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Lauréats: le retour au pays hypothétique
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Lauréats: le retour au pays hypothétique
La liste des 49 boursiers de l’État a été dévoilée vendredi dernier. La plupart iront étudier à l’étranger. Doiventils rentrer après leurs études ? Doivent-ils en rembourser le coût ? Nous avons rencontré deux anciens : Angeli Pem Sinnasamy, lauréate du QEC en 2007, senior manager chez KPMG, mariée et mère d’une petite fille ; et Rishi Nursimulu, lauréat du RCC en 1999, fondateur et président de Dukesbridge, marié et père de trois garçons. Les deux experts financiers s’expriment sans langue de bois sur leur cheminement.
Parlez-nous de votre parcours…
Angeli Pem Sinnasamy (APS) :
J’ai étudié au Queen Elizabeth College. Ma passion pour la comptabilité et l’économie vient de mes professeurs, qui m’ont toujours soutenue et cru en mon potentiel, alors que je n’aurais jamais pensé devenir lauréate. À l’annonce des résultats, ma famille et moi étions émerveillées – beaucoup de larmes et de câlins, bien sûr. Être lauréate a été un tremplin. Sans cette bourse, je serais probablement allée dans une université locale et j’aurais choisi d’être plus proche de ma famille.
J’ai donc fait un BSc en Management with Accounting and Finance à l’université de Manchester pour son excellence académique. Comme c’est une ville cosmopolite, la décision était facile. Après ma deuxième année, j’ai décroché un stage chez KPMG Manchester, qui m’a proposé un poste permanent dans l’audit après mon diplôme. J’ai alors suivi le programme d’ACA pour devenir Chartered Accountant de l’Institute of Chartered Accountants in England and Wales. Ce furent des jours et des examens difficiles. En 2014, je rejoins KPMG de Maurice où je suis Senior Manager de l’audit.
Rishi Nursimulu (RN) :
Classé 6e au CPE en 1992, j’intègre le collège Royal de Curepipe où j’obtiens six unités au SC en 1997 et je suis lauréat en économie en 1999. Moment historique, puisque sans cette bourse, je serais sûrement resté à Maurice. Je vais à la London School of Economics et en deuxième année du BSc Economics, on me propose un stage à la banque d’affaires Merrill Lynch, qui m’offre un poste permanent après mon diplôme et je déménage à New York pour une formation intensive en 2003.
Ainsi débute ma carrière en Investment Banking dans les grandes fusions et acquisitions financières. Les trois premières années sont intenses (100 heures par semaine, week-ends et nuits blanches au bureau), mais je donne tout. Je voyage beaucoup entre les Amériques et l’Europe et j’acquiers une expérience considérable – vente d’ABSA à Barclays (USD 2 Mds), démutualisation et IPO de Standard Life (USD 10 Mds) et acquisition d’ABN AMRO par Royal Bank of Scotland (USD 100 Mds). En 2006, la banque parraine mon Executive Management Programme à la Wharton Business School en Pennsylvanie. Je bouge ensuite au bureau de Sydney où je rencontre Shannon que j’épouse deux ans plus tard. Sydney, un rêve devenu réalité. La crise financière mondiale frappe en 2008 et Merrill Lynch est rachetée par Bank of America. La Commonwealth Bank of Australia m’offre alors la responsabilité de la gestion financière du groupe où je travaille sur deux acquisitions majeures (BankWest à Perth et Vietnam International Bank à Hanoï). Je deviendrai ensuite viceprésident des fusions et acquisitions de Société Générale à Londres en 2010, avant de rejoindre la Barclays où je dirige une équipe conseillant l’UKFI sur les investissements britanniques et le ministère des Finances néerlandais. Cependant, en 2013, un problème de santé me fait comprendre que le moment est venu. En 2014, je décide de rentrer pour un meilleur équilibre travail - vie personnelle.
Pourquoi avoir choisi ce secteur et pas un autre ?
APS : Quand j’étais chez KPMG Manchester, j’ai réalisé que j’étais attirée par le travail : rencontrer de nouvelles personnes, comprendre le fonctionnement des entreprises, relever et surmonter des défis quotidiens, voyager pour les affaires, travailler dans une entreprise orientée vers l’humain et apprendre toujours de nouvelles choses, l’audit étant en constante évolution. Les premières années furent difficiles, surtout lorsque je terminais mon ACA en parallèle aux longues heures de travail. Cependant, cela rend plus fort et on développe constamment des compétences.
RN : J’ai toujours pensé à créer une entreprise sociale, mais pas comme activité principale. J’étais, après tout, un banquier accompli. Mais tout arrive pour une raison. Ma déception du secteur financier local s’est avérée une bénédiction déguisée. Six mois après mon retour en 2014, je lance la première école Dukesbridge à Moka. Deux élèves et un professeur. Un début très modeste. Shannon et moi retroussons nos manches et nous appliquons au four et au moulin. Nous menons des recherches approfondies pour développer un service selon nos souhaits : une éducation ludique mais solide axée sur l’enseignement du bonheur, basée sur le curriculum australien et à moitié prix des autres écoles internationales.
Heureusement, Dukesbridge devient rapidement très populaire. Quelques mois plus tard, nous sommes complets et la liste d’attente est longue. Nous sommes reconnaissants aux premiers parents qui ont cru en nous et nous ont encouragés. Huit ans plus tard, j’ai l’honneur de diriger un groupe de 200 employés qui forment la prochaine génération, nos futurs leaders. Ma motivation : les enfants. J’adore rêver et créer avec eux et je m’accroche à cette phrase de Nelson Mandela : «L’éducation est l’arme la plus puissante que l’on puisse utiliser pour changer le monde.» C’est ma contribution à la nation.
Pourquoi avoir décidé de rentrer ?
APS : Je savais que je reviendrai un jour. Après six ans de jours sombres et pluvieux, j’étais très homesick. Chaque vacance renforçait mon envie de revenir. Ce retour m’a permis de partager mon expérience chez KPMG UK et d’une culture différente ici. J’ai aussi rattrapé le temps perdu loin de ma famille. Je ne regrette pas ma décision même si parfois les virées shopping beaucoup moins chères à l’étranger me manquent.
RN : Je connais beaucoup de lauréats qui sont revenus grâce aux incitations fiscales à la diaspora. Mais je suis revenu un an avant et n’en ai donc jamais profité. Plusieurs facteurs ont influencé mon déménagement. L’un était l’aspiration à une meilleure qualité de vie. En Europe, on travaille de longues heures et les médecins m’avaient conseillé de ralentir mon rythme. Nous venions d’avoir notre deuxième enfant et pensions que Maurice offrirait un meilleur style de vie à une jeune famille avec l’aide domestique et le soutien familial disponibles. Nos enfants devaient aussi passer du temps avec leurs grands-parents et découvrir leurs racines. Home is home. J’aime ma famille, mon pays. Le timing est important cependant. En 2014, j’avais déjà couvert la plupart des continents, conseillé gouvernements et entreprises et dirigé une banque d’investissement internationale. Je me sentais prêt à servir mon pays et cela restera mon désir jusqu’à mon dernier jour.
En tant que lauréat/e, vous auriez pu trouver pas mal d’opportunités ?
APS : Bien que je sois toujours reconnaissante pour la bourse de la MCB Foundation, je crois que c’est un mythe qu’être lauréate signifie plus de portes qui s’ouvrent. Cela m’a offert une vie académique enrichissante et l’opportunité de devenir indépendante dans un pays inconnu. Cela m’a ouvert des portes à des emplois et à acquérir une précieuse expérience de travail à l’étranger, mais ma progression de carrière a été soutenue par la méritocratie et le travail acharné. Bien sûr, mon exposition internationale, mes compétences et mon expérience seront reconnues par de nombreuses entreprises. Bien qu’être lauréate fasse bonne figure sur un CV et soit un accomplissement, les compétences, l’éthique de travail, le travail acharné et l’expérience cumulée sont les meilleurs atouts.
RN : À Maurice ? Mais non ! On vous dit de rentrer pour contribuer au développement… mais comment ? À deux reprises, j’avais toutes les compétences pour le poste de PDG de deux institutions financières, mais finalement, le poste est allé à quelqu’un d’autre. J’ai vite compris que le secteur financier à Maurice est un club. Je n’ai ni la couleur de peau, ni l’association politique pour le rejoindre. Vous connaissez l’expression «nul n’est prophète en son pays» ? Au début, on se sent frustré. Comment expliquer qu’ailleurs, j’ai conseillé des gouvernements alors que dans mon pays, je n’ai même pas accès à ces personnes ? J’ai dit à la Banque centrale que j’étais disponible pour servir gratuitement. Cependant, je salue deux personnes qui ont reconnu mes compétences : Anil Currimjee (CEO du groupe Currimjee) et Mark Van Beuningen (CEO du groupe CIM). Leur confiance m’a beaucoup aidé moralement. Sans eux, je ne serais peut-être pas resté…
Quels conseils aux jeunes qui veulent travailler dans ce secteur ?
APS : L’audit vous permet de développer votre sens des affaires, d’affiner vos qualités relationnelles et de devenir résilient face à l’adversité. Les premières années sont difficiles, car vous jonglerez avec le travail et les examens pour obtenir votre ACA ou ACCA – mais cela vaut la peine. En cas de difficulté, vous aurez le soutien de vos supérieurs. Mes patrons ont toujours soutenu mes objectifs, mes ambitions et mes préoccupations. Surtout, restez fidèle à vous-même.
RN : Le monde de l’éducation change. La pandémie nous a obligés à trouver des alternatives. Un petit avant-goût de l’avenir... Les écoles du futur ne seront pas celles du siècle dernier. Je termine un diplôme en ligne de conversion en droit avec une université londonienne. De vrais cours et des discussions intenses avec de vraies personnes à travers le monde. La technologie et l’IA continueront d’influencer l’industrie ; soyez flexibles. Qui sait ? Ne vous contentez pas de copier les autres mais trouvez votre niche. L’éducation des enfants à besoins spéciaux est un créneau à explorer même si cela demande efforts et patience. Entourezvous de personnes qui croient en vous.
Comment jongler entre vie familiale et vie professionnelle ?
APS: As you grow older, you realise the importance of a good work-life balance. Je gère ma vie professionnelle et familiale et j’ai la chance d’avoir le soutien de mes parents, ma belle-famille et de mon époux qui ne craint pas de briser les stéréotypes de genre pour s’occuper du bébé et de la maison. Avoir une carrière et une famille est possible. J’ai une routine avec ma fille dès que je quitte le bureau jusqu’à son coucher, qui m’aide à ne pas me sentir coupable. Avec le travail à domicile chez KPMG, j’ai la flexibilité de travailler à mon rythme. If work spills over after working hours, I work together with the family so that everything is taken care of.
RN : Mieux depuis mon retour il y a presque neuf ans. Cela demande une planification intelligente et un travail efficace appris au début de ma carrière dans la finance. Comme je suis du matin, je fais beaucoup de travail avant de déposer mes enfants à l’école. J’essaie de faire toutes mes réunions en tête à tête le matin. Cela me laisse libre l’après-midi pour de l’exercice et du temps en famille. Le samedi matin, notre routine est un brunch dans la capitale et quelques weekends par an pour nous détendre et nous amuser. Cependant, il n’y a pas de formule magique. Chacun doit comprendre les besoins de son corps et de son cerveau. l
Votre message aux jeunes…
APS : L’éducation est importante. Travaillez dur et investissez dans votre carrière. Cependant, ce n’est pas la seule chose essentielle. Saisissez les opportunités, découvrez le monde, voyagez, continuez à apprendre – passe-temps ou nouvelle compétence, concentrez-vous sur votre santé mentale et trouvez le bonheur dans les petites choses.
RN : Aux nouveaux lauréats, profitez au maximum de vos aventures à l’étranger. Travaillez dur car les opportunités ne sont pas les mêmes qu’ici. Saisissez l’opportunité à deux mains et courez avec. Développez vos compétences, soyez proactifs. Ne soyez pas un onetrick poney. La société vous a peut-être défini comme un gourou académique, mais il faut bien plus pour réussir dans le monde réel. Vous pouvez exceller dans plusieurs domaines ; poursuivez-les et ne vous limitez pas. Musique, danse, théâtre, arts, sports… ne sont pas une perte de temps. Au contraire, ils vous aident à grandir en tant que personne. N’oubliez pas qu’il n’y a rien de mal à échouer. La vie sera parfois difficile. Si vous tombez, vous vous relèverez. Ce n’est pas la fin. Enfin, revenez avec un esprit humble. Ne vous attendez pas à ce que le pays vous accueille à bras ouverts ; qu’on vous présente un éventail d’opportunités. Devenez un visionnaire et explorez de nouvelles voies. Je suis reconnaissant de ne pas avoir trouvé d’emploi dans la banque. Sinon, je n’aurais peut-être jamais lancé Dukesbridge… Il y a un temps pour tout. Profitez de chaque étape du voyage.
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