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Dr Mohunparsad Balnath: aller au bout de ses rêves
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Dr Mohunparsad Balnath: aller au bout de ses rêves
Rien n’est impossible à celui.celle qui veut réussir. Le dermatologue Mohunparsad Balnath, 89 ans, bientôt 90 et jeune retraité, est bien placé pour le savoir. Après un coup du sort, qui a désargenté sa famille, il a cumulé les emplois dès l’âge de 14 ans pour finalement se spécialiser en typographie en attendant de pouvoir économiser et étudier la médecine. Il a réussi en gardant en ligne de mire son objectif. Voici son histoire.
Mohunparsad Balnath est le cadet d’une famille de quatre enfants. Son père achetait du lait des éleveurs du Nord et le revendait aux marchands ambulants et la famille vivait confortablement dans une maison coloniale à Port-Louis, près de l’église St François. Les Balnath possédaient même une carriole, ce qui était à l’époque un signe de richesse. Les gens achetaient alors le lait à crédit et les affaires marchaient bien pour le père Balnath. Lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté, ce dernier n’a pu recouvrer ce qui lui était dû et a tout perdu. Du jour au lendemain, le train de vie de la famille a changé. Désargenté, le père Balnath a sombré, tombant dans l’alcool lorsqu’il n’a pu soigner son fils souffrant de pneumonie car les antibiotiques n’existaient pas à l’époque. Ce jour-là, Mohunparsad Balnath, qui avait moins de dix ans, s’est juré qu’il serait un jour médecin pour soigner et guérir les malades. Rongé par le chagrin et l’alcool, son père est mort peu après.
La scolarité étant payante à l’époque, lorsque Mohunparsad Balnath termine son cycle primaire, sa mère n’a pas de quoi payer sa scolarité. Il traîne donc les rues. Le maître d’école primaire qu’il a fréquentée le réalise et avertit sa mère, proposant de lui donner des cours gratuits dans son bureau. C’est ainsi qu’il suit le programme d’études de la première année du secondaire. Sa mère le fait ensuite intégrer le collège Bhujoharry où il réussit l’examen de Form II et puis il est admis au Hindu Maha Sabha. Sauf que l’argent vient à manquer car ce n’est pas facile de nourrir quatre bouches et Mohunparsad Balnath doit stopper l’école à 14 ans pour aller travailler et aider sa mère à soutenir le poids du ménage.
Typographe comme métier alimentaire
Pendant un an, il apprend l’ébénisterie et gagne Rs 1 par semaine. Mais même s’il suit les conseils de sa mère qui lui recommande de s’appliquer, quel que soit le métier qu’il exercera, il sait que l’ébénisterie n’est pas pour lui. Il est recruté par le département des Bois et Forêts à Forest Side mais n’y reste que trois mois car le trajet quotidien de Port-Louis à Curepipe, à partir de 5 heures, et vice-versa l’aprèsmidi, finit par l’épuiser.
Il rencontre les frères Sookdeo et Basdeo Bissoondoyal, qui font de la sensibilisation sociale et politique. Ce dernier tient une imprimerie et publie le journal Zamana en anglais, français et hindi. Sachant que Mohunparsad a besoin d’apprendre un métier, il le recrute comme apprenti typographe. S’il n’est pas rétribué, il se voit offrir, au quotidien, le déjeuner, soit un pain beurré et une banane. Une fois qu’il comprend les rudiments du métier, il prend de l’emploi dans plusieurs imprimeries où il commence par gagner Rs 10 hebdomadairement puis Rs 36 à la semaine. Il fait des heures supplémentaires en imprimant le programme des courses. On le présente au syndicaliste et tribun Guy Rozemont et les deux sympathisent. Rozemont tente d’ailleurs de l’embrigader en politique mais lui refuse. Médecin il veut être, médecin il sera. C’est son objectif secret et celui-ci ne le quittera jamais. Mais en attendant de parvenir à son but, il doit travailler
Lorsqu’il termine sa journée de travail à l’imprimerie, les jours où il ne fait pas d’heures sup, il travaille dans une pharmacie et en week-end, il vend de l’alouda au marché central. Tout ce qu’il gagne, il le remet à sa mère. Un jour, il lui fait part de son désir d’être médecin et elle l’écoute avec attention sans rien dire. Il prend des cours de hindi avec le pandit Jugduth et médite à la Rama Krishna Mission. Lorsqu’il avoue à celui-ci qu’il veut obtenir un diplôme de médecine à l’étranger, le pandit Jugduth, qui est en contact avec un des premiers lauréats mauriciens qui étudie le génie civil à Londres, écrit à ce dernier en lui demandant d’aider le plus possible Mohunparsad Balnath à s’installer lorsqu’il le contactera.
À 22 ans et avec la bénédiction de sa mère, il embarque sur le paquebot «Ferdinand de Lesseps». Comme son cousin veut être du voyage mais n’a pu trouver de billet, Mohunparsad Balnath lui vend e sien et c’est dans la cale qu’il effectue la traversée jusqu’à Marseille, le paquebot faisant plusieurs escales, notamment à La Réunion, Madagascar, à Port-Saïd où le paquebot doit faire vite car le Canal de Suez s’apprête à fermer. Lui et son cousin grillent la halte Paris et se rendent directement à Londres où ils sont bien accueillis par le lauréat mauricien et un ami de celui-ci. Vu que Mohunparsad Balnath maîtrise la typographie, il tente d’obtenir un emploi auprès de la London Typographical Society. Sa demande est rejetée du fait qu’il ne possède pas un diplôme de typographe. Il ne se décourage pas pour autant. Le responsable de la Typographical Association à Watford le prend à l’essai pendant un an alors que le domaine de l’imprimerie entame son évolution. Il prend ensuite de l’emploi chez l’imprimeur Copeland et le chef de l’atelier et son épouse l’invitent à venir vivre chez eux pour qu’il n’ait pas à faire tous les jours le trajet Londres-Watford-Londres.
Premier à l’examen
De végétarien qu’il était de tout temps, le voilà obligé de prendre les habitudes alimentaires anglaises. Pour obtenir son diplôme de typographe de la City and Guilds, Mohunparsad Balnath travaille le matin et suit des cours du soir au collège technique. Il sort premier à l’examen et obtient son diplôme de typographe, qui est l’équivalent du Bachelor of Science. Avec ce sésame, il obtient immédiatement un emploi de typographe chez Philip & Tacey Ltd, réputée pour l’impression des questionnaires d’examens d’Oxford et de Cambridge. Mais pour réaliser son rêve d’être médecin, il doit étudier les sciences et obtenir ses A Levels. Il travaille le matin et prend des cours du soir. Il les obtient haut la main. Mais il sait qu’aucune université anglaise ne l’admettra en raison de son parcours éducatif en dents de scie. Alors qu’il travaillait comme interprète à Strasbourg et Besançon dans le but de se faire des sous, Mohunparsad Balnath postule dans l’espoir d’obtenir le prix français Visa pour l’Espoir, mis en place par le couturier Leopold Starkmann, qui a connu la misère avant de goûter à la gloire. Ce prix récompense l’effort pour se sortir de sa situation. La candidature du Mauricien ayant été retenue, il se rend à Paris et raconte son parcours de combattant pour devenir médecin. Il faut croire que le jury est impressionné car il décroche la bourse et obtient 50 000 francs. Ce qui l’aide à renflouer sa trésorerie.
C’est donc en Belgique et plus particulièrement à l’université libre de Bruxelles qu’il est accepté et où il étudie la médecine. Ses économies fondant comme neige au soleil, il doit travailler en parallèle. Il trouve un emploi de receveur de tram en soirée et il arrive que fatigué de cumuler des nuits blanches, il rate ses cours universitaires. Mais il peut compter sur ses amis qui polycopient leurs notes pour lui. Sauf qu’un jour, la nièce du président du jury de la faculté de médecine, qui le connaît, lui prête ses cours. Et l’oncle, président du jury, se trompe sur la nature de leur relation, qui n’est pourtant qu’amicale. L’oncle le confronte et lui dit que tant qu’il présidera le jury, quel que soit son résultat final, il ne lui remettra pas son diplôme de médecine. Mohunparsad Balnath sait qu’il n’y a plus d’issue pour lui à l’université libre de Bruxelles et fait une demande d’admission auprès de l’université de Gratz en Autriche pour étudier la médecine. Comme il a appris l’allemand, cette université autrichienne l’accepte. Et vu qu’il a déjà étudié la médecine pendant cinq ans, le doyen de la faculté de médecine le dispense des trois premières années de cours et il ne lui reste que quatre années d’études à reprendre. Il vit dans une résidence d’étudiants située dans la cour d’un couvent qui comprend aussi un séminaire et comme les conditions de vie y sont strictes, tout son temps libre est consacré à l’étude. Il réussit l’examen et obtient son diplôme de médecine générale.
Fibre syndicale
Après 20 ans à l’étranger, il réussit à venir en vacances à Maurice en 1976 et sonde les besoins médicaux. Lui veut se spécialiser en chirurgie plastique mais le département qui avait été créé à cet effet à l’hôpital Victoria, n’a pas fonctionné et a été transformé en Burns Unit. La dermatologie étant la discipline la plus proche de la chirurgie plastique, il opte pour cette spécialisation. C’est à l’université de Liège en Belgique qu’il étudie la dermatologie pendant six ans, les quatre premières années en tant qu’aspirant spécialiste et les deux dernières années en tant que doctorant. Il est appelé à donner des cours de chirurgie dermatologique à l’université de Liège. Il obtient son doctorat en dermatologie et en 1982, il regagne Maurice où il n’y a que deux dermatologues en exercice. Il ouvre sa consultation à la rue Desforges et il est bien vite sollicité par le public. En 1983, il note chez un de ses patients des symptômes du sarcome de Kaposi, qui est associé au Sida et lors d’une conférence d’un éminent professeur français qui avance que le Sida est inexistant dans le paradis qu’est Maurice, Mohunparsad Balnath le prend à contre-pied en disant qu’il a noté dans ses consultations des symptômes cliniques prouvant le contraire.
De Guy Rozemont dont il admirait la fibre syndicale, il a retenu le sens de la justice et c’est ce qui explique qu’il ait été un des membres fondateurs de la Private Medical Practitionners Association. Estimant que son corps de métier n’est pas reconnu à sa juste valeur, il a été jusqu’à solliciter et obtenir une rencontre avec le Premier ministre d’alors, sir Anerood Jugnauth, pour lui faire valoir qu’il est inconcevable que chaque prescription d’un dermatologue du privé doive obligatoirement obtenir l’imprimatur d’un médecin du public pour que les compagnies d’assurance remboursent les traitements. À une autre occasion où il est reçu par SAJ, il exprime son désaccord que les médecins du privé doivent payer la taxe municipale et pas les avocats, par exemple. N’arrivant pas à se faire entendre, il fait un walk-out du bureau du Premier ministre. Mohunparsad Balnath siège aussi sur le Tribunal Medical.
Il est à la base de la création de la Dermatological Society of Mauritius et fait en sorte que cette association soit affiliée à la World League Of Dermatology, qui regroupe toutes les associations de dermatologie du monde afin que les dermatologues mauriciens soient au fait des innovations dans leur domaine. Mohunparsad Balnath assiste régulièrement aux conférences de l’Académie américaine de dermatologie dont il est membre et suit même des cours sur les traitements au laser destinés à enlever les taches cutanées, les tatouages et les poils par épilation définitive. Il est d’ailleurs le premier dermatologue à introduire les traitements au laser à Maurice avec le concours du Dr Mukhesh Sooknundun, directeur de la Clinique du Nord.
Le Dr Balnath essaie d’introduire la thalassothérapie sur un terrain de l’État à Bras-d’Eau mais il essuie un refus. Il initie une étude sur les allergies de contact liées au port de bijoux de fantaisie en nickel, aux parfums et aux pesticides, auprès d’un échantillonnage de 1 000 personnes. Malheureusement, un médecin, qui n’a pas participé aux travaux, s’approprie ses recherches et les publie à son nom. En raison de procédures judiciaires coûteuses, il choisit de ne pas donner suite à cette affaire.
Au cours de sa carrière, il a tenté de mettre sur pied un laboratoire d’immunologie au SSR Research Centre, d’autant plus qu’il avait introduit ces traitements immunologiques, venus des États-Unis, dans sa consultation. Mais il se heurte à un refus des autorités. Il est obligé de stopper ces traitements au bout de six mois car les compagnies d’assurance refusent de les rembourser. Appelé à dire s’il regrette d’être rentré au pays natal après ses études de dermatologie à l’étranger, Mohunparsad Balnath est mitigé. «Je répondrai : Oui et non. Oui, car je n’ai pu continuer à évoluer dans mon domaine autant que je l’aurais voulu. Et non, parce que Home Sweet Home.»
À trois mois de ses 90 ans, il a décidé de prendre sa retraite, non sans une certaine tristesse. Son épouse Indrani, ancienne rectrice de collèges d’État, déclare que l’heure du repos a sonné pour lui. Il occupe désormais ses journées en surfant sur le Net pour se familiariser aux nouveautés en dermatologie et fait aussi de la méditation. Ce père de quatre enfants – l’un est psychiatre, l’autre médecin généraliste, le troisième est docteur en droit et la dernière avocate -, n’a qu’un message à transmettre aux jeunes : «Quand on veut faire quelque chose, il ne faut jamais abandonner cette idée. Et malgré toutes les difficultés que l’on peut rencontrer sur la route, il faut persévérer et aller jusqu’au bout.»
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