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Conseil de district de Moka (1ᵉ partie): cinq entrepreneurs se partagent les contrats

11 avril 2023, 16:00

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Conseil de district de Moka (1ᵉ partie): cinq entrepreneurs se partagent les contrats

Kishore Ramkhalawon avait donné un avant-goût, le 24 janvier, des magouilles dans cette collectivité locale. «L’express» a fait une enquête qui confirme ses allégations et a découvert davantage : l’existence de tout un système mafieux dans la circonscription du Premier ministre dans l’attribution de contrats de travaux publics.

Au conseil de district de Moka, on use et on abuse des Emergency Procedures. On n’y fait rien tout le long de l’année et, durant la période d’octobre à décembre, on se réveille et on recourt aux procédures d’urgence, notamment pour les fameux drains, en prévision des pluies d’été. Rien que pour la construction, le renforcement et le nettoyage des drains dont se vante le gouvernement, une somme de Rs 14 millions a été payée aux entrepreneurs d’octobre à décembre 2022. Rs 50 millions sont allées en tout à cinq compagnies pendant ces trois mois, y compris pour d’autres travaux : Highway (Mtius) Contracting Ltd, Logvee Contracting, Nindsay Enterprise, Triple Jay Engineering, Tidy N Clean Ltd. Pourtant, dès le 27 décembre 2019, le vice-président du conseil de district d’alors et conseiller de La Laura, Kishore Ramkhalawon, avait dénoncé l’abus des emergency contracts.

Compte rendu trafiqué

Au conseil de district de Moka, présidé par Sudhir Soonarane, même les procédures normales d’appel d’offres sont «twisted» en faveur de certains constructeurs et, bien sûr, de certains hauts placés au conseil. On recourt même à de faux en écriture pour arriver à ses fins. Ainsi, le 22 mars 2019, lors de l’examen du compte rendu (CR) du 13 mars 2019, Kishore Ramkhalawon, qui présidait – c’était la seule fois – le comité exécutif, a constaté que le CR montrait que les contracteurs présélectionnés étaient White Edge Construction Ltd, un petit entrepreneur qui s’est retrouvé parmi les gros contracteurs nationaux, Super Builders Co Ltd, Safety Construction Co Ltd, Best Construct Co Ltd et Gamma Construction Ltd. Alors qu’en réalité, le 13 mars, seuls de petits contracteurs avaient été présélectionnés. Ramkhalawon a demandé que le CR soit modifié, ce qui a été fait (voir fac-similé).

Mais pourquoiet qui a fait ce changement du CR ? Pour Kishore Ramkhalawon, «il est clair que c’est Gova Ramanjooloo, le Chief Executive, qui a fait ces changements pour favoriser White Edge face aux gros contracteurs». Ce qui est surprenant, c’est que lors de l’examen des appels d’offres ou de Restricted Bidding, Gova Ramanjooloo ne siège jamais dans le comité exécutif. On se demande bien pourquoi.

Le compte rendu du comité exécutif du 13 mars 2019 corrigé et ne montrant plus que de petits entrepreneurs.

Ententes délictueuses ?

Sinon, ce sont les mêmes entrepreneurs qui font des offres dans lesquelles les prix diffèrent parfois de façon exagérée, laissant un des offrants rafler le contrat. Bref, les autres font de la figuration, un peu comme on faisait avec Soopramanien Kistnen. Sauf que Kistnen ne décrochait presque jamais de contrats alors que ces cinq constructeurs en bénéficient chacun à tour de rôle.

Les prix proposés et acceptés défient la logique. Un incinérateur, sans les finitions: Rs 3,8 millions. alloué à Triple Jay, l’unique offrant ; la pose de carrelages pour un village hall : Rs 1,8 million ; un terrain de mini-soccer à Providence : Rs 4,9 millions; réparation de drains: Rs 4,8 millions; des pierres (rough stones) : Rs 4 millions, récupérées à Camp-Thorel lors des travaux de drains effectués par le même contracteur Highway (Mtius) Contracting Ltd ; des grabeaux (gravels) : Rs 2 millions ; travaux de plomberie pour le même village hall : Rs 493 000; toilettes: Rs 1,8 million; décoration en métal: Rs 1 million.

Les drains en or

Malgré la somme de Rs 14 millions consacrée aux drains en trois mois, il y a bien eu débordements, accumulations d’eau et inondations dans la région. Mais le plus grave, c’est qu’en fait, le nettoyage de drains, surtout ceux en béton, ne se fait que sur papier. «On retire une plaque du trottoir, les autres plaques restent immobiles, on barricade avec un morceau de bande jaune en plastique et on laisse ainsi pendant quelques jours, après lesquels on replace la plaque et le tour est joué.» (photo ci-dessus). Un ingénieur nous explique que le nettoyage est impossible de toute façon avec les conduites d’eau serpentant dans ces drains étroits. «La seule façon dont on aurait pu nettoyer ces drains, c’est en injectant de grosses pressions d’eau.» Or, cela n’a jamais été fait au no 8 ou ailleurs. Et puis, entre octobre et décembre, il y a un élément important qui manque : l’eau. Cette pratique de nettoyer les drains «manti manti» serait courante partout dans l’île.

Malgré la somme de Rs 14 millions consacrée aux drains en trois mois, il y a bien eu débordements, accumulations d’eau et inondations dans la région.

Les rivières d’argent

Après les drains, ce sont les rivières qui bénéficient le plus de crédits. Ils appellent cela le «desilting», soit l’action de désenvaser (enlèvement de la boue) des rivières pour permettre à ces dernières de charrier plus d’eau et éviter l’inondation des environs. Montant : Rs 15 millions! Cependant, au conseil de Moka, on nous fait une surprenante révélation : «En fait, il n’y a que peu de desilting dans la plupart des cas. La pelleteuse se met au bord de la rivière et fait semblant de nettoyer pendant quelques minutes. Et s’en va toucher Rs 2 millions!»

En novembre 2022, une lettre du ministère des Collectivités locales informe le conseil de district de Moka que Highway (Mtius) Contracting Ltd n’a pas le droit de coter pour les travaux de moins de Rs 20 millions. Or, le 13 décembre suivant, l’entreprise bénéficiera d’un contrat de Rs 15 millions pour le «desilting» à Circonstance, Dagotière et Quartier-Militaire. Même les directives du ministère sont ignorées. Heureusement, ce contrat sera annulé par Ramkhalawon par la suite. À noter que ce travail de désenvasement ne coûte pas cher aux contracteurs car ne nécessitant pratiquement pas de main-d’œuvre : un seul chauffeur de pelleteuse suffit.

À «Vignolle», l’un des six drains pour lesquels les contrats de Rs 15 millions ont été annulés en janvier 2023 par le bureau du PM après les dénonciations de Ramkhalawon.

Le bazar du nettoyage

Alors que l’on payait Rs 80 000 mensuellement pour le nettoyage du marché de St-Pierre, à l’arrivée de Soonarane comme président du conseil, c’est Tidy and Clean, aussi propriétaire d’Eco-Friendly, qui obtient le même contrat pour Rs 200 000 par mois. À partir de décembre 2022, après l’intervention d’un membre du conseil, de petits contracteurs sont inclus dans les appels d’offres pour un level-playing field. C’est l’un d’entre eux, Perfect Job, qui a remporté le contrat pour Rs 94 500 seulement.

Un seul poseur de carrelage

Tidy N Clean importe toujours des carreaux céramiques en grande quantité et en avance. Car il sait que pour ce genre de travail, son entreprise sera toujours choisie. Lorsque Nindsay Enterprise remporte le contrat pour le village hall de Dagotière avec une cotation de Rs 1,8 million, alors que Tidy N Clean avait coté Rs 1,6 million, cette dernière exécutera le travail car c’est son domaine réservé. Une partie de ces Rs 1,8 million dues à Nindsay Enterprise sera «remboursée» à Tidy. Contacté, un responsable de Tidy N Clean nous explique que c’est à la suite d’une «erreur» dans la préparation des offres qu’il a perdu le contrat. Il n’a pas exécuté le contrat et le paiement que Nindsay Enterprise lui a fait représente des carrelages qu’il lui a fournis. Concernant le fait qu’il se retrouve toujours parmi les entrepreneurs préférés du conseil de Moka, il maintient que c’est parce qu’il cote le plus bas. Sauf pour «l’erreur» pour la pose de carreaux au village hall de Dagotière.

«Koup anba pou avoy lao»

Les petits travaux coûtant peu et qui auraient servi à améliorer la vie quotidienne des habitants sont annulés par le président Sudhir Soonarane. Ainsi, les Rs 75 000 annuellement allouées au Minor Capital Project pour l’achat d’un poste de télé, de prélart ou les malheureuses Rs 10 000 par an qui devaient servir à embellir l’environnement sont supprimées. «Il faut réserver le maximum d’argent pour les gros contrats», nous dit un conseiller.

Nous avons tenté en vain de contacter les protagonistes dans cette affaire.