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Drame de Mare-Longue: émotions et questions

19 février 2023, 16:00

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Drame de Mare-Longue: émotions et questions

Émoi. Effroi. Incrédulité. Deux pèlerins ont perdu la vie alors qu’ils revenaient de Ganga Talao. Un accident qui a envoyé une onde de tristesse à travers tout le pays, les larmes des familles n’ayant laissé personne insensible. Ce drame remet la question de la taille des «kanwars» sur le tapis : faut-il légiférer ? Le débat fait rage alors que le gouvernement a mis sur place un comité ministériel pour se pencher sur les processions religieuses.

Tristesse. Vendredi matin, les Mauriciens se réveillent hébétés avec cette sensation étrange ; celle qui laisse un arrière-goût amer. Le brouillard s’estompe. La veille, la nouvelle est tombée comme un coup de massue sur la tête, une chape de plomb sur le cœur. Derrière les paupières à demi closes, les images – terribles – défilent. Le kanwar a pris feu; le drame a fait des morts, des blessés... Pourquoi ? Comment ? Aurait-on pu éviter ça? Que faire?

Détresse. Les cris, les pleurs, d’une mère, le visage déformé par la douleur atroce. Son enfant âgé de 21 ans, Rohan Doorjean, l’a quittée. La peine est immense également chez les Dhookeeya. Parmeshwar, 35 ans, s’en est allé lui aussi. Dans les rues d’Albion, les larmes se mêlent au parfum lancinant des fleurs blanches des gerbes mortuaires. Sous le ciel bleu-morose, la pluie de messages de sympathies ne peut effacer le sentiment de perte chez des proches et amis inconsolables, terrassés par une horrible souffrance. Les «om shanti» ont remplacé les «har har Mahadev».

Stupeur. À quelques pas de là, allongé sur un lit, un des rescapés. Ce qu’il ressent ? Une indescriptible peine. De la colère aussi. Sa foi est ébranlée, les «et si» lui trottent dans la tête. «Serpan-la so latet kinn tap ar difil kouran, lerla linn pran difé. Ti éna bending wire ladan.» La joie a été évincée par l’affliction. Ses amis sont partis, ils ne joueront plus au foot ensemble ; ils ne pourront plus «met enn ti program». Difficile de se remémorer cette tragédie. «Mo lipié inn brilé, banla inn tir mwa anba kanwar, sinon mo oussi kapav mo pa ti pou la.» Les flammes, les crépitements du plastique, du métal sont gravés dans sa mémoire. La fatigue morale et l’épuisement physique prennent le dessus. Ses brûlures et cette tragédie laisseront des séquelles indélébiles.

«Serpan-la so latet kinn tap ar difil kouran, lerla linn pran difé. Ti éna bending wire ladan.»

Rage. Est-ce la fatalité ? Qu’aurait-on, pu, dû faire ? Doit-on observer un silence religieux ? Le débat est de taille. Les avis divergent, divisent. Les «dépi lontan ti bizin mét lalwa pou pa fér gro kanwar parski dimounn pa konpran. Pa koz sa aster-la? Bé kan pou koz sa, kan pou ré-éna mor?» font face aux «pa kozé, pa zot problem, pa vinn fer polémik isi, bann anti-hindous». Vendredi, le gouvernement a mis en place un comité ministériel qui sera chargé d’évaluer la situation puis proposer un cadre pour les processions, notamment. Oserat-on légiférer en ce qu’il s’agit des gros kanwars? La mesure sera-t-elle trop impopulaire?

Simplicité. Retour aux sources. C’est en 1898 que le pandit Jhummon Giri Gossayne, un «Shiv bhakt» fait un rêve, dans lequel des fées le conduisent à un endroit situé au Sud. Quelques jours plus tard, il se rend à l’endroit indiqué en compagnie d’un ami, le pandit Sajeewon. À son grand étonnement, l’habitant de Triolet découvre l’étendue d’eau qui sera alors connue comme Pari Talao (NdlR, lac où habitent les fées). Il y installe un Shiva lingam et décide dès lors d’effectuer le «yatra» vers GandBassin tous les ans, portant sur ses épaules un petit kanwar en bambou – une statue présente à Grand-Bassin est dédiée à celui qui est considéré comme le premier pèlerin. En 1972, de l’eau est ramenée du Gange en Inde puis déversée dans le lac sacré, qui deviendra alors Ganga Talao. Pourquoi les kanwars, eux, ont-ils changé de forme et de taille au fil des ans ?

Compétitions

Introspection. «C’est une façon pour les jeunes de s’exprimer, de faire parler leur créativité. Il ne faut pas les décourager», affirme avec conviction le pandit Trishna, qui officie à Grand-Bassin. «Ce qui s’est produit est infiniment regrettable. Mais je ne condamne pas les dévots, surtout les jeunes, qui perpétuent les traditions et la culture à leur manière. Mais il faut faire attention à la taille des kanwars, être prudents, penser à la sécurité; ça fait des années que nous le disons nous aussi.» Son opinion sur les kanwars transformés en tables de mixage pour DJ en herbe ? «Je suis pour la créativité mais il y a des bornes à ne pas dépasser. Parfois, les musiques qui accompagnent les kanwars ne sont pas appropriées et n’ont rien à voir avec des bhajan…»

Changement. Ils sont connus pour leurs petits kanwars. Les membres d’Écroignard Sociocultural Group sont pourtant parmi les premiers à avoir lancé les «structures imposantes», avoue Mayoor Soobron, secrétaire de l’association. «Oui, il y a des compétitions qui sont organisées au niveau des shivalas ou village councils à plusieurs endroits pour voir qui a le plus beau ou le plus gros kanwar… Nous fabriquions nous-mêmes des calèches avec des chevaux, des représentations de Vishnu et Arjuna, des générateurs, de la musique ; de 1994 à 2013, nos kanwars étaient tout sauf petits…»

Réalisation. En 2013, le déclic se produit. «Nous avons eu un problème avec les roues du kanwar et nous pensions davantage aux problèmes que cela engendrait qu’à Shiv, au pèlerinage ou à la prière. Bann dimounn ki ti pé passé dan loto ou dan bis, nou ti pé litéralman kapav trouv zour nou lor zot lalév… Nounn réalizé ki nou pé pénaliz lézot… Au retour, on s’est dit qu’il fallait revoir tout cela.» Depuis, le kanwar taille XXL n’est plus d’actualité pour le groupe. «La créativité c’est bien mais il ne faut pas oublier la spiritualité. Ena inn vinn karéman diskotek, li pa korek.»

Égo. L’avènement des réseaux sociaux a-t-il contribué à grossir les kanwars? Oui, selon Mayoor Soobron. «Fodé bann média oussi zwé zot rol, évit posté foto bann gro kanwars. Pa kontribié à sa lamod-la, ki dir gété, mo kwanar pli gro pli zoli… Bizin pass bon mésaz bann zénés ki pé lévé pou bann mantalité sanzé.»

Interrogations. Le décès de Rohan et de Parmeshwar, les blessures des autres kanwartis suffiront-ils à faire évoluer les perceptions ? Orgueil et préjugés sont-ils trop profondément ancrés ? Peut-on avoir foi en l’avenir ? Dieu seul – et les autorités peut-être – le savent.