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Rouben Mooroongapillay: «L’éventuel appel du DPP maintiendrait Bruneau en prison pour au moins trois mois…»
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Rouben Mooroongapillay: «L’éventuel appel du DPP maintiendrait Bruneau en prison pour au moins trois mois…»
C’est une des chevilles ouvrières du panel légal de Bruneau Laurette. Rouben Mooroongapillay, c’est l’homme de l’ombre. Celui qui va trouver les témoins de la défense, l’homme qui «connect the dots» pour établir le «planting». Cette interview qu’il nous livre, il en est conscient, n’est pas une plaisanterie. Il doit naviguer entre ce qu’il a le droit de dire, et ce qu’il doit dire – et révéler – pour expliquer que la thèse du «piège» avancé par son client est absolument crédible, plausible et réelle.
Il y a plusieurs affaires et procès satellites à l’affaire Laurette : Franklin et son empire, l’affidavit de votre client, la déposition de Dominique Raya vendredi, les étonnantes conditions de sa liberté sous caution, ou encore la controverse autour de la constitution de la Special Striking Team (SST). On est donc parti pour une très longue saga ?
Pas forcément. Si la police assume son rôle et enquête comme il le faut, on arrivera très facilement à une conclusion. Or, si certaines personnes tirent les ficelles, et ce, dans tous les sens, et s’il n’y a pas la volonté d’enquêter, nous allons tourner en rond. Malheureusement, Bruneau Laurette a été arrêté depuis novembre et les choses n’avancent pas dans ce sens-là. Mon client affirme que tout cela a été orchestré – j’ai tendance à le croire –, mais la police ne semble pas faire ce qu’il faut.
Il y a effectivement beaucoup d’éléments. Mais notre chronologie est simple. Le 29 octobre 2022, lors d’une manif à Port-Louis, il formule de graves allégations contre l’ADSU et la SST. Il prend formellement le nom du chef de la SST; il mentionne «40 kilos de drogue à Rivière-Noire». Le 2 novembre, deux jours avant son arrestation, il publie un post Facebook où il parle de trois personnes dans une pratique qui s’appelle «ligne blanche», soit la vente de cocaïne auprès des jeunes. D’ailleurs, il vient d’en parler dans son affidavit. Puis, une vidéo apparaît. Celle-ci le dépeint comme un trafiquant de haschisch où l’on voit sa voiture derrière. Il ne faut pas oublier que fin octobre, Bruneau Laurette publie, sur Facebook, les quatre premiers chiffres d’une Range Rover qui est sur le parking d’un poste de police du sud-ouest.
Ce que l’on découvrira plus tard, c’est qu’elle appartient à Franklin, exact ?
Tout à fait.
Permettez. On comprend que vous êtes très enclin à nous dépeindre le contexte qui motiverait qu’on le piège. Mais tout ce que vous venez de dire, ajouté à toutes les autres affaires qui gravitent autour et que je mentionne dans ma première question, tout cela ne rend-il pas un «très long procès» inévitable?
Ce n’est pas cela qui fait que ce sera long. C’est au rythme où vont les choses. La demande de bail a pris plus de deux mois. Mais ce ne sont pas les éléments que vous avez cités qui fait que ce sera long. C’est le fait que la police ose dire en cour que son enquête ne s’orientera pas en fonction des wishes de la défense. Ce qui contraste drastiquement avec la proactivité légale de Bruneau Laurette. Dès le premier jour, il a affirmé que la drogue a été plantée. Il a demandé qu’on sécurise les images CCTV, Safe City et Intelligent Traffic Surveillance. Il a demandé à la police de réclamer un ordre de la cour pour obtenir la liste de toutes ses activités téléphoniques; appels entrants, sortants manqués, messages, et l’inspection de son utilisation de données mobiles (NdlR, data). La police confirme en cour que c’est suite à la demande des avocats de la défense qu’elle a logé cette demande.
Dans l’affaire Kistnen, nous avons appris que les images de Safe City ne sont stockées que pendant 30 jours. Dès son arrestation, Bruneau Laurette a demandé qu’on sécurise les images entre le 19 octobre et le jour de son arrestation. Cela l’aiderait à démontrer le mécanisme, selon lui, qui a mené au planting et son arrestation. Or, on ne sait pas quand est-ce qu’il a formulé sa demande au Command Centre. Quand un accusé formule une défense, il est du devoir absolu et non négociable de la police d’enquêter dans cette direction. C’est le principe même du droit. Quelquefois, cela nous échappe. Mais ce n’est pas à l’accusé de prouver son innocence. Mieux, quand il donne des pistes de ce qui pourrait prouver cette innocence, la police doit tester.
Avez-vous aujourd’hui une idée et une réponse claire au procédé utilisé pour le planting qu’allègue votre client ?
Vous savez, avant son arrestation, je connaissais à peine Bruneau. On se croisait, on se saluait, c’est tout. Ce n’est qu’une semaine après son arrestation que j’ai été appelé à step-in pour sa défense. Ce qui m’a motivé à répondre à la sollicitation de Dominique Raya, la compagne de Bruneau, c’est que j’ai eu une information de quelqu’un, de la force policière, qui me fait comprendre que oui, il est fort probable qu’il y ait eu maldonne.
Vous allez nous révéler la teneur de cette information?
Cette information a une incidence très, très grave sur toute l’affaire. Mais je ne peux pas brûler cette source.
Pour le moment, vous voulez dire ? C’est une cartouche que vous préservez pour l’instant ?
La gravité de cette information fait que cette personne doit témoigner. Mais on ne peut pas la compromettre sans son consentement. Il faut qu’elle vienne de manière volontaire. Les conditions ne sont toutefois pas réunies pour cela. C’est à nous de travailler et d’orienter le procès pour que cette information se sache sans qu’on ait à brûler la source. Au vu de tous les autres éléments, c’est tout à fait réalisable. Et vous savez, beaucoup de personnes très informées nous donnent des informations. C’est toujours le cas dans toutes les grandes affaires, comme le meurtre de Michaela Harte ou encore l’assassinat de Kistnen. Mon travail consiste aussi à utiliser l’information sans embarrasser la source. Dans kot ou dansé, sot kot ou soté, lavérité li sorti. On ne se fait absolument aucun souci à ce niveau.
« Quand un accusé formule une défense, il est du devoir absolu et non négociable de la police d’enquêter dans cette direction. C’est le principe même du droit. Quelquefois, cela nous échappe. Mais ce n’est pas à l’accusé de prouver son innocence.»
Donc, vous savez comment Bruneau a été supposément piégé ?
Je me préserverai de répondre explicitement à cette question. Ce que je peux vous dire, c’est que quand on connect the dots, et qu’on voit tout ce qui se passe autour, mo éna full konfians dan saki mo kliyan pé dir. C’est une question d’expérience aussi. On arrive aujourd’hui à savoir quand un client vous ment, cherche des échappatoires, ou quand, en contraste, il vous dit toute la vérité.
Si Bruneau a été piégé, y a-t-il le risque qu’il ait été victime du crime parfait et que vous ne parveniez pas à prouver le piège et le «planting» ?
Beaucoup de confrères, non des moindres, qui se basent uniquement sur ce que l’on sait déjà, nous disent qu’en cour, nous allons gagner cette affaire. On sait tous que lors des débats pour la liberté conditionnelle, les preuves ne peuvent pas être assessed. Mais même sans ça, on voit une police embarrassée. M. Coothen (NdlR, le porte-parole de la police) a publiquement dit que la police avait des informations qui les conduisaient jusqu’à Bruneau. Pourquoi ce n’est pas une cour de justice qui a émis le mandat de perquisition ? La Dangerous Drugs Act permet à la police de demander à la cour un mandat dont la validité s’étend sur 30 jours. Pourquoi ce n’est pas ce mandat qui a été demandé ?
Qui a donc signé le «search warrant» ?
Notre client nous dit que les policiers lui ont montré un bout de papier et ils lui ont dit «warrant sa». Il pense que c’est M. Jagai lui-même qui avait signé sur le document. On a appris par la suite que c’est un warrant signé par l’ASP Gungadin. N’oubliez pas que c’est l’ASP Gungadin même qui, en refusant l’accès aux avocats suivant l’arrestation de Bruneau, avait déclaré qu’il est détenu in communicado (NdlR, quand la police se réserve le droit d’empêcher un suspect de pouvoir discuter avec qui que ce soit, même pas son avocat). Or, c’était complètement faux. Les procédures pour que ce soit une détention in communicado n’ont jamais été suivies. La preuve, Shakeel Mohamed a été autorisé à le rencontrer juste après. In communicado implique des reasonable suspicions. Il est impossible que ces reasonable suspicions aient subitement disparu au bout de 45 minutes. Les versions de la police sont tellement contradictoires dès le premier jour jusqu’à aujourd’hui, à l’heure où l’on se parle.
Rappelez-vous du video footage. En cour, la police dit détenir la vidéo de l’opération. On s’attend à ce que cette vidéo soit unedited & uninterrupted. Mon client a toujours dit qu’une telle vidéo démentirait les policiers. Or, la police a tenté de nous montrer plusieurs petites vidéos. Est-ce qu’on est sérieux là ? Que se serait-il passé si chez les Ah Tok la vidéo n’était pas en continu? On aurait pu croire qu’il y avait bien de la drogue derrière le canapé et que ce ne sont pas les policiers qui l’ont mise là…
(On l’interrompt) Permettez. La question, c’est de savoir si tout cela va suffire à prouver que Bruneau a été piégé. Le système dont l’activiste dit être victime n’est-il pas trop fort pour qu’il puisse le battre ? S’il est effectivement une victime, n’a-t-il pas été la cible d’un crime parfait ?
Je vous ai répondu. Je vous ai dit que la vérité finit toujours par remonter à la surface.
« Je ne vais pas parler de celui qui tirerait les ficelles. Ce qui est sûr, c’est que Bruneau est aujourd’hui politiquement beaucoup plus fort que ce qu’il ne l’était quand il a été arrêté.»
Se peut-il le moindrement que Bruneau Laurette avait la couverture parfaite pour s’adonner à du trafic de drogue ? C’est ce que disent ses détracteurs.
Mo pa trouv sa. C’est complètement absurde. Il se savait surveillé 24/7. Il sait qu’en tant qu’opposant, il est un des hommes à abattre, dans le sens métaphorique bien sûr. Il se baladerait avec 40 kilos ? Cela n’aurait pas été crédible, mais ce serait un tout petit peu moins grotesque que 40 kilos dans le coffre de l’homme le plus surveillé par le National Security Service.
Parlons du personnage Franklin. Allons droit au but. La clé de l’affaire, ce serait une protection qu’accorderait – j’insiste sur le conditionnel en attendant que M. Jagai accepte de nous répondre – M. Jagai à Franklin? C’est cela la théorie ?
Selon mon client, oui !
Pourra-t-il le prouver ?
Je vous renvoie à son affidavit. Je vous renvoie à son discours à la Place d’Armes le 29 octobre. Mon client ne m’a pas mandaté à le prouver ici dans cette interview. Ce que je peux vous dire, c’est qu’obtenir justice, c’est un cheminement qui demande patience, constance et détermination.
En parlant de patience, avec l’appel du DPP, Bruneau restera en prison pour combien de temps encore, selon vous ?
Il y a eu un stay of execution. Si le DPP va bien de l’avant avec son appel contre la liberté conditionnelle accordée à mon client, je pense qu’on est reparti pour encore trois, voire quatre, mois. On ne peut qu’espérer que cet éventuel appel soit très vite entendu par la Cour suprême.
Les conditions attachées à cette liberté étonnent certains. Interdiction de s’approcher de 500 mètres des côtes ; le GPS activé à tout moment ; vous les trouvez trop strictes ?
Moi, je pense que la magistrate a bien ficelé son ruling. C’est vrai que c’est chaud. Certains avec beaucoup plus de drogue n’ont pas été contraints à ce genre de conditions. Mais nous l’acceptons. D’ailleurs, l’aspect de la surveillance de mouvements 24/7 via GPS n’est pas nouveau. Dans l’affaire Sorefan (NdlR, accusé d’abus sur des mineurs en situation de handicap), c’est la même chose. Par contre, je suis étonné que M. Coothen ait dit publiquement que la police n’a pas les moyens de suivre cette instruction de la cour.
Bruneau Laurette s’est déjà mentalement conditionné à passer encore trois mois «andan» ?
Je ne lui ai pas posé la question, mais je pense qu’en tant que combattant muni de fortes convictions, si éna pou manz ar li, li bizin manz ar li.
Dans l’affidavit de Bruneau Laurette, nous voyons un prénom, puis l’initiale d’un nom de famille. Il pourrait s’agir de la fille d’une personnalité ?
Écoutez, c’est un affidavit que signe Bruneau Laurette. Quand le client donne des initiales, ce n’est pas à moi de lui demander de qui il parle. L’affidavit lui a été relu. Je pense qu’il assume pleinement son contenu.
Le dernier développement dans cette saga, c’est la plainte de Dominique Raya au sujet des activités notées sur le portable de Bruneau Laurette, alors que l’appareil est censé être entre les mains de la police. Pourquoi estce grave ?
C’est une évidence, non ? Faut-il que je vous rappelle ce qui s’est passé pour Akil Bissessur ? Tout le pays a été choqué. Ce qui est gravissime dans tout cela, c’est que le portable d’un suspect doit rester inaccessible, même aux enquêteurs. Ces derniers sont censés travailler sur la copie numérique réalisée, ce qu’on appelle un clone, ou une image en anglais, pendant que le portable reste sous scellé. Tous les avis techniques que nous avons reçus démontrent qu’il est impossible de quit un groupe WhatsApp à partir de cette copie numérique. Il faut un accès physique au téléphone en question. Nous avons exploré toutes les avenues possibles. Est-ce que le WhatsApp de Bruneau a pu rester linked à un ordinateur via un navigateur Internet sur un ordi ou via Desktop WhatsApp ? Impossible. Vous êtes automatiquement logged out au bout d’un certain temps. Se peut-il que le numéro de téléphone ait été à nouveau disponible et qu’une personne a acheté une carte SIM avec ce numéro et a pu télécharger le WhatsApp rattaché à ce numéro ? Impossible. Ce numéro est sujet à l’ordre d’un juge et un opérateur de téléphonie ne peut pas le remettre sur le marché. Ce qui s’est passé est terriblement grave. Et, pour l’heure, toutes les pistes mènent à ce que redoute Dominique Raya : la police est en train d’accéder au téléphone de Bruneau en dehors du cadre légal.
Avec la relative facilité de l’affaire au vu des nombreuses erreurs de la police que vous citez, se peut-il que, finalement, si piège il y a eu, ce serait pour que Bruneau soit juste incarcéré pour un moment ? Quitte à le voir être déclaré innocent au procès? La question est adressée au politicien, pas à l’avocat.
Bruneau est ce qu’il est. On a vu la foule du 29 août 2020. Si à un moment Bruneau avait certes moins de poids au niveau politique, avec une capacité de rassembler qui s’était amoindrie, son arrestation lui a incontestablement attiré une vague nationale de sympathie. Donc, je n’ai pas la réponse à votre question.
Celui qui tire les ficelles a joué une très mauvaise carte et a commis une grossière erreur ?
Je ne vais pas parler de celui qui tirerait les ficelles. Ce qui est sûr, c’est que Bruneau est aujourd’hui politiquement beaucoup plus fort que ce qu’il ne l’était quand il a été arrêté.
Avec la perquisition chez les beaux-parents de Sanjeev Teeluckdharry, règne-t-il un climat de terreur chez les opposants du pouvoir ? Si oui, avez-vous peur ?
Terroriser les opposants est une pratique dictatoriale. Je n’ai pas peur. Mais cela rassure ma famille par exemple que je ne laisse plus ma voiture dans la rue durant la nuit. Depuis l’arrestation de Bruneau Laurette, je la gare désormais dans le garage.
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