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Projet de Smart City: nuances de gris à Roches-Noires
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Projet de Smart City: nuances de gris à Roches-Noires
«Si l’on ne fait rien, dans dix ans, l’endroit est mort.» Nicolas de Chalain, de PR Capital, le promoteur de Roches-Noires Smart City, est direct. Avec la consultation publique de demain et la nouvelle demande de permis EIA qui sera déposée bientôt, ce projet immobilier revient sous les feux de l’actualité. C’est le quatrième en 18 ans sur ce terrain. Pour les écologistes, c’est si on construit quelque chose que la zone, hautement sensible, mourra. Entre les deux, les habitants, pour qui tout projet a du bon et du mauvais, mais que l’on devrait entendre davantage à partir de ce lundi…
Le projet. Une «smart city» ouverte sur le village
C’est le quatrième projet immobilier de cette zone en 18 ans. Cette Roches-Noires Smart City est développée par PR Capital (Mauritius) Limited, filiale du Groupe City, une société française. Elle s’étend sur 359 hectares. «Les équipes ont travaillé pendant trois ans sur ce projet, que j'ai rejoint en juillet 2022. Il y a eu 26 drafts avant ce dernier master plan», explique Nicolas de Chalain, représentant de PR Capital. La demande d’Environment Impact Assessement (EIA) pour cette 27e proposition sera faite mi-mai.
Une précédente avait été mise de côté, en 2022. En attendant, le promoteur va rencontrer le public demain, à 17 h 30, au Village Hall, pour lui en faire part et «expliquer tout ce qui sera mis en place pour conserver les éléments naturels du site»... À ce propos, quelle superficie de bâti sur cet immense espace ? «22 %, incluant le golf», soit 10,5 % de constructions, répond Nicolas de Chalain.
En quoi cette smart city, concept qui, souvent, finit concrètement par un centre commercial, des logements et des espaces bureaux, mérite son nom ? «Elle sera vraiment intégrée au village. Ce ne sera pas une gated community, les habitants y auront accès.» Un boulevard public traversera la smart city, en gros, d’Ouest en Est, sur 3 km. L’idée est de pouvoir y marcher, y pédaler ou y rouler depuis le village, que les habitants continuent à avoir accès aux lieux où ils ont l’habitude d’aller, tels Trou-Diable, Bassin Laver et aux services qui seront disponibles.
Mais encore, que prévoit-elle ? Une école, un centre sportif, une maison de retraite, un centre de bien-être dont un spa des espaces commerciaux avec magasins de détail, marché couvert pour les producteurs locaux, restaurants, bars, cafés, salons de beauté, pharmacie, installations médicales, des espaces de co-working et un centre de recherche avec des pouponnières de plantes endémiques notamment, des espaces pour les autorités locales, un bureau de poste ou une station de police, une zone de conservation de la flore endémique… et, bien sûr, un hôtel (en rez-de-chaussée avec toits en chaume, matériaux durables et sans accès à la plage), le golf et des résidences. À ce titre, sont prévus entre autres des appartements, des duplex et des villas dans de grands jardins autour du golf. Une partie pour les Mauriciens (environ 750 sur les quelque 1 500 logements) et une pour les étrangers.
C’est un projet sur dix ans, en trois phases. La première, d’environ quatre ans, étant la construction du boulevard de la route B15 (Bras d’Eau Road) qui reliera la route côtière, et les espaces commerciaux, les appartements, la maison de retraite, le golf, l’hôtel et le spa. Ne risque-t-on pas de retrouver comme avec JinFei, un projet à moitié fantôme, faute de moyens ? «Non, le groupe City a déjà son portefeuille de clients.» L’on parle là tout de même d’un investissement total d’environ Rs 41 milliards. En février, La Voix du Nord évoquait des retards de paiement et de chantiers de ce groupe dans deux villes françaises.
Et l’eau dans tout cela ? Golf, hôtel, résidences accroîtront la pression hydrique. Forage des nappes phréatiques, bassin de rétention, eau pluviale, recyclage, dessalinisation… plusieurs procédés seront mis en place. «Il n’y aura pas de fosses septiques (comme c’est le cas avec les campements en bord de mer) mais des stations d’épuration dont l’eau traitée sera utilisée pour l’irrigation.»
Mais la question cruciale est celle de l’écosystème, du barachois, des bassins, des marécages, des grottes. «Nous n’y touchons pas. Ils seront nettoyés, entretenus, il y aura une zone tampon de 30 à 100 m pour éviter toute construction autour des wetlands. L’hôtel sera autour du barachois et devra veiller à son intégrité.» S’ajoute un programme pour planter des mangroves, pour nettoyer les espèces invasives et permettre aux plantes endémiques de se développer, pour protéger le coq des bois. «Nous avons même prévu un passage de circulation pour la faune, tels les crabes.» Nicolas de Chalain précise avoir entrepris une série d’études, en collaboration avec l’écologiste réunionnais Pierre Yves Fabulet de l’agence CYATHEA, afin de minimiser au maximum l’impact du projet sur l’environnement.
«En ce moment, le site est plein d’ordures, les gens viennent voler des pierres de lave avec des pelleteuses et détruisent tout sur leur passage, les espèces indigènes envahissent tout. Si l’on ne fait rien, dans dix ans, de toute façon, c’est mort…»
L’étude sociale. Des interactions limitées
En janvier/février, Alternet Research and Consulting Ltd (créée par feu Jean Claude Lau Thi Keng et Jérôme Boulle) a effectué un Social Impact Assessment pour PR Capital. La première fois que les habitants ont été consultés sur un projet de développement remonte à 2005. Avec tous les échecs précédents, autant dire que leur confiance est ébranlée et qu’ils ne savaient plus trop de quel projet il était question. De plus, l’expérience d’Azuri, dont ils ne profitent guère et coupé d’eux, les a refroidis.
Le village compte presque 6 000 habitants. L’étude note quatre clusters dans le village : le centre résidentiel du village, la zone défavorisée le long de la route B15, la chaine de bungalows sur le littoral avec les résidences Azuri et celles du Domaine de Levant.
«It has been noted that interaction across these clusters is minimal. Each group limit their encounters to their residential area. Those living in the village centre meet those from deprived areas when they go to the beach. Bungalow, Azuri and Domaine du Levant residents have no contact at all with the local population. (…) The spatial layout of Roches-Noires does not allow for fostering of social relationship among inhabitants. The village centre is separated from the coastal road by a gated residence (Domaine du Levant). The peripheral part of Roches-Noires near the barachois and inhabited by the poorer section of the population is rather secluded from the central part of the village. That pocket area opposite to the luxury bungalows on the coastline have all the characteristics of a deprived area. (…) Roches-Noires does not offer much public spaces that favour social interactions.
There is no open market, no shopping centre, no administrative building. There are a few commercial outlets along the main road in the village centre selling mainly foodstuff and other day-to-day consumed products. Leisure facilities are not available in Roches-Noires. There is only a narrow space with a kiosk and some benches called Waterfront near the barachois. There is only one access to the beach. There is no children’s playground. The badly maintained football pitch is insufficient in the opinion of the young population. Villagers spend their leisure time at Cave Madame or Bassin Lavé located on the Roches-Noires Smart City but currently the place is littered with garbage.» Le tableau est dressé.
On ne peut pas concevoir les mêmes attentes, appréhensions et priorités pour les habitants de ces différents clusters. L’étude réalisée avec des interviews en face-à-face, des questionnaires, des rencontres de groupe, une immersion dans le village, qui a aussi servi à préparer le terrain, les mesures mitigatives, fait ressortir ces différences : entre le besoin d’emploi – dont la création est estimée à 2500 –, d’accès à des facilités, d’être partie intégrante du projet et les soucis environnementaux, le risque de la fin d’un cadre de vie paisible, naturel et tranquille face à un développement constant.
De visu… Espoir d’emploi, craintes de béton
«Il y a du bon et du mauvais. Si cela apporte du travail, assure des salaires, c’est bien. Mais nous allons perdre cette verdure. Selman dimounn pa pé manz féyaz…» Anoop, marchand de fruits et légumes en bord de route, résume bien ce sentiment mitigé. «J’ai entendu dire qu’ils n’allaient pas fermer School Lane.» Autrement dit, les habitants pourront avoir accès aux bassins où ils ont l’habitude de se rendre. «Maintenant, sur le papier, ils disent que l’on aura accès, mais au bout d’un moment, les étrangers en auront peut-être assez de nous voir.» Une contestataire appuie : «Ils sont en train d’embêter les villageois, de leur promettre des choses. Mais la poste, par exemple, il y en a une à Rivière-du-Rempart…»
School Lane, justement. Au bout de ce chemin, le mur en pierres taillées construit depuis des lustres, qui fait le tour d’une partie du terrain, a été cassé, ouvert, probablement pour se rendre à ces points d’eau. En de multiples endroits d’ailleurs, les pierres du mur ont été volées. Des détritus «agrémentent» le décor. Le long de la route de Bras-d’Eau, juste sous le panneau «no dumping», là aussi, encore des déchets. Des villageois cueillent des goyaves mais retournent bredouilles d’une recherche de jamblons. Anoop en vend de ces fruits, mais il ne va pas les cueillir dans cette zone boisée, «c’est trop dangereux». On se souvient de la jeune femme retrouvée dans une mare, à Bras-d’Eau. Autre zone protégée de la région s’il en est, mais qui connaît elle aussi un important développement immobilier à proximité, Mangrove Villas. Pas entendu de contestation là-dessus.
En faisant le tour du village, coupé par le Domaine du Levant, avec ses hauts murs de pierres bloquant la vue à tout passant, on revient sur la route côtière et on s’engouffre dans Charrette Lane. Là aussi, le mur a «perdu» de ses pierres. De l’autre côté, le barachois. Avec quelques jeunes et des voitures garées, profitant de l’air salin et de bières. Sinon Roches-Noires, c’est aussi cette enfilade de campements pieds dans l’eau avec jetées pour bateaux, sans aucun accès à la mer depuis la route. De l’autre côté de cette voie, le terrain verdoyant de l’éventuelle «smart city». Où le promoteur veut faire une aire récréative pour le public et des zones de pique-nique.
La contestation: «Destruction d’un vaste écosystème unique»
Dès que l’annonce de la rencontre publique est parue dans les journaux, les réactions ne se sont pas fait attendre. Les écologistes s’étaient déjà opposés au projet de PR Capital (Mauritius) Limited de construire un Resort Hotel avec 90 villas de luxe sur une superficie de 44 hectares à Roches-Noires. La demande du permis EIA déposée par le promoteur avait été mise de côté (set aside).
«On sait que le promoteur va déposer une nouvelle demande de permis EIA - et donc un nouveau rapport EIA – pour tout le site de 359 hectares», explique Adi Teelock, de la Platform Moris Lanvironnman. Selon l’écologiste, depuis au moins deux mois, PR Capital Ltd conduit, à travers ses consultants, une campagne auprès des communautés villageoises de la région. «Une réunion avait eu lieu fin janvier à Poste-de-Flacq par exemple.» En fait, il s’agit d’un «Focus Group Discussion» d’Alternet. «Ce qui est nouveau dans le cas de la réunion du lundi 24 avril, c’est que le public en général est convié par le biais d’un avis de presse.»
La contestation est-elle en marche ? «Bien qu’on soit déjà mobilisés, pour l’instant, rien de concerté n’est prévu du côté des contestataires de ce projet qui signifiera la destruction pure et simple d’un vaste écosystème naturel assez unique à Maurice.» Elle ajoute que «les promoteurs tentent aussi de démontrer que leur projet de smart city sera socialement inclusif et bénéfique aux communautés locales. Mais des promesses, on en a vu tellement ailleurs qui n’aboutissent à rien de réel comme impact positif sur les communautés que les promoteurs et leurs consultants auront fort à faire pour nous convaincre.»
Adi Teelock estime que ce sera le moment de démontrer «comment le système est biaisé en faveur des promoteurs car dans le processus d’obtention de permis EIA, les promoteurs ont des longueurs d’avance sur les citoyens - à plus forte raison dans ce cas car le nouvel EIA portera sur l’ensemble du projet smart city alors que nous n’aurons que trois petites semaines pour envoyer nos commentaires sur le rapport EIA une fois déposé». L’écologiste explique que ce sera aussi l’occasion pour Platform Moris Lanvironnman d’insister sur la nécessité de faire des évaluations environnementales et sociales stratégiques dans ce genre de cas et pas uniquement des EIA.
De son côté, Gada Schaub, de la Plateforme Protégeons l’Écosystème de Roches-Noires, explique que les membres seront présents à cette réunion. «Nous irons écouter ce que les promoteurs ont à dire. Les récentes intempéries montrent clairement qu’on ne joue pas avec l’environnement. Construire a un impact… et construire dans une zone sensible peut avoir des effets désastreux.» L’écologiste fait ressortir que le promoteur de la smart city fait aussi face à une contestation importante en Polynésie. Pour des raisons similaires. «Nous ne sommes donc pas les seuls. Les îles se font entendre.»
Selon le journal en ligne www.tahiti-infos.com, Jacky Bryant, président de Heiura-Les Verts, qualifie de «grotesque et ridicule» l’annonce d’un nouveau «consultant culturel» du groupe City dans leur projet de complexe hôtelier du Tahara’a. En conférence de presse, le groupe City a présenté l’artiste plasticien. C’était aussi l’occasion pour le promoteur immobilier d’annoncer l’inclusion d’un musée de 2 000 mètres carrés et d’une grande statue de Pomare 1ᵉʳ (NdlR, chef Tahitien de la dynastie royale des Pomare) dans le futur complexe hôtelier.
Pour Jacky Bryant, ce projet de musée et de statue, «c’est de la poudre aux yeux, (…) une opération de communication visant à amadouer les personnes réfractaires à cette construction. Depuis quand une statue et un musée justifieraient l’édification d’un hôtel?» Pour les opposants au projet, c’est la gestion des eaux usées qui posent le plus problème. «On détruit nos richesses naturelles pour les intérêts d’un groupe immobilier», martèle le président de Heihura- Les verts. Selon l’article, le groupe City s’attend à obtenir son permis de construction le plus rapidement possible pour démarrer les travaux en 2024.
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