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Rajen Valayden: «L’enquête de l’ICAC est une farce qui va sauver Franklin d’une condamnation»
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Rajen Valayden: «L’enquête de l’ICAC est une farce qui va sauver Franklin d’une condamnation»
Le domaine de prédilection de notre invité, c’est l’économie. Mais il porte une attention particulière à l’économie parallèle et au blanchiment d’argent. Il dit avoir croisé le nom de Franklin bien avant que celui-ci ne fasse son malheureux «coming-out» qui lui vaut aujourd’hui d’être derrière les barreaux. Mais Franklin ne semble pas émouvoir Rajen Valayden plus que ça. «Encore une histoire qui ne s’attaque pas au problème de fond et à l’ampleur du ‘’deep state’’», dit-il.
Sur TopFM cette semaine, au sujet de Franklin, vous avez plusieurs fois répété «nous avons enquêté». Vous avez donné quelques pistes qui par la suite se sont avérés. Est-ce à dire que votre magazine Capital s’apprête à sortir une investigation sur l’homme et ses affaires ?
Non, pas exactement. Disons qu’au cours des précédents sujets traités, notamment sur le poids de l’économie parallèle, on nous avait présenté cette piste, parmi beaucoup d’autres. Mais nous n’enquêtions pas sur l’homme à l’époque. Nous n’avions pas les infos qui aujourd’hui éclatent au grand jour. Ce n’était pas le sujet. Celui-ci était plus économique avec une tentative d’évaluer la quantité d’argent provenant du trafic de drogue, du blanchiment d’argent et d’autres sources illicites, qui est injecté dans l’économie réelle.
Donc, 50 % du PIB, dites-vous ?
Le FMI en 2015 l’avait évalué à 26 % du PIB. Mais bon, le FMI se base sur des données que lui transmettent les autorités locales. On garde les précautions d’usage devant ces données en sachant qu’il est coutume d’avancer des chiffres pour rester dans le «politiquement correct». Au-delà de sans doute cacher la vérité au FMI, le gouvernement mauricien ne connaît peut-être pas la vérité.
Franklin n’est qu’un cas parmi beaucoup d'autres donc ?
Oui. Combien d’autres ? Difficile à dire tant l’argent blanchi arrive à se faire une place dans l’immobilier, l’automobile, la restauration, le retail, l’agro-industrie, le tourisme et, j’en passe. Franklin semble n’être qu’un pion dans un vaste système qui nous semble bien rodé. Ce qui est sûr, c’est qu’il est une grosse source d’embarras. Pour beaucoup, «il faut sauver le soldat Franklin» pour éviter d’autres déballages. Excusez-moi, mais je ne me fie pas une seule seconde à cette soudaine générosité de l’ICAC à communiquer sous forme de «fuites» ou «sources anonymes» à la presse au sujet de Franklin. Ce dernier n’est concerné que par un type de drogue – le gandia – dans une économie qui comprend l’héroïne, la cocaïne, les cristaux, l’amphétamine et, évidemment, le synthétique. Or toute l’attention est tournée vers un homme, un produit, alors que c’est une vaste industrie.
«L’argent blanchi arrive à se faire une place dans l’immobilier, l’automobile, la restauration, le retail, l’agro-industrie, le tourisme…»
Depuis que l’affaire a éclaté, l’ICAC convoque, interroge, arrête, s’il le faut. Elle montre ses muscles et on ne peut plus lui reprocher une quelconque «passivité».
Vous plaisantez, j’espère !
Je fais juste mon travail qui consiste à défendre ceux que vous accusez. Même si des fois, c’est indéfendable !
(Rires). Au-delà de l’inaction contre Franklin durant tout ce temps, il y a une inaction généralisée devant tout ce qui se passe dans le pays. Après tout ce temps à ne rien faire contre Franklin, je ne peux que conclure que tout ceci n’est qu’une mise en scène. Je ne doute pas une seule seconde que, quand Franklin sera traduit en justice, il n’y aura aucun dénouement. On assiste à un aiguillage de l’enquête pour qu’il obtienne un non-lieu. C’est cela la vérité et n’ayons pas peur de le dire. Vous pensez vraiment que l’arrestation de Franklin et les interrogatoires des prête-noms sont vraiment en train de kas lérin mafia ladrog et nous faire gagner la guerre contre le blanchiment de l’argent sale ?
Qui tire les ficelles ? Celui qui peut demander à – et obtenir de – l’ICAC de «fer sanblan» ? Ça doit être quelqu’un de très puissant.
On ne peut que spéculer. Mais ce qui est sûr c’est qu’il y a un deep state (NdlR : un état parallèle avec un financement illicite) et il s’est renforcé depuis 2015. Dans les années 80, la Commission Rault a apporté son lot de révélations. Le témoin vedette Raffick Peerbaccus avait expliqué comment à l’époque le chef de l’ADSU percevait des mensualités de Rs 25 000. Pour comprendre ce que cela représentait à l’époque, c’était plus que le salaire du Premier ministre. C’est de l’argent injecté dans l’économie. Il a servi de capital dans plusieurs secteurs et l’argent a été blanchi. Rien n'a changé depuis.
Au contraire, on assiste à un pourrissement à tous les niveaux et cela remonte à la surface. Nous avons touché le fond. Ce n’est pas moi qui le dis ; c’est Pravind Jugnauth qui l’a dit en 2016 : «La mafia a infiltré toutes nos institutions.» On l’a tous entendu dire cela. Qu’a-t-il fait par la suite ? L’a-t-il combattu ? L’ultime personne qui devrait légalement et moralement assumer la responsabilité de l’état actuel des choses, c’est le Premier ministre. Sans qu’il ne soit lui-même le chef de la mafia, Pravind Jugnauth doit accepter le fait qu’il a été au pouvoir depuis 2017 et que, de son aveu même, il dit être la personne la mieux informée. Il doit pouvoir répondre aujourd’hui à la question : «qu’avez-vous fait ?». Aujourd’hui, la police n’inspire plus confiance. Les citoyens ne veulent plus dénoncer le trafic de drogue. Par peur de représailles, à cause du risque réel d’être balancé aux trafiquants par les policiers, ils se murent dans le silence et assistent impuissants.
Laissez-moi vous faire une révélation. Une semaine avant que le bateau transportant le Mauricio n’accoste, la police avait déjà été informée de la présence d’un colis de drogue à bord. La police a fouillé certains véhicules mais ne savait pas où elle était cachée. L’informateur a demandé une certaine somme d’argent pour donner plus de détails. La police a refusé et on a vu ce qui s’est passé par la suite. Un employé a accidentellement découvert la drogue dans une tractopelle. Écoutez, nul besoin de mener de grandes enquêtes journalistiques. Maurice est officiellement reconnu comme un point de transbordement de la drogue entre l’Asie et l’Afrique. Cela veut tout dire.
Une des premières institutions qui doit mener la guerre contre le trafic de drogue, c’est la police. Vous lui faites confiance ?
Avant d’enquêter sur le trafic de drogue, il faudrait peut-être enquêter sur la police. Combien de hauts gradés se sont enrichis ? Combien d’entre eux ont acheté des véhicules en payant cash ? Quel est le train de vie de leurs enfants à l’étranger ? Que montrent leur compte en banque et leurs biens immobiliers ? Qui va faire ça ? Il m’est arrivé une fois de déposer à la police contre un médecin dans une affaire de négligence médicale ayant causé mort d’homme et les policiers me disaient : «Pa met nom minis lasanté ladan. Kifer ou bizin met so nom ?» Maintenant vous me demandez si je fais confiance à cette police ? Dans les années 80, il y avait le film Un flic dans la mafia. Aujourd’hui c’est «la mafia dans la police» et le bras de la mafia dans la police n’est qu’un de ses nombreux tentacules. Cambistes, banquiers, sociétés d’investissement, concessionnaires de voitures, agences immobilières, avocats, notaires, opérateurs touristiques.
Revenons à Franklin. Pourquoi, d’après vous, s’est-il révélé au grand public ?
L’arrogance du pouvoir et le sentiment d’impunité; c’est tout. Protégé, il se sent tout permis. Voilà pourquoi il a répliqué de cette manière quand il s’est senti visé.
Répliqué ? Mais personne ne l’attaquait. Bruneau Laurette avait juste parlé d’un trafiquant dans l’Ouest. Il ne l’avait pas cité.
Vous savez Al Capone ne s’est pas fait arrêter pour ses trafics. Il s’est fait rattraper pour une affaire d’évasion fiscale. Quand on se sent au-dessus de la loi, on commet des erreurs.
Une erreur qui en valait la peine pour Franklin dans la machinerie anti-Laurette ?
C’est clair que Franklin personnifie une convergence d’intérêts de ceux qui veulent couler Bruneau. La façon dont les médias propagandistes du pouvoir ont utilisé ce que Franklin a dit contre Bruneau veut beaucoup dire. Mais ce n’est qu’un aspect de l’affaire.
«L’argent blanchi arrive à se faire une place dans l’immobilier, l’automobile, la restauration, le retail, l’agro-industrie, le tourisme…»
Vu le nombre de filets entre lesquels Franklin a pu naviguer – MRA, ICAC, commission rogatoire, ministère des Affaires étrangères, postes de police, ADSU, Attorney General – ce n’est pas complètement farfelu d’imaginer que l’homme jouit d’une très haute protection, n’est-ce pas ?
Ce serait une erreur de croire que Franklin est un imbécile. Il maîtrise beaucoup d’aspects du système.
«Li pa konn lir mé li konpran…»
Oui. Ekzak. C’est vrai qu’il semble qu’il y ait une main invisible sur sa tête qui lui permet d’ouvrir beaucoup de portes. Je me demande même qui a présenté Franklin à son avocat, Yatin Varma. Ça ne date pas d’hier…
(On l’interrompt). Après avoir «connect the dots», vous estimez que cette main invisible est policière, politique, ou les deux ?
C’est ce que je suis en train de vous dire depuis le début. Ce deep state est vaste. Il englobe l’État au sens large. C’est un autre pays dans le pays, vous comprenez ? La classe politique n’en est qu’une partie. Vous pensez vraiment que les grands comptables, actuaires, économistes du grand secteur privé ne voient pas, ne ressentent pas – voire ne bénéficient pas de – l’apport de l’argent sale dans le circuit monétaire ? Il ne faut pas faire une fixation sur la classe politique. C’est une redoutable machinerie. Si vous me demandez mon opinion, je ne fais même plus confiance au judiciaire.
Y a-t-il un lien Jagai-Franklin ?
Le nom de Jagai seul apparaît dans plusieurs endroits. Nous devons questionner même les raisons de la création de la Special Striking Team (SST), l’équipe créée pour lui et qui fait doublon avec l’ADSU. Se concentrer sur Jagai et mon opinion sur lui n’est pas productif. Il réduit le débat à un homme. Or, c’est la réalité qui compte. Cette réalité, c’est qu’en dépit de l’ADSU et de la SST, il y a toujours de la drogue sur le marché.
Rs 13 milliards de drogue ont été saisis et on arrive toujours à en trouver sur le marché. Vous ne trouvez pas ça bizarre ? J’insiste sur le fait qu’autant qu’il est tout à fait compréhensible que l’affaire Franklin cristallise notre attention, il est tout autant important de garder une vue d’ensemble. Je vous l’ai dit dès le départ, quand toute l’attention est rivée sur Franklin et Jagai, la voie est libre pour d’autres acteurs de ce deep state. Attention que Franklin ne devienne un decoy de circonstance.
Ce n’est pas le sens de ma question. Vu que vous avez vos sources autour de l’affaire Franklin, à l’heure où l’on se parle, au-delà des suppositions, vous avez quelque chose de concret qui lierait Jagai à Franklin ?
Non.
L’explication de Pravind Jugnauth sur la photo avec Franklin et Rikesh Sumbhoo – qui a poussé Manish Gobin à tenir sa fameuse conférence de presse – vous a convaincu ?
Je ne pense pas que ce soit cette photo qui ait poussé certaines personnes à forcer Manish Gobin à tenir une conférence de presse. Je pense qu’il s’agissait plus d’une anticipation d’autres photos qui peuvent paraître. Nous avons compris que cette photo a été prise à Rodrigues où Pravind Jugnauth était en mission et où le couple Franklin-Sumbhoo était en vacances. Il faut reconnaître que de nos jours, les personnalités se font prendre en photo tout le temps. On ne s’attend pas à ce qu’un politicien fasse une due diligence sur tout individu qui lui demanderait un selfie. Sans banaliser ce que peut représenter une photo, il ne faudrait pas non plus tomber dans l’extrême où tout individu en photo avec une personnalité serait synonyme de connivence ou de complicité. Il ne faut pas faire des amalgames et associations rapides. Cela ne veut pas dire que l’association n’existerait pas. Mais des conclusions hâtives sans fondement apportent l’anarchie et ne rendent pas service à la quête ultime de la vérité. Par contre, je ne fais aucunement confiance à Pravind Jugnauth. Sa façon de tout le temps dire «mo pou expliké plitar ; si lapolis vinn dimann mwa mo ava réponn». Il avait dit qu’il irait déposer devant la commission d’enquête sur la drogue. Il ne l’a pas fait. Donc quand c’est une photo de Pravind Jugnauth, il souffre dès le départ – avec raison – d’un déficit de crédibilité. Donc, je ne vais ni défendre Pravind Jugnauth sur cette photo, ni faire des conclusions hâtives sans en connaître les tenants et aboutissants.
Parlons de Manish Gobin. Avant 2014, c’était un militant de la presse libre, avec un esprit avant-gardiste et progressiste. Il a été un des collaborateurs de votre journal, «Capital». Comment expliquez-vous la courbe de son cheminement à partir de 2015?
Je connais très bien Manish Gobin. En fait, Yatin Varma, Manish Gobin et moi-même sommes amis depuis le collège. Manish a collaboré avec Capital ; il en était à un moment l’avocat et il s’est ouvertement exprimé, par exemple, en faveur d’une Freedom of Information Act, l’approfondissement nécessaire de la démocratie. Il dénonçait l’arrestation arbitraire des journalistes. Aujourd’hui, il est méconnaissable. Il illustre parfaitement la capacité de transformation que porte le pouvoir. Il vient défendre l’indéfendable. Ses positions sont extrêmes et elles encouragent même le communalisme. C’est déplorable.
Si quelqu’un comme Manish Gobin s’est fait broyer par le système, «we are doomed» ! Fermons boutique et allons vivre ailleurs.
Non, il ne faut pas perdre espoir. On se rend compte que Manish Gobin finalement n’avait pas d’idéologie. Il n’est rien de ce qu’il prétendait être. Mais ce n’est pas une raison pour perdre espoir. Après tout, la lutte contre le deep state ne peut pas venir d’en haut. C’est la base, le peuple qui, à force de s’étouffer et de s’étrangler, va, par instinct de survie, y mettre fin.
«On se rend compte que Manish Gobin finalement n’avait pas d’idéologie. Il n’est rien de ce qu’il prétendait être.»
L’affaire Franklin, comment ça va finir ?
Depuis notre indépendance, il y a toujours eu des dénonciations. Vous avez-vous-même été l’auteur de nombreuses révélations. Mais quelle en a été la suite ? C’est un pays où tout est short-lived. Les gens oublient vite et passent à autre chose. Un scandale chasse un autre. Malgré tout ce que l’opposition d’aujourd’hui, d’hier et de demain dénonce, les choses ne bougent pas. Franklin, c’est une autre page de notre livre. Avec la même histoire et la même fin. Old wine in new bottles. Nous faisons notre devoir.
«Franklin, ce n’est qu’un type de drogue – le gandia – dans une économie qui comprend l’héroïne, la cocaïne, les cristaux, l’amphétamine et évidemment, le synthétique.»
Le défi de Manish Gobin à Xavier-Luc Duval pour qu’il pose une PNQ sur l’affaire Franklin en disant «lerla nou ava gété kisanla ki ena lien ar kisanla dan l’Ouest », c’est du sérieux ou du bluff ?
Si Manish Gobin était sérieux et qu’il avait une quelconque information sur les ramifications d’un quelconque membre de l’opposition avec le trafic de drogue, pourquoi doit-il attendre une question ? Il est de son devoir d’agir tout de suite. Chaque minute qui passe, la drogue tue et enrichit des individus sans scrupule au détriment de ceux qui travaillent dur et honnêtement. Mo pé dir Manish Gobin pa vinn fer badinaz. Face aux questions parlementaires, le gouvernement dit «vinn déor to dir sa san liminité parlmenter» et quand l’opposition, hors du parlement, parle de narco state, Manish Gobin lui dit «vinn dir sa andan». Il faut être sérieux et aret badiné.
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