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A Surinam: Pravind Jugnauth flirte avec l’outrage à la cour
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A Surinam: Pravind Jugnauth flirte avec l’outrage à la cour
De Pierrefonds à Phoenix, le Premier ministre avait bien pris le soin de ne nommer ni Bruneau Laurette, ni la magistrate qui lui avait accordé la liberté conditionnelle, et encore moins le DPP. Or, à Surinam cette semaine, devant une assistance restreinte, Pravind Jugnauth – selon une bande-son diffusée par l’opposition PTr – a passé un autre cap. S’il a vraiment traité la magistrate d’«incompétente», aura-t-il franchi le Rubicon ? Dans ce jeu d’échecs avec le DPP et le judiciaire, a-t-il finalement baissé la garde et prêté le flanc ?
«Zamé monn trouv enn zizman enn mazistra bankal koumsa. Li enn inkonpétan. Li pa konpran mem ki appel lalwa», entend-on sur la bande-son diffusée par l’opposition travailliste. La voix ressemble à celle de Pravind Jugnauth. Le lieu de la tenue de ce discours : une réunion à Surinam. La bande-son est publique depuis vendredi et jusqu’à hier, Pravind Jugnauth n’avait pas encore démenti son authenticité. Dans cet extrait en tout cas, il était question de l’arrestation et de la libération de Bruneau Laurette. Sur ce sujet jusqu’à mardi dernier, le Premier ministre, prenait toutes les précautions pour ne nommer ni la magistrate, ni le DPP et il titillait subtilement le judiciaire et le DPP qui se retrouvent pris dans une guerre menée par l’exécutif représenté par le commissaire de police.
Si les propos qui lui sont attribués à Surinam sont bien les siens, «Pravind Jugnauth s’expose lamentablement à un outrage à la cour», observe un Senior Counsel. «Qualifier une magistrate ‘d’incompétente qui ne connaît pas les lois’ en commentant un jugement relève du délit de scandalising the court», explique notre interlocuteur. Il fait ensuite remarquer que l’autre outrage potentiel que commet Pravind Jugnauth (s’il est bien l’auteur de ces propos) c’est le viol du sub judice. Ce principe veut que personne ne devrait faire pression sur le judiciaire quand une affaire est en cours. Or, l’ordre de libération de Bruneau Laurette est bel et bien en cours puisque le commissaire de police a fait appel de cette libération. Qualifier cet ordre de «bancal comme on ne l’a jamais vu» est une forme de pression. Enfin, dit-il, ce qui est plus grave, c’est la pression exercée sur toute la magistrature. «Mettez-vous à la place de tous les magistrats après avoir entendu le Premier ministre. C’est le viol du principe de séparation de pouvoirs. C’est un climat de terreur.»
De là à imaginer le DPP enclencher des poursuites contre le Premier ministre pour «outrage à la cour», ce serait le climax – sans doute invraisemblable – d’une crise institutionnelle qui secoue le pays depuis un mois. Pour le prouver, le DPP, devra démontrer que Pravind Jugnauth «intended to undermine public confidence in the administration of justice or was subjectively reckless». C’est ainsi que le Privy Council avait décrit le délit quand il avait innocenté le journaliste Dharmanand Dhooarika en 2014. «Je ne vois aucune difficulté en ce sens. Pravind Jugnauth, selon les propos qui lui sont attribués, a bien voulu jeter le discrédit sur la magistrate et sa décision», analyse notre interlocuteur. «Même si le Premier ministre dit parler ‘comme avocat’, cela ne le dédouanerait pas», conclut-il.
Nous avons également présenter cette analyse à un avocat proche du pouvoir. «L’agacement du Premier ministre, engagé dans un combat sans relâche contre le trafic de drogue, a peut-être pris le dessus et il s’est laissé emporter. Mais il pourra facilement démontrer pourquoi la décision de la magistrate était erronée. Quant au qualificatif ‘incompétente’, je ne vois qu’une petite diffamation potentielle. Et puis, il faudrait savoir qui a enregistré, si cette personne viendra témoigner, et si au final, l’enregistrement est admissible en cour.»
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