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Dé-extinction du dodo: les dessous d’un projet fou
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Dé-extinction du dodo: les dessous d’un projet fou
Le dodo sera bientôt de retour sur notre île. Ce n’est pas la seule espèce qui n’existe que dans les livres d’histoire qui sera ramenée à la vie. Le tigre de Tasmanie ou encore le mammouth laineux sont aussi concernés. D’ailleurs, pour ce dernier, une année a même été avancée : 2028. Derrière ces projets de dé-extinction : Colossal Biosciences, entreprise de biotechnologie et d’ingénierie génétique. Pourquoi de tels projets ? Quels en sont l’intérêt et l’utilité ? Ben Lamm, CEO et co-fondateur de Colossal Biosciences, et Beth Shapiro, biologiste moléculaire, ont accepté de lever le voile sur certains aspects du projet. Retour vers le futur…
Le physique du dodo
La grande question qui se pose à Maurice : sur les millions d’espèces éteintes, pourquoi le dodo ? «C’est le candidat idéal car cet oiseau est l’icône d’une disparition totalement causée par l’humain. C’est aussi une espèce qui fait l’unanimité. Tout le monde l’a dans son imaginaire. Le projet n’est pas isolé. Il vise aussi à attirer l’attention sur les dégâts que l’homme cause à son environnement», avance Beth Shapiro. D’ailleurs, c’est ce projet qui a attiré l’attention sur le travail de l’entreprise. Mais la scientifique concède qu’elle ne peut pas en parler objectivement car son histoire avec notre dodo a débuté en 1999, lorsqu’elle était encore étudiante. Il y avait les restes de ce dodo à l’université d’Oxford, le seul qui contenait des restes de tissus mous.
Mais la question fondamentale, pour Beth Shapiro, était à quoi ressemblait l’oiseau. «Certes, il y a des hypothèses et des théories basées sur les squelettes. Mais beaucoup de ce que nous savions sortait de l’imaginaire et des histoires, et avec le temps, l’image s’était beaucoup déviée de l’apparence réelle.» Pour savoir à quoi le dodo de l’époque des Hollandais ressemblait, elle devait commencer par trouver de l’ADN. Après avoir obtenu la permission de prélever des échantillons du crâne de qui se trouvait dans son université, elle y a cherché de l’ADN.
Cela a pris du temps. Mais, avec les informations qu’elle y a extraites, un premier pas avait été franchi. Le cousin le plus proche de notre icône locale est le pigeon de Nicobar. Le but était désormais d’extraire un génome. Direction Mare-aux-Songes, en 2008. Une équipe de chercheurs des Pays-Bas qui participaient à une fouille ont exhumé des restes de dodo. Ils datent de quelques millénaires. Maurice étant un pays chaud et humide, les conditions ne sont pas vraiment idéales pour la préservation de l’ADN. Idem dans les spécimens dans nos musées. Cependant, tout espoir n’est pas perdu car, désormais, avec la technologie qui a évolué, il sera possible d’examiner ces mêmes spécimens à nouveau avec l’espoir d’en extraire des informations génétiques.
C’est au Danemark que le problème a été résolu. Des restes de dodo très bien préservés au musée d’histoire naturelle ont révélé un génome complet de l’oiseau. «La prochaine étape était donc de comparer les résultats du séquençage avec celui du pigeon de Nicobar. Et nous avons aussi eu un génome du Solitaire de Rodrigues du Danemark, qui est aussi très proche des deux. Plus proche du dodo d’ailleurs. Donc, il faut voir quelles différences génétiques font que le dodo ressemble et agit comme le dodo», dit Beth Shapiro.
Mais la passion de la biologiste n’aura mené à rien sans le financement. Ben Lamm explique qu’au début, il n’y avait que le mammouth et le tigre de Tasmanie dans les projets de Colossal Biosciences. Les recherches sur les mammifères avançaient à vitesse grand V. «Pendant une réunion où nous faisions un rapport à nos investisseurs, ils nous ont demandé ce que nous ferions si nous avions plus d’argent.» La réponse n’a pas tardé. Colossal Biosciences voudrait s’attaquer aux défis posés par la génétique aviaire. La technologie pour éditer les génomes des oiseaux n’existe pas, contrairement aux mammifères. «Nous avions déjà le génome trouvé par Beth. Nous savons que l’homme est responsable de la disparition d’un oiseau légendaire. Le projet a alors vu le jour.»
Mais le chemin sera long. Pendant que Beth Shapiro s’attarde sur le décodage des informations, d’autres équipes de l’entreprise travaillent pour créer la technologie nécessaire au développement des cellules des pigeons et les outils nécessaires pour l’édition des gènes des oiseaux. Ce sont ces outils qui permettront d’éditer les séquences génomiques pour que le dodo soit un dodo. La complexité dépendra du génome d’origine que l’équipe choisira ; mais Beth Shapiro avance qu’il est très probable que cela soit le pigeon car la ressemblance est déjà présente.
Rencontre avec le ministère du Tourisme
Après toute la partie technique, la question primordiale. Quand ? On ne veut pas s’avancer, dit Ben Lamm, pour l’instant. Mais d’ici la fin de l’année, on aura une idée plus précise du calendrier. Ce n’est pas que le projet n’avance pas. «Il y a toujours des inconnus dans l’équation. La culture des cellules peut prendre deux mois ou deux ans. Nous avons une vague idée des procédés, mais nous ne voulons pas faire de fausses promesses pour finalement décevoir tout le monde à la fin.» Néanmoins, une chose est sûre : le but de remettre le mammouth laineux sur terre se concrétisera dans cinq ans.
Et le dodo habitera où ? La réponse n’est pas simple et commence par la collaboration. Ben Lamm explique que son équipe a déjà eu des rencontres avec le ministère du Tourisme, l’Economic Development Board, des industriels. Beth Shapiro, elle, est en constante communication avec les universitaires. Un voyage à Maurice cette année est à l’agenda pour d’autres discussions. «Ce n’est pas simplement une question de réintroduire une espèce. Il y a tout un environnement à recréer. Il faudra reboiser, éliminer les espèces envahissantes qui ont mené cet oiseau à sa disparition», dit Ben. Beth Shapiro va plus loin. Pour elle, Maurice est déjà exemplaire dans le domaine, et elle cite l’exemple du Pink Pigeon ou encore les tortues d’Aldabra et la réserve de l’île aux Aigrettes, d’où l’espoir que le dodo sera à l’aise.
Mais pour l’instant, ces endroits sauvages n’existent pas. Il se passe quoi si le dodo arrive avant son environnement ? «Là, il faut garder en tête que ce que nous créerons, ce n’est absolument pas une copie conforme du dodo. Cela n’est pas possible. Nous n’avons pas cette technologie.» Beth Shapiro poursuit en expliquant que le projet se focalise plutôt sur ramener une espèce qui ressemble au dodo, qui agit comme le dodo, et qui sera adapté à l’habitat qui existe aujourd’hui, car recouvrir le pays d’arbres n’est pas réaliste.
Si le dodo 2.0 sera adapté à un environnement existant, cela ne rend-il pas l’argument de reboisement et de protection de l’environnement caduc ? Non. «Maurice mène déjà la danse en termes de restauration environnementale. Maintenant, avec cette nouvelle motivation, cela veut dire encore plus d’investissement dans ce domaine», dit elle. La biologiste rappelle que les outils qui seront développés aideront par la suite d’autres espèces aviaires qui sont en voie de disparition. Elle réitère dans la foulée, qu’aujourd’hui, de tels outils n’existent pas et que c’est grâce au projet actuel qu’ils seront créés.
«Le dodo est certes un symbole des faits de l’homme, mais il peut devenir le symbole d’espoir, de ce qui peut se passer lorsque l’homme décide de s’attaquer au problème d’extinction. Nous allons vers une planète où les hommes cohabiteront avec la biodiversité.»
L’éthique
Dans tous les projets semblables, la question de l’éthique se greffe à un moment. Mais ce n’est pas un problème, dit la scientifique, car depuis la nuit des temps, l’homme ne cesse de manipuler les espèces. L’extinction, ainsi que la conservation, rappelle-t-elle, date de l’époque des premiers hommes qui ont quitté le continent africain. «La conservation est vaste. Nous avons décidé quelles espèces peuvent vivre, quelles espèces se reproduiront avec quelles espèces, ce que les animaux doivent manger. Si nous pensons que cela n’a aucun effet sur l’apparence et le comportement des animaux, nous nous voilons la face.»
Ce que Colossal Biosciences fait, c’est d’aider les espèces à mieux s’adapter à un environnement et à un climat qui changent plus vite que l’adaptation survient. «Donc, si nous avons des outils qui permettent d’incorporer un trait d’une espèce à une autre pour sa survie, ce sera bénéfique.» Un exemple concret qu’elle utilise est les coraux. Certains sont plus résistants que d’autres à la chaleur. Inclure ce gène de résistance à des espèces de coraux moins résistants aidera à combattre la disparition des récifs.
Cependant, Ben Lamm affirme que l’équipe n’est pas fermée aux critiques constructives. Certes, ceux qui ne maîtrisent pas le sujet et qui disent que la dé-extinction est impossible n’apportent rien au débat. «Les critiques constructives nous ont fait réaliser, par exemple, que nous ne pouvions pas remettre le mammouth laineux en Alaska sans savoir ce qu’en pensent les gens et sans connaître les lieux. Nous sommes attentifs aux critiques qui nous aident à avancer», tient-il à préciser.
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