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Tortures policières: quid des retombées dix mois après ?

26 mars 2023, 18:01

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Tortures policières: quid des retombées dix mois après ?

Le 28 mai 2022, des vidéos dépeignant des actes de brutalité et de torture par des policiers sur des citoyens avaient choqué les internautes. Entre plaintes, arrestations et transferts, des enquêtes ont suivi. Ainsi, l’«Independent Police Complaints Commission» (IPCC) a procédé à des auditions et a effectué des investigations. Ce dimanche 28 mars, soit dix mois après ces révélations, où en sont les choses ? Tour d’horizon.

Sur une chaise, un homme menotté et nu est entouré par des policiers. Il ne tarde pas à recevoir des décharges électriques d’un taser. Mais cette première vidéo, diffusée sur les réseaux sociaux par l’activiste Bruneau Laurette, le samedi 28 mai 2022, n’était pas un cas isolé. Deux autres vidéos montrant des hommes mis à nu, dont l’un était coincé dans une roue, subissant tortures, moqueries et humiliations, toujours par des officiers de police, avaient rapidement circulé, choquant l’île ainsi que les régions avoisinantes.

Aujourd’hui, cela fait dix mois que cette affaire a été révélée au grand jour. Que s’est-il passé depuis ? Plusieurs victimes, soit David Jolicoeur, Krishna Seetul et Deepak Jeeool, ont porté plainte pour torture et brutalité. D’autres dénonciations suivent. Sept policiers de la Central Investigation Division (CID) sont alors identifiés dans cette affaire. Quatre d’entre eux, affectés à la CID de Terre-Rouge, sont arrêtés sous une charge de «torture by public official», nommément l’inspecteur Kailash Derochoonee, interdit de ses fonctions après son arrestation par l’Independent Commission against Corruption dans une affaire de pots-de-vin, le sergent Poonith Reedoye et les constables Keertiwansing Gokhool et Baboo Ekantisingh Purgaus. Deux membres de l’ex-Anti Robbery Squad du Sud sont également arrêtés.

«Au fur et à mesure qu’on terminait les enquêtes, nous avons commencé à envoyer nos rapports au DPP depuis novembre 2022. Le dernier en date a été envoyé en janvier 2023.»

Une enquête est alors ouverte par l’IPCC. Quels en sont les tenants et aboutissants ? «À ce jour, il y a eu les grands cas qui ont fait la une des médias sociaux. Nous avons déjà complété notre enquête. Tous les dossiers sont en possession du bureau du DPP pour que cette autorité nous dise quel est le way forward», déclare Phalraj Servansingh, membre de l’IPCC. Selon lui, bon nombre d’auditions ont eu lieu dans le cadre de cette affaire. «Dans certains cas, on a entendu au moins sept à huit policiers, en plus des témoins, des victimes, etc. Les enquêteurs ont eu, pour les cinq cas concernés, environ une centaine de rencontres avec diverses personnes.»

Phalraj Servansingh précise que trois enquêteurs ont travaillé à plein temps sur ces cinq cas d’allégations de tortures policières. Pour l’heure, affirme-t-il, les observations ont été faites au terme de l’enquête et soumises en rapport au DPP, qui décidera de la marche à suivre. «Au fur et à mesure qu’on terminait les enquêtes, nous avons commencé à envoyer nos rapports au DPP depuis novembre 2022. Le dernier en date a été envoyé en janvier 2023», souligne-t-il.

Plaie encore béante pour les victimes…

Ils ont été menottés, battus, humiliés… par des policiers. Aujourd’hui, dix mois après ces tortures, Krishna Seetul et David Jolicoeur, représentés par l’avocat Sanjeev Teeluckdharry, tentent, tant bien que mal, d’avancer. Leurs proches se confient…

Le père de Krishna Seetul : «Il souffre toujours de séquelles»

Krishna Seetul.

Krishna Seetul, 28 ans, essaie d’avoir, tant bien que mal, une vie normale. Son père, Jayraj Seetul, tente, lui, de rester fort, de garder espoir que ces policiers, ceux qui ont torturé son fils, paient pour leurs «actes barbares». «Mon fils a repris sa vie en main depuis cet épisode traumatisant. Il a un travail ; il s’occupe de l’entretien dans un établissement hôtelier. Mais il souffre toujours de séquelles. Il ne peut pas travailler comme une personne ‘normale’. So lipié res anflé ek so lérin fermal.»

Mais Jayraj Seetul se dit heureux de voir que son fils va de l’avant, malgré les obstacles. «Il a toujours été un bon garçon. Ils ont essayé de briser son avenir par des mensonges, des faussetés…» Ce père de famille confie avoir déposé devant l’IPCC et procédé à une reconstitution des faits au poste de police de Terre-Rouge. Aujourd’hui, il n’a qu’un souhait : que justice soit faite. «Ces policiers ont été suspendus, mais ils touchent toujours leur salaire. Et c’est nous, les contribuables, qui payons. Mais pour combien de temps encore ? Sak fwa éna enn skandal ki pé kouver lot. Il ne faut pas oublier ces actes de torture.»

Pour rappel, Krishna Seetul avait été arrêté le 1er février 2020 après un vol allégué avec violence sur une habitante d’Arsenal de 62 ans. Il dit avoir été tabassé par des officiers de la CID de Terre-Rouge, et forcé à avouer le délit sous la contrainte. Il aurait aussi reçu des décharges électriques sur le corps, notamment sur son sexe. Les policiers auraient également passé du sel pimenté sur ses blessures.

Krishna Seetul a ensuite été admis à l’hôpital SSRN, à Pamplemousses, pendant deux semaines. À sa décharge, en chaise roulante, il a été traduit devant le tribunal de Pamplemousses, le 14 février 2020, sous une accusation provisoire de vol avec violence. Il a attendu deux ans avant que la vérité n’éclate. Il a déposé une première plainte à l’IPCC en février 2020, mais ce n’est que l’année dernière qu’il dit avoir trouvé une lueur d’espoir, après la fuite des vidéos dénonçant les tortures policières, dont la sienne. Il a encore une fois été à l’IPCC après cela.

La mère de David Jolicoeur : «So latet touzour fatigé»

David Jolicoeur.

Annette est soulagée depuis que son fils n’est plus derrière les barreaux. «David avait fait un accident récemment et a été blessé au pied, mais il va bien. Il essaie de travailler et s’occupe de son fils. Mé ou koné, so latet touzour fatigé.» Elle explique que son fils et elle avaient déposé devant l’IPCC, et qu’elle avait même été convoquée par la CID de GrandBaie, mais «népli tann nanié lor la. Ki pé arivé, kot inn arivé…» La mère dit aussi attendre un dénouement positif dans cette affaire qui a brisé plusieurs vies.

David Jolicoeur, 23 ans au moment des faits, aurait été torturé le 25 décembre 2018 par les officiers de la CID de Terre-Rouge. Ces derniers l’auraient ensuite forcé à signer un document dans lequel il reconnaît avoir commis le meurtre du vigile Issah Ramjan, 86 ans, dont le corps avait été découvert en décembre 2018 à Riche-Terre.

Or, après avoir été identifié sur les vidéos de tortures policières, David Jolicoeur a retrouvé la liberté l’année dernière. Le bureau du DPP n’ayant émis aucune objection quant à la motion de remise en liberté de son avocat, Mᵉ Sanjeev Teeluckdharry.

Questions à Me Sanjeev Teeluckdharry, avocat de Christopher Pierre-Louis, Krishna Seetul et David Jolicoeur : «Nous attendons aujourd’hui la décision du DPP»

Cela fait dix mois que l’affaire de tortures policières a été révélée. Où en est-on aujourd’hui ?
L’IPCC a déjà procédé à l’audition des victimes, que ce soit de Christopher Pierre-Louis, Krishna Seetul ou encore David Jolicoeur. Il y a aussi eu des parades d’indentifications avec les policiers du poste de Terre-Rouge. Depuis, on n’a rien entendu. Aujourd’hui, l’affaire est entre les mains du DPP. On attend qu’une décision soit prise, notamment des poursuites sous la charge de torture by public officials.

Dix mois que ces policiers aient été suspendus, ils touchent toujours leur salaire. N’est-ce pas aberrant ?
Il faut savoir qu’ils bénéficient toujours de la présomption d’innocence. Mais dans ce cas précis, il est vrai qu’il y a des preuves accablantes contre eux. Plus cela tarde, plus c’est nous contribuables qui devons payer pour eux. Dix mois, c’est quand même beaucoup. Peut-être qu’il aurait fallu speed-up les procédures.

En tant qu’avocat, voyez-vous plus ou moins de victimes de brutalités policières ?
Il y a définitivement beaucoup de cas qui continuent à être rapportés. La police doit respecter le droit constitutionnel de chacun. Combien d’innocents se retrouvent aujourd’hui derrière les barreaux à cause de ces brutalités policières ? Je l’ai dit et redit, il faut avoir une instance pour les erreurs judiciaires, un miscarriage of justice tribunal. Ainsi, il aurait permis la réouverture des procès où l’on juge qu’il y a eu erreur, dans ce cas venant de la police…
 

Toujours pas d’information de Coothen

<p>Que sont devenus l&rsquo;inspecteur Kailash Derochoonee, le sergent Badal Reedoye, les constables Keertiwansing Gookhool et Baboo Purgaus de la CID de Terre-Rouge arrêtés puis libérés dans l&rsquo;affaire de torture policière ? Si, dans un premier temps, ils étaient tous suspendus de leurs fonctions, l&rsquo;on affirme que c&rsquo;est toujours le cas aujourd&rsquo;hui. Pour rappel, le nom de trois autres policiers, les constables Baptiste, Begue et Shibchurn, avaient aussi été cités. Mais sollicité, l&rsquo;Inspecteur Shiva Coothen, responsable du <em>Police Press Office,</em> n&rsquo;a pas répondu à nos appels. Et à l&rsquo;heure où nous mettions sous presse, il ne nous avait toujours pas répondu.</p>