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Corinne Fleury: «Les parents se plaignent souvent que leurs enfants ne lisent pas, mais lisent-ils eux-mêmes ?»

17 avril 2023, 20:00

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Corinne Fleury: «Les parents se plaignent souvent que leurs enfants ne lisent pas, mais lisent-ils eux-mêmes ?»

Après la pandémie qui vous a empêchée de tenir une 2e édition du festival en 2020, peut-on dire que vous revenez en force cette année ?
Brièvement, dites-nous quelles sont les nouveautés que le public peut découvrir lors de cet événement. Le format du festival a évolué depuis sa première édition. En 2018, des auteurs s’étaient déplacés dans les établissements scolaires, mais nous avions envie de créer une bulle de respiration pour les enfants en demandant aux classes de venir au festival. Le livre à Maurice est intimement lié à l’école et à l’apprentissage. Ce festival n’a pas la prétention d’apprendre à lire aux enfants mais de susciter des envies de lecture. Pour cela, nous avons créé une journée scolaire le vendredi 21 avril et nous accueillerons 500 élèves qui rencontreront des auteurs, illustrateurs, éditeurs, etc. Ils visiteront une exposition, participeront à des ateliers et assisteront à un spectacle. L’après-midi du 21 sera consacrée à des rencontres professionnelles avec deux tables rondes sur la littérature jeunesse, une après-midi ouverte à tous, aux professionnelles de l’enfance et des métiers du livre.

Le samedi 22 avril, et même si c’est un possible jour férié, réunira une trentaine d’auteurs et offrira une journée d’activités aux familles avec de nombreuses animations autour du livre : ateliers d’écriture et d’illustration, lectures, spectacle, lancement, vente de livres et dédicaces. Toutes les activités et animations seront gratuites et les inscriptions se feront sur place.

Quel est le but de ce festival ?
Le festival a un triple objectif : transmettre le goût du livre et de la lecture aux enfants ; promouvoir et valoriser la littérature jeunesse locale et régionale ; et fédérer les acteurs et professionnels du livre de Maurice. 

Vous présentez également, durant ce festival, une exposition intitulée «Lire donne des ailes», qui sera appelée à être itinérante. Que comprend cette exposition ?
L’exposition présente 40 œuvres de 11 illustrateurs pour la jeunesse sur le thème des oiseaux et autres volatiles. Les artistes sont Mauriciens, Réunionnais, Malgaches et Français métropolitains et la plupart des œuvres, originales et reproductions sont issues d’albums pour la jeunesse qui ont été publiés dans l’océan Indien. Ces 15 livres illustrés seront consultables et nombre d’entre eux seront en vente sur les stands des librairies. Les œuvres seront présentées au Caudan Arts Centre du 21 au 27 avril et seront ensuite exposées à La Réunion, Mayotte et Madagascar. Cette itinérance est une première pour l’art et la littérature jeunesse de notre région.

Ce festival comprendra également des rencontres autour des métiers du livre. Ces métiers sont-ils suffisamment connus et valorisés à Maurice ?
Durant la journée scolaire du vendredi 21, les élèves du primaire et du collège auront l’occasion de rencontrer des professionnels du livre. Les métiers du livre sont en effet méconnus par manque de formation et d’information à Maurice. Et parce que, de manière générale, les métiers artistiques et littéraires sont moins valorisés que les métiers financiers et scientifiques.

Pour cette édition, vous avez des invités de La Réunion et de Madagascar. À quand un festival de livre jeunesse réunissant toutes les îles de l’océan indien (incluant les Seychelles et Comores) sur notre sol ?
C’est mon plus grand souhait ! Mais nous pâtissons d’un manque cruel de moyens. La circularité des auteurs est un des postes les plus coûteux d’un festival. Après la première édition, nous avions trouvé des sponsors et partenaires qui nous ont laissés tomber à la suite du Covid… Cela semble peu croyable, mais un festival de livres pour enfants intéresse très peu les partenaires locaux, il faut croire que ce public cible, les enfants, n’est pas suffisamment bankable. J’ai dû revoir mes ambitions en passant de trois jours de festival prévu initialement à deux jours, sans rogner sur la qualité de la programmation. L’événement est toutefois soutenu par l’association La Réunion des livres et par le Caudan Arts Centre, qui ont tenu leurs engagements et contribuent très fortement à rendre cet événement possible. 

Dans l’univers de la littérature, quelle est la place des livres jeunesse ?
À Maurice, la littérature jeunesse est dynamique et nous pouvons remercier pour cela Pascale Siew et les Éditions Vizavi, qui, au début des années 2000 avec Tikoulou, a montré le chemin à nombre d’entre nous. En France, le marché du livre jeunesse occupe la deuxième place du marché après la littérature générale. Et ailleurs dans le monde, cela dépend souvent de la politique publique du livre. La Réunion est l’île la plus dynamique de l’océan Indien, mais à Mayotte ou aux Comores, il n’y a pas d’éditeurs jeunesse.

Les auteurs de livres jeunesse mauriciens arrivent-ils à se démarquer ?
Incontestablement, oui ! Il est évident que la qualité de la littérature jeunesse à Maurice a connu une évolution conséquente en 20 ans. L’exigence des auteurs est reconnue à Maurice et ailleurs. Amarnath Hosany et Shenaz Patel, par exemple, cumulent de nombreuses sélections et de prix littéraires à eux seuls.

À l’ère de l’intelligence artificielle, quels sont les défis qui guettent la littérature jeunesse ?
Ce n’est ni le portable, ni la tablette, ni la télé qui éloigne les enfants et les jeunes du livre mais le comportement de leur entourage face aux livres. Les outils numériques peuvent même créer l’effet inverse, c’est-à-dire impulser la lecture. En 2021, en France, la série Lupin sur Netflix a boosté la vente de livres des aventures d’Arsène Lupin, les éditeurs ont été dépassés par l’événement. Aujourd’hui, plutôt que de confronter ces outils aux livres, nous devons nous pencher sur ces nouvelles habitudes de lecture et créer des passerelles entre elles.

Nous devons aussi en tant qu’adulte nous interroger sur nos pratiques de lecture. Les parents se plaignent souvent que leurs enfants ne lisent pas, mais lisent-ils eux-mêmes ? Le goût du livre s’acquiert par des temps de lecture à haute voix à la maison, par l’emprunt des livres à la bibliothèque, par faire confiance aux enfants en les laissant lire ce qu’ils souhaitent, manga, comics et BD.

Pensez-vous qu’à Maurice, il y a suffisamment d’activités autour du livre jeunesse ?
La médiation autour du livre jeunesse est à la lisière du désert à Maurice ! Il y a trop peu d’activités dans les lieux publics et dans les établissements scolaires, trop peu de lecture publique alors que nous sommes une société de tradition orale. Le responsable de cette situation est avant tout l’État et l’absence de politique publique du livre. Un soutien public «fourre-tout» pour tous les arts n’est pas suffisant. Il est nécessaire de développer un engagement sérieux envers la filière livre spécifiquement : la formation, le soutien à l’édition, les droits d’auteur, la circularité des auteurs et des œuvres, l’ouverture des établissements scolaires à la lecture loisir, la médiation dans les lieux publics, la valorisation du patrimoine littéraire, sont autant de sujets qu’on effleure alors qu’ils sont les vrais défis qui guettent nos pratiques de lecture.