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Stefan de Cazanove: entre résilience et espoir dans le judiciaire
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Stefan de Cazanove: entre résilience et espoir dans le judiciaire
Les charges formelles maintenant logées en Cour suprême, c’était le début de son procès il y a une semaine. Vêtu d’un costume bleu foncé, ce dessinateur et étudiant en droit, âgé de 37 ans, écoute attentivement la lecture des accusations. Mais cette fois, il n’est pas menotté car il a retrouvé la liberté provisoire il y a trois mois, après avoir passé plus de deux ans en détention préventive à la prison de Beau-Bassin après son arrestation en septembre 2020. Certains de ses proches sont présents, comme toujours, pour le soutenir. L’État lui reproche d’avoir importé en 2019 deux colis de 100 g chacun de cannabinoïdes synthétiques d’une valeur marchande estimée à plus de Rs 1 million. Stefan de Cazanove est donc poursuivi comme présumé trafiquant de drogue sous la «Dangerous Drugs Act». Après la lecture de chaque accusation, on lui demande s’il plaide coupable. Réponse : un «Not Guilty»plutôt ferme, qui captive l’attention de toute l’assistance. L’affaire est désormais fixée à juillet 2024. Stefan de Cazanove est représenté par Me Rodney Rama, avocat
Arrestation et détention arbitraires
Ce cas a fait la une de l’express en septembre 2022, après que nous ayons obtenu les lettres de Stefan de Cazanove et mené une enquête. Par la suite, de nombreuses lacunes ont été relevées dans cette affaire : ses proches nous en avaient témoigné, et Stefan lui-même dans ses lettres avait détaillé son arrestation et sa détention arbitraires.
Le 22 septembre 2020, quatre officiers auraient fait irruption dans sa maison sans mandat et auraient démantelé l’une des caméras de vidéosurveillance, avant de le forcer à monter dans leur véhicule pour une parade d’identification. Cela, par rapport à un incident datant de 2019 survenu devant un bar à proximité de son domicile, dans lequel la police cherchait à savoir s’il était impliqué. Toutefois, Stefan de Cazanove aurait été menotté et emmené dans les locaux de l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU) à l’aéroport, où il aurait été arrêté et informé qu’il était soupçonné de trafic de drogue à deux occasions.
En revanche, sa famille et lui-même, dans ses lettres, ont toujours maintenu qu’il avait effectivement commandé des produits chimiques – paint additives obtained online – pour ses œuvres d’art. Les lettres de Stefan de Cazanove évoquaient aussi des éléments incriminants, tels qu’insinuations raciales, menaces, chantage psychologique et pression pour signer des aveux. Devant son refus, les officiers auraient demandé à une policière de préparer un mandat et il aurait été incarcéré dans un poste de police, où sa photo aurait été prise. Ensuite, ses allers-retours à la Bail and Remand Court et sa détention préventive à la prison de Beau-Bassin ont duré plus de deux ans. D’autres aspects troublants ont également été révélés dans cette affaire : l’absence répétitive de l’enquêteur de l’ADSU concerné au tribunal, pas de preuve confirmée et de charges formelles pendant deux ans, mais pas de liberté provisoire. Des lettres avaient aussi été adressées à l’Independent Police Complaints Commission à ce sujet.
Par ailleurs, à la suite d’un jugement rendu en août 2022 dans le cas de James Clyde Hollingsworth – un cas similaire à celui de Stefan de Cazanove et qui est maintenant devenu un précédent judiciaire –, le Directeur des poursuites publiques avait retiré son objection à sa mise en liberté provisoire. Malgré le fait qu’il était désormais éligible à une libération sous caution, le montant de celle-ci fut fixé à Rs 350 000 en espèces, avec une reconnaissance de dette de Rs 1 million – un montant excessif, au regard d’un homme issu d’une famille modeste, privé de sa liberté et de sa capacité à toucher un salaire pendant deux ans. Finalement, en décembre 2022, quelques jours avant Noël, Stefan de Cazanove a pu retrouver la liberté provisoire après avoir fourni une caution de Rs 50 000 – montant revu à la baisse après un appel fait au tribunal.
L’art et la spiritualité, symboles de résistance
Comme le milieu carcéral peut faire craquer même les plus forts, les détenus doivent trouver des façons novatrices pour y faire face, nous raconte Stefan de Cazanove. «Quand on est opprimé, il n’y a ni race ni religion. On partage tous la même douleur, alors on trouve ce qu’il y a de bien chez l’autre et on fait preuve d’empathie. Cela nous amène à prier ensemble», explique-t-il. Lorsque les prières, la lecture et le dialogue ne suffisent pas, les détenus créent parfois des scénarios hypothétiques, tels qu’un dîner en famille ou la célébration de Noël en famille, qu’ils mettent en scène à partir de leur imagination pour se convaincre qu’ils ne sont pas confinés à l’intérieur de quatre murs.
Pour Stefan de Cazanove, dessiner était ainsi devenu plus qu’un passetemps ou une profession ; mais une véritable thérapie, lui permettant d’exprimer ses sentiments et ses angoisses à sa famille chaque fois qu’il lui écrivait. Cela, jusqu’à ce qu’une nouvelle règle carcérale stipule que les détenus n’avaient plus le droit de dessiner lorsqu’ils envoyaient des lettres à leurs proches. Mais il nous confie, avec un sens de contentement, qu’après que cette affaire ait été rapportée par l’express, les détenus ont été de nouveau autorisés à faire des dessins dans leurs lettres.
«J’ai confiance en la justice»
Si, sur le plan juridique, il y a davantage de développements au niveau psychosocial, il faut beaucoup pour pouvoir à nouveau se percevoir comme une personne «normale» et les luttes sont continuelles, nous confie Stefan de Cazanove. «J’ai tendance à faire des cauchemars et à me réveiller brusquement la nuit, pensant que je suis toujours dans une cellule. L’adaptation à la nourriture, même celle de la maison, a été très difficile, ce qui a entraîné des problèmes de santé. Ensuite, il faut s’adapter à tout un milieu social, qui évolue très rapidement. Par manque d’habitude, j’ai maintenant du mal à utiliser un simple ordinateur, car je n’ai utilisé que du papier et un stylo pendant plus de deux ans et que j’ai lu beaucoup de livres imprimés. Hors du milieu familial proche, il y a des gens qui vous jugent déjà coupable puisque vous avez été maintenu en détention, même si rien n’est de votre faute. Donc, ces relations changent et on perd aussi des gens que l’on aimait autrefois.» En attendant son procès en Cour suprême, en juillet de l’année prochaine, Stefan de Cazanove passe du temps avec sa famille et a recommencé à réaliser ses œuvres d’art. Il effectue aussi un apprentissage en droit avant de reprendre ses études interrompues par son arrestation. «Cela m’aide à faire face à la vie quotidienne, et je continue à garder confiance en la justice et dans le fonctionnement du judiciaire.»
Communiqué du CP
«guilty until proven innocent?»
<p>Alors que la contestation de la libération provisoire de Bruneau Laurette par le commissaire de police (CP) est en Cour suprême, dans son communiqué du 28 février, le CP a précisé que plus de 337 personnes sont actuellement en détention pour trafic de drogue (présumé), évoquant ensuite que <em>«(…) lawyers of the 337 drug traffickers may now come forward to apply for bail for their clients. These drug traffickers, if released, can have a negative impact on the population…»</em> Dans un article publié par LALIT Mauritius, la population carcérale totale était estimée à 2 444 personnes le 21 février 2023. Parmi eux, 52,7 % sont en attente de procès (pre-trial prisoners). Bien qu’un procès doit être entendu dans un délai raisonnable, il n’existe pas de définition explicite et précise des termes «délai raisonnable». En outre, avant d’accorder une libération sous caution, tous les aspects de l’équilibre entre les droits d’un détenu et les intérêts de la société sont examinés. Chaque cas est étudié en fonction de ses propres mérites et les conditions de remise en liberté provisoire, lorsqu’elles sont imposées, sont très strictes, pour contrer les risques de la libération sous caution d’un suspect.</p>
<p>Toutefois, une règle fondamentale doit être respectée dans tous les cas : la présomption d’innocence, jusqu’à ce que la culpabilité soit établie «<em>beyond reasonable doubt» </em>– non pas par la police ou la société, mais par le tribunal. Pourtant, dans son communiqué, le CP qualifie aisément ces détenus en attente d’un procès ou d’un jugement pour trafic de drogue (présumé) non pas de «<em>suspects»</em>, mais de <em>«trafiquants»</em> qui sont un danger pour le peuple. En d’autres mots, les a-t-il déjà condamnés avant que le tribunal ne prononce son jugement à leur égard ? Estime-t-il alors que ces personnes en détention devraient être définitivement privées de leur droit à la liberté – un droit constitutionnel – parce qu’elles sont soupçonnées d’avoir commis un délit qui reste à être prouvé <em>«beyond reasonable doubt» </em>en justice ? Quid de la présomption d’innocence ?</p>
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