %, ramené avec raison à 35 % par l’ex-ministre des Finances, Vishnu Lutchmeenaraidoo. En même temps, la proposition de Joseph Stiglitz peut nous entraîner à vivre le phénomène de la courbe de Laffer qui tend à démontrer que l’accroissement des taux d’imposition se traduit, au-delà d’un certain seuil, par un amoindrissement des recettes fiscales. Ainsi, avec un taux d’imposition de 0 %, les recettes fiscales sont carrément nulles», soutient Azad Jeetun.

Kevin Ramkhelawon, CEO de Business Mauritius, insiste dans le même souffle que le pays a cruellement besoin d’investissements et de talents étrangers pour passer à une nouvelle étape de son développement après la crise pandémique. Ainsi, sans une fiscalité légère, il sera difficile d’être compétitif et attractif pour gagner le pari de la croissance. Tout en reconnaissant, dit-il, la nécessité de travailler sur des formules pour améliorer la base fiscale.

Qualifiant la proposition de Stiglitz d’inappropriée, Pierre Dinan est catégorique. Avant de taxer davantage les «candidats» à une taxe de 70 %, ce qui se rapprocherait de l’effrayant et paralysant taux de 92 % atteint à Maurice à la fin des années 70, il faut commencer par rationaliser les dépenses publiques et éviter des discriminations fiscales de deux ordres: donner un traitement similaire aux propriétaires immobiliers des villes et villages du pays; cibler les bénéficiaires du basic retirement pension selon leur disponibilité financière.

Il insiste à cet effet que la pension de vieillesse doit être méritée. «Chassons de notre tête cette pensée que l’État nous doit une pension à l’âge de la retraite. Nous devons la mériter, sauf en cas de maladie ou de chômage prolongé. Ce qu’il faut à chacun de nous à l’âge adulte, c’est la fierté d’être un citoyen mauricien, capable de subvenir à ses besoins toute sa vie. La responsabilité de ceux qui ont choisi de diriger le pays est par ailleurs de lui assurer une saine et efficace gouvernance afin que ses citoyens puissent gagner dignement leur vie.»

Pour autant, Pierre Dinan estime que ce n’est pas une taxation des riches Mauriciens à 70 % qui mettra fin à tous les dysfonctionnements déjà évoqués. «Bien au contraire, ces riches Mauriciens s’en iront ailleurs avec leurs dollars et euros, hors de tout contrôle possible par la Banque de Maurice, laquelle a les mains liées par l’accueil qu’elle fait aux riches étrangers venus jouir de leur fortune sur les plages mauriciennes.»

Sans doute sur un sujet qui déchaîne les passions, le consensus demeure difficile, voire impossible, entre les différents partenaires sociaux. Ce qui explique pourquoi seule une poignée de pays a pu introduire un impôt sur les grosses fortunes. Évidemment, il faudrait lancer le débat autour d’une nouvelle réforme fiscale en lien avec les nouvelles réalités économiques mondiales.