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Safeena Lotun: «On ne quitte pas un poste comme ça sans avoir bien réfléchi»

30 avril 2023, 16:30

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Safeena Lotun: «On ne quitte pas un poste comme ça sans avoir bien réfléchi»

Son départ subit à la retraite aura pris tout le monde de court. Mais la responsable administrative du Parlement évoque son long parcours, les longues heures et les grandes responsabilités. Elle voudrait souffler et profiter de sa famille après avoir contribué pendant plus de deux décennies au développement de l’appareil parlementaire.

Pourquoi cette démission soudaine alors que vous aviez encore quelques années à travailler ?
J’ai travaillé pendant 22 ans. J’adore toujours mon travail mais 22 ans à l’Assemblée nationale (AN), c’est beaucoup. Je devais partir. Dans la fonction publique, soit vous partez à 65 ans, soit après 33 ans et un tiers de service ; vous pouvez aussi partir on a special case à l’âge de 55 ans. J’ai eu 55 ans le 19 avril et j’ai déposé ma lettre le 20 avril.

Une telle décision a dû être prise après mûre réflexion ?
On ne quitte pas un poste comme ça sans avoir bien réfléchi. Auparavant l’AN n’était pas à l’avant-plan, comme c’est le cas depuis la retransmission en direct des travaux parlementaires et l’avènement des réseaux sociaux. Il y a toujours des gens qui croient que le Parlement ne travaille que lorsqu’il siège les mardis alors qu’il y a tant d’autres responsabilités à gérer les jours sans travaux parlementaires et pendant les périodes de recess, comme le soutien administratif, les contrats de maintenance, etc. Travailler à l’AN, c’est beaucoup de responsabilités, d’heures indues, de pression. Les longues heures de travail équivalent au double de mes 22 ans de carrière au Parlement. Tout ça pèse lourd, avec une incidence sur ma vie privée, sur ma personne. On existe quand même en dehors du travail. J’ai une famille, trois enfants. J’ai passé les plus belles années de ma vie au Parlement mais je devais faire un choix et je pars avec le sentiment du devoir accompli.

Sentiment du devoir accompli oui, mais avec un pincement au cœur quand même ?
En effet. J’ai essayé de mettre sur place une meilleure structure car nous travaillons avec très peu d’effectifs. Nous avons certes informatisé le système pour plus d’efficience mais on a aussi besoin de personnel avec des responsabilités respectives. Les fonctions de clerk ne s’arrêtent pas qu’aux procédures. Elles sont aussi administratives. On doit donner un service irréprochable aux députés, dont le Premier ministre. C’est très pointilleux mais, hélas, sans filet de sauvetage. Le clerk est aussi le secrétaire général et administratif de toutes les instances que le Parlement mauricien représente sur le plan régional et international. J’ai proposé une structure appropriée à maintes reprises depuis 2008 lors des représentations au Pay Research Bureau (PRB). Il y a des services que j’ai pu introduire au compte-gouttes, mais d’autres pas. Ça m’aurait permis de déléguer des responsabilités à d’autres personnes et rester alors à ce poste plus longtemps. J’ai tout fait pour faire comprendre au PRB que nous avions besoin d’autres ressources.

«J’espère qu’avec le temps la fonction publique et le PRB comprendront que l’assemblée nationale a besoin d’une structure pour le bien de l’institution.»

Cette sourde oreille est à l’origine de votre départ prématuré ?
À chaque fois qu’il y a un problème par rapport aux services, on me tombe dessus. Il y a une limite à tout. Je peux donner uniquement ce que je peux. Si je pars aujourd’hui, c’est parce que ce beau monde refusait de comprendre. Qui connaît mieux comment un Parlement doit fonctionner pour être vraiment efficace dans le respect des lois ? J’espère qu’avec le temps la fonction publique et le PRB comprendront que l’AN a besoin d’une structure pour le bien de l’institution. On dit suivre le système westministérien mais si la House of Commons a des milliers d’officiers par rapport au nombre de députés qu’elle a, ici également, avec notre nombre de députés, nous avons à leur fournir les mêmes services.

Parliament, big or not, we are Parliament. 20, 25 ans de cela, on pouvait fonctionner de la manière qu’on le fait. Tout a évolué. On a besoin de personnel pour donner un service. J’ai essayé d’accroître l’efficacité parlementaire à un certain niveau en créant quelques postes mais ce n’est pas suffisant et il reste encore beaucoup à faire. Le temps est venu de passer le témoin à ces personnes que je suis sûre auront du pain sur la planche.

La «Parliament TV», la modernisation des services parlementaires, dont la publication en ligne du «Hansard» dans les 24 heures suivant les séances parlementaires, votre bilan présenté dans le communiqué officiel de l’AN, vendredi soir, est éloquent…
Nous avons à notre actif de belles réalisations qui nous ont rapporté des récompenses nationales. Vendredi, jour de mon départ, j’ai fait une présentation du Parliamentary e-Document Management System (PeDMS) (NdlR : une plateforme dotée des outils nécessaires pour accélérer les processus d’élaboration et de modification des textes législatifs pour permettre de rationaliser et rendre plus efficace le flux de travail, tout en garantissant la diffusion et l’accès aux documents parlementaires essentiels).

 Nous avons travaillé sur les deux premières phases pendant un bon bout de temps mais nous avions dû mettre le projet en veilleuse en raison d’autres urgences. Puis, le Programme des Nations unies pour le développement a proposé d’aider l’AN et le projet a été remis sur les rails. Cette réalisation dont je suis fière sera lancée dans quelques semaines quand je ne serai plus là. Je suis sûre que ça va nous rapporter une autre récompense.

Par ailleurs, dans son Global Parliamentary Report 2022, l’Inter-Parliamentary Union, qui regroupe quelque 200 législatures à travers le monde, cite Maurice aux côtés des Seychelles et d’autres comme ayant un parlement résiliant et innovateur pour avoir pendant la pandémie, continué à opérer en ligne avec des outils informatiques mis en place. Pour vous dire que notre parlement est reconnu pour ses réalisations. Je suis fière d’avoir contribué à tout ça.

Était-il évident de travailler avec l’actuel speaker ?
Je ne vais pas vous répondre là-dessus. J’ai été fonctionnaire et il faut que je reste correcte.

Allez-vous répondre positivement à sa proposition d’être consultante à l’AN ?
Je viens de laisser cet environnement que je ne suis pas près de retrouver à nouveau. Là, j’ai surtout envie de me retrouver, d’avoir une vie un peu plus normale que je n’ai pas eue depuis un moment. J’ai envie de prendre du recul, du temps. Mais, on ne dit jamais, jamais. Dans ce domaine, comme nous avons un seul parlement, l’expérience que l’on a, est unique. Mon prédécesseur, M. Ranjit Dowlutta, est déjà conseiller auprès du speaker. De mon côté, si mes compétences peuvent être utiles à d’autres parlements ailleurs, éventuellement, je pourrais considérer travailler à un certain niveau sur le plan international.