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Travailleurs étrangers: ces autres métiers qui attirent
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Travailleurs étrangers: ces autres métiers qui attirent
Statistics Mauritius recensait, en 2020, 31 800 travailleurs étrangers à Maurice. L’engagement du ministre des Finances Renganaden Padayachy dans une réunion avec les opérateurs privés à accélérer l’octroi de permis de travail pourrait apporter un nouveau dénouement dans le recrutement de la main-d’œuvre étrangère. Le recrutement d’étrangers n’est pas limité aujourd’hui aux secteurs du textile et de la construction. Des personnes qui tentent de gagner plus dignement leur vie, sont engagées comme caissiers, serveurs, pompistes, gérants de commerce ou même joailliers. Pour d’autres métiers plus pointus, comme l’informatique et la comptabilité, entre autres, il faut une qualification et l’offre et la demande ne cadrent pas toujours. Ces Bangladais, Népalais, Indiens ou Nigériens n’hésitent pas à entreprendre d’autres métiers mieux rémunérés avec de meilleures conditions d’emploi. Nous sommes allés à la rencontre de quelques-uns.
Mahfuj Rana, responsable des opérations à Delightio Express
Cela fait 15 ans que Mahfuj Rana est à Maurice. De simple ouvrier, il est aujourd’hui le responsable des opérations de l’enseigne Delightio Express, qui compte des commerces à Vacoas, Quatre-Bornes et Curepipe. Originaire du Bangladesh, Mahfuj Rana a fait son bout de chemin et considère Maurice comme son pays. «Je me plais dans mon travail. Il y a des responsabilités et je gère un peu tout dans les différentes branches. Je peux dire que je suis parmi les chanceux qui sont arrivés à Maurice pour travailler et je n’ai pas vraiment rencontré de difficultés pour m’adapter. Les conditions de travail étaient appropriées et pendant toutes ces années, j’ai pu me faire une place. J’ai beaucoup d’amis mauriciens et j’aime Maurice», dit Mahfuj Rana, qui est toujours sur un contrat de travail qu’il doit renouveler périodiquement. Le responsable des opérations à Delightio ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et souhaite pouvoir travailler encore à Maurice. Après 15 ans, dit-il, il se sent at home et a plein de projets pour sa famille au Bangladesh. D’ailleurs après toutes ces années passées au pays, il a appris à parler couramment le kreol morisien et dit ne pas se sentir différent.
Akash P., pompiste
Il vient du Népal et travaille comme pompiste depuis trois ans dans une station-service à Port-Louis. En 2017, Akash P. a débarqué à Maurice comme ouvrier et a travaillé pendant presque deux ans dans une usine textile à Vacoas. Akash peut dire que ces deux années ont été vraiment difficiles pour lui en termes d’adaptation et de traitement. «Je travaillais presque tous les jours et plusieurs heures supplémentaires pour me faire plus d’argent. Quand je suis arrivé, il y avait très peu de Népalais à Maurice et déjà je me sentais aliéné. Là où je vivais, il y avait principalement des travailleurs originaires du Bangladesh et bien que venant tous de l’Inde, je peux dire qu’il y a une différence. Plusieurs fois j’ai pensé à m’enfuir mais pour aller où et comment», raconte Akash. Ainsi sachant qu’il ne pouvait pas retourner en arrière, il a continué à travailler jusqu’à ce qu’il rencontre des amis népalais comme lui qui avaient été embauchés dans d’autres secteurs. Il s’est alors fait un nouveau groupe d’amis qu’il fréquentait souvent, et avec qui il partageait des dîners et des moments d’entraide.
«Nous sommes très solidaires entre nous mais quand on est venu sur un contrat avec un employeur, c’est difficile de changer. Il y a toute une procédure et parfois les employeurs rendent les choses plus compliquées. Je voulais travailler dans d’autres secteurs comme mes amis», dit-il. Le lien avec les autres Mauriciens pour qui ses amis travaillaient s’est vite renforcé et les employeurs ont fait des démarches pour qu’il puisse venir travailler avec eux. Akash ne comprend pas bien le kreol et le parle encore moins. Il est toujours là, souriant car il se plaît bien dans son travail aujourd’hui. Le jeune homme n’est pas marié mais il a une petite copine népalaise qui travaille comme serveuse dans un restaurant. Les jours où il ne travaille pas, il a l’occasion de se balader en compagnie de sa copine. «Je vais souvent à la mer et parfois nous allons au cinéma», raconte-il. Depuis qu’il est arrivé à Maurice, Akash soutient toujours sa famille au Népal et espère pouvoir un jour y retourner dans de meilleures conditions. Pour l’heure, il sait qu’il doit encore travailler afin d’économiser encore plus d’argent. Son but n’est pas uniquement de soutenir financièrement sa famille au Népal mais aussi de fonder sa propre famille avec celle qu’il aime. «Il y a deux ans quand j’ai quitté chez moi, je regrettais et je voulais fuir. Mais quand j’ai rencontré ce groupe d’amis, j’ai appris à ne plus fuir», dit Akash. «D’ailleurs», poursuit-il, «j’ai aussi des amis mauriciens, ceux qui font le plein chez nous. À force de les voir tous les jours, on finit par tisser une relation au-delà de client-pompiste.»
Kamol Hassan, responsable de «back office»
À Maurice depuis six mois, il s’occupe de toutes les affaires administratives au «back office» de Delightio Express. Kamol Hassan est arrivé à Maurice du Bangladesh comme les autres sur un contrat de travail. Dans son pays natal, il gérait déjà une petite entreprise et a voulu faire le grand saut après avoir été encouragé par ses amis déjà à Maurice. «Au début, c’était vraiment difficile pour m’adapter mais aujourd’hui je me sens mieux. Après tout Maurice est un pays avec une mixité de personnes et de cultures et ce n’est pas autant différent du Bangladesh. On peut toujours compter sur des Mauriciens», dit-il. Il s’occupe au quotidien de la branche de Vacoas et tente de gérer les affaires à sa façon. Kamol Hassan espère pouvoir rester à Maurice quelques années encore pour concrétiser ses projets. Pour ce qui est du traitement des travailleurs étrangers, il reconnaît que les salaires des travailleurs étrangers sont «a bit low» et qu’il y a plusieurs secteurs où les Mauriciens ne veulent pas travailler. «In some cases, Mauritians work for less hours. They like to enjoy their lives», souligne notre interlocuteur.
Anas M., caissier dans un supermarché
À Maurice depuis quatre ans, ce jeune célibataire, aîné de trois enfants, a décidé de venir travailler à Maurice pour aider sa famille au Bangladesh. Anas M. est arrivé à Maurice en 2019 et a été embauché en tant que caissier. De temps à autre, il donne un coup de main à faire d’autres boulots dans la compagnie. Il explique qu’il doit travailler pour envoyer de l’argent à sa famille car ses deux sœurs dépendent de lui pour leur scolarité. Même si la vie est dure parfois, il ne souhaite pas en parler car il veut plutôt se concentrer sur son objectif – travailler pour aider sa famille. «Mo travay ek mo avoy kas mo fami. Mo get zis sa. Mo konn zis mo travay», dit-il. Le jeune homme travaille sept jours sur sept pour se faire un maximum d’argent. Il habite à proximité de son lieu de travail à Vacoas avec d’autres amis, dont plusieurs sont des ouvriers. «Je n’ai pas à me plaindre. Je fais mon travail et je suis payé à chaque fin de mois. Je m’adapte autant que possible à la vie ici, mais quand on a un but et que le travail passe avant tout, les autres choses deviennent secondaires», explique-t-il.
Sima Subedi, serveuse au centre commercial de Phoenix
Originaire du Népal, elle est serveuse depuis deux ans dans un restaurant du centre commercial de Phoenix. Âgée de 26 ans, Sima Subedi est célibataire et estime que venir travailler à Maurice est une expérience car dans son pays natal elle était couturière. Tenir un plateau, s’adresser aux clients, servir des assiettes, Sima ne l’avait jamais fait avant. «Beaucoup de Népalais viennent à Maurice pour travailler. J’avais des amis qui sont venus avant moi et j’ai vu que les conditions de travail étaient différentes de ceux qui travaillent dans les usines. Il y a plus d’humanité dans le traitement et on gagne plus», dit-elle. Elle savait que le domaine de la restauration était totalement différent mais elle a voulu tenter sa chance quand même car elle était consciente qu’elle n’aurait pas pu aider sa famille avec les maigres sous qu’elles se faisaient en cousant des vêtements de temps à autre. «J’ai dû apprendre tous les noms des plats, dont la plupart je voyais pour la première fois. J’apprends toujours», dit-elle.
Elles trouvent les clients mauriciens gentils. Souvent interpellés par son accent et ses traits, Sima n’a pas besoin de dire qu’elle est Népalaise. «Certains posent des questions sur mes origines, le nombre d’années que je suis à Maurice. Ils sont vraiment gentils», explique-t-elle, en précisant que parfois, «certains clients ne sont pas très tolérants». Mais elle continue, dit-elle, à apporter au restaurant, son sourire et son sérieux. Bien que la vie ne soit pas souvent facile car les heures de travail sont longues et les jours où elle ne travaille pas, elle se retrouve souvent seule, elle continue à s’adapter car elle sait qu’elle devra peut-être travailler à Maurice pour quelques années encore. De la situation des travailleurs étrangers à Maurice, Sima pense que les employeurs devraient voir les travailleurs au-delà du fait qu’ils sont venus à Maurice pour se faire de l’argent. «Les employeurs pensent souvent que vu que nous sommes ici pour travailler, tout est permis. Il faudrait aussi nous voir comme des humains qui ont aussi des sentiments et d’autres besoins. Par exemple, pourquoi ne pas avoir des programmes de loisirs pour les travailleurs étrangers aussi», dit-elle.
Samir Paramanik, joaillier
Il y a six ans, Samir Paramanik quitte son épouse et sa famille au West Bengal en Inde pour venir travailler comme joailler dans une bijouterie à Flacq. Après trois ans, son contrat n’est pas renouvelé et il repart dans son pays. Il y a plus d’un an, son employeur a entamé de nouvelles démarches auprès des autorités et il a pu retourner à Maurice sur un autre contrat de trois ans. Samir Paramanik opère derrière les rideaux et se sert de son talent pour livrer aux clients des bijoux fidèles à leur demande et de grande qualité. «Les clients ne me connaissent pas tous car je passe ma journée à l’arrière à travailler sur les pièces», dit-il. Et il ne veut pas être connu non plus car, dit-il, il s’intéresse uniquement à son travail. Durant ses heures libres, il passe son temps à faire des appels vidéo aux membres de sa famille et de temps à autre, il se promène à Flacq.
Après toutes ces années à Maurice, Samir Paramanik a toujours le mal du pays mais il persévère car il sait que sa famille compte sur lui. «Nous vivons parfois dans des conditions très difficiles et c’est compliqué pour s’adapter. Bien que mon employeur s’occupe bien de moi, il y a toujours ce manque d’être loin de sa famille et dans un pays étranger», dit-il, avant d’ajouter : «Je pense que pour nous les travailleurs étrangers, ceux qui sont vraiment venus pour travailler et aider leur famille, on essaie de ne pas trop penser. C’est plus facile à tenir le coup en se disant qu’on est là dans un but et qu’on ne doit pas penser à autre chose.»
Un agent recruteur : «Maurice aura toujours besoin de travailleurs étrangers»
<p>Si le ministre des Finances annonce une accélération dans l’octroi de permis de travail pour la main-d’œuvre étrangère, un agent qui recrute principalement des ouvriers bangladais confie que les procédures pour faire venir travailler un étranger à Maurice comporte plusieurs lacunes qui fait que les employés changent souvent d’employeur et prennent de l’emploi un peu partout. «<em>Faire venir des travailleurs étrangers implique un coût car il faut les loger, les blanchir et nourrir. De surcroît, les démarches sont longues et coûteuses, sans oublier les problèmes. Parfois ces travailleurs n’hésitent pas à se sauver. Ce n’est pas parce qu’ils ne veulent pas travailler mais souvent parce qu’il veulent prendre de l’emploi chez une autre personne. Ils sont souvent influencés par leurs amis. Ces personnes vivent en grande communauté et sont comme une famille»</em>, dit l’agent.</p>
<p>Étant lui-même d’origine indienne, il déplore que dans bien des cas les employeurs ne respectent pas les conditions, ce qui fait fuir les travailleurs. <em>«C’est vrai qu’il y a un manque de contrôle ; le travail d’un agent ne s’arrête pas au moment où le travailleur a pris son emploi. Il y a le suivi et dès qu’il y a un problème, l’agent est contacté. Mais malheureusement, tout n’est pas de notre ressort car les employeurs ont aussi des responsabilités</em>», dit-il. Toutefois, l’agent admet qu’il y a aussi des travailleurs qui ne sont pas sérieux et qu’en dépit de bonnes conditions de travail, ils préfèrent travailler un peu partout et «vagabonder». <em>«Si le ministère du Travail vient de l’avant avec un meilleur encadrement légal et des règlements sévères pour les travailleurs étrangers afin de régulariser leur situation, ce sera peut-être plus encourageant pour eux, pour les agents et pour les employeurs. Maurice aura toujours besoin de travailleurs étrangers et vu la situation actuelle, il faudra en avoir plus encore. Il serait donc mieux de régler le problème au lieu de le fuir</em>», dit-il. </p>
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