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Dominique Sobha: «Ti kapav avoy zis enn lapolis dir mwa trankil tir dessin la»
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Dominique Sobha: «Ti kapav avoy zis enn lapolis dir mwa trankil tir dessin la»
Dominique Sobha, graffeur de 41 ans, a été arrêté par la police et traduit en cour le mardi 18 avril. Une arrestation survenue deux mois après qu’il a réalisé un portrait de l’activiste Bruneau Laurette sur un pan de mur appartenant au ministère de la Sécurité sociale dans son quartier. Une propriété du gouvernement, où lui, tout comme d’autres habitants de la localité dont un ancien lord-maire, dessinent depuis plus de 15 ans. Nous avons rencontré l’artiste dans son quartier, à la mi-journée, jeudi, deux jours après sa libération sous caution. Dominique Sobha, en liberté conditionnelle et qui repasse en cour le 25 juillet, était avec une bande de sans-emplois dont des sportifs et artistes comme lui, qui faisaient une partie de domino sous la véranda d’une boutique.
Le portrait de Bruneau Laurette, pourquoi l’avoir graffé sur une Government Property ?
J’ai toujours dessiné sur ce mur. La première fois remonte à une quinzaine d’années. Il n’y a pas que moi mais beaucoup de jeunes de la cité, y compris un ex-lord maire, même s’il ne l’était pas encore à l’époque, étaient alors de la partie. Chacun avait pris plaisir, même si on n’avait aucune expérience. J’avais alors dessiné le visage d’un B-Boy (danseur de breakdance) et quelqu’un pratiquant le capoeira (art martial afrobrésilien) que je pratique aussi d’ailleurs. Depuis, j’ai pas mal dessiné sur ce mur, de long en large. J’y ai dessiné le film La Nonne à l’autre extrémité. Un voisin m’a aussi déjà payé pour graffer son portrait sur ce même mur. Il venait d’ailleurs d’être repeint après dix ans. Il était sale avec des moisissures.
Vous n’avez jamais été inquiété pour vos dessins sur cette propriété du gouvernement avant le graffiti de Bruneau Laurette ?
Zame ! Pourquoi un simple dessin de Bruneau Laurette a conduit à mon arrestation ? Ti simp sa. Ti kpav avoyy zis enn la polis ar mwa trankil dir mwa mo pou gagnn problem ar sa, tir dessin la ek sa ti pou fini lamem. Pa ti bizin fer tou sa sinema. J’aurai repeint le mur. Je n’ai rien fait de mal.
Quel a été l’élément déclencheur de votre arrestation alors que ce dessin date de deux mois ?
Bruneau Laurette est venu se prendre en photo devant le mur samedi et mardi, j’ai été embarqué. Pourtant, l’artiste que je suis a aussi publié la photo sur Facebook bien avant que Bruneau Laurette ne partage la sienne, prise à côté du dessin. u Racontez-nous cette arrestation. Il était 9h15 quand la police a débarqué chez moi. Une chose que je dois dire, ils m’ont tous bien traité. Aucune brutalité. Un était un policier de la localité que je connais. C’était clair que l’ordre venait de plus haut et ils ne faisaient que leur travail. Que ce soit aux Casernes centrales où ils m’ont interrogé, au poste d’Abercrombie et en cour où ils m’ont conduit, tout s’est bien passé.
Vous auriez pu finir en cellule pour un portrait si vous n’aviez pas été en mesure de régler la caution ?
On m’a aidé à payer l’amende de Rs 3 150 mais je ne dirai pas qui m’a aidé. Quand on vous arrête, comme c’est le cas pour de nombreux jeunes, il vous faut avoir l’argent nécessaire pour ne pas finir en cellule. Sauf que bon nombre d’entre eux ne peuvent se tirer d’affaire et ils sont envoyéslao (en prison). Kan zot sorti lao zot vinn pli pire parski zot pe al dan lekol la laba, kot zot al aprann plis, al gagnn lespri ki bizin fer ki pa bizin fer.
Vous avez aussi gagné en notoriété…
J’étais jusqu’ici connu comme breakdancer au sein de la grande communauté de danseurs, d’artistes. J’ai vu ma popularité atteindre un autre palier avec de la publicité gratuite. Je ne peux que m’en réjouir. J’aurai pu dessiner n’importe qui sur ce mur. Récemment, j’avais en tête Serge Lebrasse, qui vient de mourir. En tout cas, je ne dessinerai plus sur ce mur. Mais, là où on m’autoriserait à dessiner, je laisserai libre cours à mes inspirations.
Le Premier ministre, Pravind Jugnauth ou son défunt père, SAJ, n’inspirent pas le graffeur que vous êtes ?
No comment !
Depuis quand dessinez-vous ?
De naissance. C’est inné. Je n’ai suivi aucun cours. J’ai commencé avec des dessins animés. Comme il n’y avait pas de DVD à l’époque, il fallait être rapide avant la fin du film. L’école ne m’a jamais intéressé mais le dessin, oui et ce, jusqu’à maintenant.
Est-ce pour cela que vous avez arrêté l’école ?
J’ai été à l’IVTB de Triolet après le primaire avant de commencer la danse de rue, plus précisément, la breakdance à 14 ans. Un succès puisqu’avec le groupe Alliance Suprême, nous avons été sept fois champion de Maurice. J’ai aussi dansé avec de grands danseurs comme Stephen Bongarçon, feu Sanedhip Bhimjee, Anna Patten. Je côtoie d’autres professionnels de la danse comme Jean Renat Anamah, Gino Clarisse, les frères Joseph. Avec Alliance Suprême, nous avons représenté Maurice à la Réunion. Comme je dessinais déjà, c’est aussi lors de cette compétition de danse à l’Île Soeur en 2001 que je me suis intéressé aux graffitis.
Pourquoi avoir aussi arrêté la danse ?
J’ai été blessé au genou et me suis retrouvé avec des ligaments déchirés, en dansant. Je suis triste de ne plus pouvoir danser comme avant. Il y a un peu plus de deux mois, j’ai été membre du jury Redbull Dance Your Style, un concours de danse international, aux côtés de Stephen Bongarçon et Stellio Grenouille. Le mauvais temps a joué aux les trouble-fête mais la finale est prévue prochainement. Mwenkor ladan. C’est juste que je me consacre davantage à la peinture, qui me permet de vivre depuis une quinzaine d’années. Il y a des hauts et des bas, comme en ce moment kot zafer pa bon.
«Si ou pe dir mo pe met enn fam touni ki pou sok dimounn mo kapav konpran mais rien de tout cela.»
Vivre de ça, est-ce à dire que vous êtes graffeur de profession ?
Oui, on peut dire ça. Ma spécialité, c’est le freestyle. Donnez-moi juste un mur mort, sans aucun dessin ou croquis et dans deux, trois heures, je lui donne vie. Je ne fais pas que des fresques murales mais j’ai aussi graffé sur des motos, des capots de voiture. Sauf que l’interdiction de dessiner sur les véhicules, motocyclettes, m’a coupé une source de revenus. Si ou pe dir mo pe met enn fam touni ki pou sok dimounn mo kapav konpran mais rien de tout cela. C’est tout simplement du freestyle, mon art. Me zot pe blok nou. Mon autre souhait c’est de pouvoir transformer les ruelles de Maurice comme celles d’Amsterdam, ce qui aurait été une attraction pour les touristes. O mwin zot ti pou dir Moris zoli. Mais, nous ne pouvons, hélas, pas nous exprimer à travers notre art.
Craignez-vous d’être arrêté de nouveau ?
Regardez autour de vous (Il nous montre un groupe de jeunes et moins jeunes jouant aux dominos sous la véranda d’une boutique). Beaucoup de potentiels, de bons boxeurs, sportifs mais tous au chômage, sans aucun encadrement. Puis, vous êtes consternés par le nombre de jeunes tombés dans l’enfer de la drogue ? Au moins si on nous offrait une chance, l’espace, les équipements et les opportunités nécessaires pour nous exprimer. Moi-même si seulement on pouvait me donner un lieu où je pourrai transmettre mes talents aux plus petits. Tout le monde ne peut se permettre de me payer Rs 2 500 à Rs 3 000 par mois pour que je dispense des cours de graffitis à leur gamin. Si les autorités nous aidaient, Maurice aurait été mieux représenté dans des concours.
Que recommandez-vous ?
Pran nou kont. Donn nou enn bann travay seki nou konn fer. Je suis dessinateur. Mettez-moi dans une école ou un centre que je puisse proposer des stages aux jeunes. Il y a des sportifs, des danseurs qui se retrouvent maçons. Dans certains pays, des danseurs sont reconnus à leur juste valeur. Quand ils atteignent un certain âge, ils deviennent des professeurs et gagnent leur vie ainsi. À la Réunion, il y a des centres dédiés avec des profs, qui, même s’ils ne perçoivent pas des sommes astronomiques, arrivent à faire rouler leur cuisine. Isi, nwena enn bann potentiel dan nou, inn pran li fou li dan kwin larmwar, kan gagnn enn lokazion enn travay porte pran li amenn ar nou.
De toute votre collection de graffitis, il y en a un en particulier qui vous tienne à cœur ?
Je dirai celui de Bruneau Laurette que j’ai réalisé il y a deux mois alors qu’il était toujours en détention. Tout comme le dessin qui se trouve derrière vous (une fresque avec un visage très expressif d’un gamin se tenant devant la Vierge Marie), personne ne m’a rien demandé ou payé pour les faire. De mon plein gré, avec de la peinture qu’il me restait et muni seulement de mon inspiration, je me suis exprimé.
Bio express
<p>Père d’une fille de quatre ans, Dominique Sobha, dont les graffitis sont signés Dom, habite avec sa grand-mère à Résidence Briqueterie. Il n’a pas connu sa mère, décédée à sa naissance. Il a perdu son père il y a 19 ans et a un demi-frère qui habite à la Tour Koenig. Les graffitis sur les bâtiments à la Route Nicolay, c’est aussi lui.</p>
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