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Affaire Franklin: le volet drogue mis de côté
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Affaire Franklin: le volet drogue mis de côté
Cela fait 44 jours que Franklin a été arrêté. Depuis, il y a eu une pléthore d’arrestations de prête-noms présumés et de saisies de véhicules de luxe, y compris un hors-bord. Mais après tout ce temps, plusieurs questions restent en suspens, surtout qu’en toile de fond, il y a une affaire de drogue qui n’a pas été évoquée jusqu’à présent. La raison est que l’enquête menée par l’ICAC se focalise sur le blanchiment d’argent.
Franklin a été condamné à sept ans de prison par un tribunal de l’île sœur pour trafic de drogue. Mais à Maurice, le volet trafic de drogue ne figure toujours pas au menu des enquêteurs. Pour l’instant, Franklin et tous ceux suspectés d’être ses prête-noms, y compris Nono, qui avait été également condamné avec Franklin à l’île de La Réunion, font face à des charges de blanchiment d’argent. Le volet drogue, pour l’instant, est totalement oblitéré par les autorités. Une source de l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU) avance qu’une enquête sur le trafic de drogue peut être ouverte uniquement en présence de preuves concrètes, c’est-à-dire si les stupéfiants sont retrouvés chez le suspect, ses proches ou des membres de son réseau.
Le secret des «droms» attendu
Le jugement de La Réunion, n’est-il pas une preuve ? «Non, vu qu’il a été condamné pour trafic de drogue déjà, il ne peut pas être poursuivi et condamné pour la même chose une deuxième fois.» Mais la zone d’ombre qui subsiste est que, malgré la condamnation, Franklin n’a pas purgé sa peine. Notre interlocuteur avance que la sentence doit être purgée dans le pays de condamnation. Au cas où Franklin est condamnée à Maurice pour blanchiment d’argent, le pays devra notifier les autorités françaises. «S’il purge sa peine ici avant d’être envoyé à La Réunion dépendra de ce qui sera convenu avec les autorités de là-bas.»
Pour rappel, Franklin avait été arrêté une première fois, le 15 avril 2019, pour possession de six grammes de cannabis. Le 15 septembre de la même année, il avait été trouvé en possession d’une somme de Rs 326 300 et, encore une fois, du cannabis. En 2020, Franklin a bénéficié d’un conditional discharge devant le tribunal de Pamplemousses. La condition imposée était un comportement exemplaire pendant un laps de temps. Dans le cas contraire, il serait condamné.
Depuis, des perquisitions ont été faites sur ses propriétés mais toujours pas de drogue. Il a toutefois été arrêté en octobre 2022 à La Prairie avec une somme de Rs 525 000 dans sa Range Rover. Franklin était alors en compagnie d’une Seychelloise. Ce soir-là, la seule charge qui a été retenue contre lui était failing to produce driving licence car il avait justifié être en présence de cette somme après avoir récolté les recettes de ses business…
Toujours est-il que ce n’est que 23 jours après l’arrestation de Franklin, soit le 2 mars 2023, que l’ICAC et plusieurs unités de la police ont fait une descente sur le terrain à bail de 50 arpents qu’occupe Franklin à Rivière-Noire. Sur place, deux barils vides enfouis sous la terre ont été découverts. Plus de 20 jours après, le rapport n’est toujours pas connu. Quand sera-t-il prêt ? «Incessamment.» Au niveau de la police, on explique que la demande d’analyse a été faite par l’ICAC et, de ce fait, à la lecture du rapport, si des traces de drogue sont trouvées, le dossier sera transmis à l’ADSU et ce n’est qu’à ce moment que l’enquête sur la drogue débutera.
Quant aux caméras CCTV installées un peu partout sur ce terrain, le forensic department de l’ICAC devait se pencher dessus après la descente. Mais pas d’informations disponibles sur les images Safe City dans la région de Rivière-Noire pour savoir s’il y a eu des preuves qui ont été enlevées du terrain à bail après l’arrestation de Franklin. À l’ICAC, on précise qu’en 2021 déjà, six officiers enquêtaient sur le terrain en question et ils avaient utilisé un drone pour voir ce qui s’y passait. Ils ont été pris d’assaut par les hommes de main de Franklin. «Il y a un risk factor à mener ce genre d’enquêtes, surtout quand des trafiquants y sont mêlés. La vie des officiers est mise en danger», avance-t-on. Du côté de l’ICAC, comme l’enquête s’oriente vers le blanchiment, d’argent le volet drogue ne tombe pas sous son escarcelle. «Ce terrain est un bien immobilier. Par contre, les prête-noms et les véhicules pouvaient facilement disparaître. On a même retrouvé des véhicules en pièces détachées.»
Qu’en est-il des appels téléphoniques entre les protagonistes arrêtés et d’autres personnes ? Pour avoir accès aux communications, la police doit faire une demande à un juge. Est-ce que cette étape a été complétée, ou, du moins, la demande déposée ? Oui, dit-on. Toujours est-il qu’au début du mois de mars, les enquêteurs de la Major Crime Investigation Team étaient aussi en attente des échanges concernant l’enquête débutée suite aux allégations de Franklin contre Bruneau Laurette concernant le «protection money».
Autre piste qui pourrait aider les enquêteurs est la route que le hors-bord saisi a effectuée. Les trajets peuvent être retracés du point de départ au point d’arrivée et pourraient livrer des informations pertinentes à l’enquête. À l’ICAC, l’on fait comprendre que cela sera bientôt fait…
Blanchiment sans crime
Fait étrange : les autorités elles-mêmes avancent que dans le cas de blanchiment d’argent, il faut généralement une «predicate offense», c’est-à-dire un crime commis en amont pour que la deuxième charge tienne. Un ex-enquêteur désormais à la retraite se remémore une saisie de Rs 52 millions dans la capitale, où l’affaire a été référé à l’ICAC. Mais en absence d’un crime pour prouver que l’argent est sale, l’affaire avait été rejetée. L’ex-enquêteur explique d’ailleurs qu’il est très difficile de remonter la filière de trafic de drogue lorsque l’enquête débute par le volet blanchiment.
Dans la foulée, l’ancien policier avance que parmi les protagonistes qui ont été arrêtés jusqu’à présent figurent des personnes pointées du doigt dans le rapport d ela commission Lam Shang Leen. «Kinn ariv Task Force ti mété pou fer lanket lor zot?» demande-t-il. Quant à Mᵉ Olivier Barbe, il avance qu’un suspect peut être interrogé si la police ou l’ICAC a des «reasonable suspicions». Cependant, pour une condamnation, il faudrait que le blanchiment soit prouvé «beyond reasonable doubt», même s’il n’y a pas de crime en amont. «Par exemple, si le train de vie d’une personne ne correspond pas à ses revenus et à ses biens, elle peut être poursuivie», dit-il. Ou encore, si l’ICAC arrive à justifier la charge de «unexplained wealth» qui tient sans autre charge.
Du côté de la commission anti-corruption, l’on explique que les règles sont bien établies. Une enquête parallèle à celle de l’ADSU ne serait pas judicieuse car elle a beaucoup d’implications. Un autre point avancé est que l’ICAC ne voudra pas qu’une autre unité s’immisce dans l’affaire pour ne pas avoir de conflits au dossier. D’ailleurs, une source explique que le travail de terrain sur Franklin avait débuté en 2016 et que, pendant sept ans, la commission a attendu qu’il commette un faux pas. L’on fait cependant ressortir que dans le passé, il y a eu des enquêtes qui ont été ouvertes, mais après des saisies de drogue.
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