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Jean Claude de l’Estrac: «Des regroupements politiques aujourd’hui impensables pourraient se réaliser»

3 mai 2023, 19:15

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Jean Claude de l’Estrac: «Des regroupements politiques aujourd’hui impensables pourraient se réaliser»

Il ne voit pas les élections générales pour tout de suite. L’observateur de la politique doute d’une alliance de l’opposition parlementaire et pense que rien n’est encore joué. Des scissions chez les vieux partis politiques traditionnels sont possibles. De nouvelles alternatives pourraient apparaître séduisantes à une grande partie de l’électorat, cependant opportuniste et se contentant d’épouser la direction du vent. Avec une propagande éhontée de la MBC.

Vous revoilà dans le débat politique. Vous aviez annoncé une pause en début d’année. Est-elle terminée ?
Oui, partiellement. J’avais déclaré, en janvier, que je souhaitais attendre que les choses se précisent avant de recommencer à les analyser. Il y a des signaux de plus en plus précis qui indiquent que les contours de la prochaine bataille électorale commencent à se dessiner. Elle sera une bataille décisive pour l’avenir du pays. Les médias, les observateurs indépendants auront un rôle crucial à jouer pour aider les citoyens à faire le bon choix. Je pense que ce choix sera large, même s’il faudra craindre un éparpillement des voix.

En attendant, n’est-ce pas les partis au pouvoir qui marquent des points ? Quel est l’impact de la belle mobilisation de leurs partisans à l’occasion de ce 1er-Mai ?
C’est un boost psychologique indéniable. Surtout face à une opposition absente et éclatée. À écouter les dirigeants de l’opposition, le Premier ministre ne devrait pas pouvoir mettre le nez dehors. Ils se trompent. Aux prochaines élections, Pravind Jugnauth pourra se prévaloir d’un bilan qui n’est pas insignifiant. Pas seulement en matière de douceurs octroyées aux électeurs, quand bien même grâce aux deniers publics, au prix d’une dilapidation de nos réserves, l’argent de nos enfants.

Et, pour l’instant, il a réussi à se distancer des casseroles que traîne son gouvernement. Le genre d’opération qu’il a réussi, ce 1er-Mai, en période préélectorale, a beaucoup de poids, même si une part du succès est attribuable au transport gratuit et au pique-nique à la mer. Mais on sait qu’une grande partie de l’électorat est opportuniste et se contente d’épouser la direction du vent. Son symbole, c’est l’Hôtel du gouvernement ! S’il estime que l’alliance au pouvoir a le vent en poupe, cet électorat volera au secours de la victoire.

Est-ce que tout sera déterminé par ce seul facteur au moment du vote ?
Bien sûr que non. Mais il est significatif. Les enjeux, les motivations des électeurs varient d’une élection à l’autre. Pour le prochain scrutin, je vois bien deux blocs d’électeurs se constituer nettement, plus nettement qu’en 2019.

D’un côté, je vois les aînés, les plus de 60 ans, plutôt favorables au statu quo. C’est largement l’effet durable de l’augmentation des allocations aux pensionnés. On ne mesure pas suffisamment l’impact, positif (pour les pensionnés) et négatif (pour le pays), de cette mesure. J’ai entendu un travailleur actif de 55 ans me dire combien il attendait ses 60 ans pour arrêter de travailler et toucher la pension. Dans un pays qui manque cruellement de main-d’œuvre !

D’un autre côté, on peut sentir une forte aspiration des jeunes et des femmes au changement. Le leader, homme ou femme, qui incarnera le mieux cette volonté de changement et de refondation de la société pourrait inaugurer un nouveau cycle politique.

Il faudrait un leader neuf, une équipe crédible, une vision moderniste et novatrice. Nous n’en sommes pas encore là. Mais cette alternative pourrait se manifester dans les mois à venir. Pour l’instant, c’est Roshi Bhadain, revigoré par son alliance avec Patrick Belcourt, qui a réussi à susciter l’intérêt de beaucoup de jeunes électeurs. La compétition dans l’opposition sera rude, au grand bonheur de Pravind Jugnauth.

Êtes-vous de ceux qui croient que les élections «sont derrière la porte» ?
Je ne le crois pas. Je ne vois pas les raisons pour lesquelles Pravind Jugnauth devrait écourter son mandat…

Peut-être le jugement attendu du «Privy Council» sur la pétition de Suren Dayal ?
J’ai beaucoup de mal à penser que trois ou quatre Law Lords à Londres vont bientôt décider que le Premier ministre mauricien devra quitter son poste. Je ne serai pas surpris qu’ils trouvent des raisons de renvoyer cette patate chaude à la Cour suprême du pays. C’est ce qu’ils avaient fait dans l’affaire du Best Loser System, arguant que la Cour suprême connaît mieux le contexte local. Ce n’est qu’une hypothèse de néophyte, je ne suis pas juriste.

En revanche, sur la question du processus électoral, vous avez été catégorique sur les ondes de «Radio Plus» pour affirmer qu’il n’y a pas eu de fraude électorale aux législatives de 2019, contrairement à ce qu’affirme Navin Ramgoolam.
Absolument ! L’argument qu’il y a eu «massive rigging», fraude massive, lors de ces élections est ridicule et totalement infondé. Je me base sur les raisons farfelues et mal informées que donne le Parti travailliste pour justifier ses accusations. J’ai recensé trois raisons principales :

La première concerne le rôle d’une Computer Room qui aurait été utilisée pour fausser le résultat en faveur du MSM. Faux. Les résultats sont annoncés sur la base de la compatibilité manuelle des bulletins en présence des candidats et de leurs agents. La Computer Room est peut-être une initiative maladroite du Commissaire électoral pour fournir des résultats rapidement à la presse et au public. Ce point a été amplement reconnu en cour dans l’affaire Jubhoo v/s Ganoo. Devant la méfiance des partis de l’opposition, le Commissaire électoral aurait raison d’abandonner l’utilisation d’un mécanisme inutile en réalité.

Le deuxième argument du Dr Ramgoolam est lié toujours à l’utilisation de la Computer Room. Le candidat Ramgoolam dit ne pas pouvoir s’expliquer comment se peut-il, qu’à un moment de la compilation des bulletins, il se trouve en pole position pour finalement ne pas se retrouver parmi les élus. Ramgoolam soupçonne une manœuvre électronique dans la Computer Room. Il se trompe sur deux tableaux. La première, on l’a vu : les résultats sont proclamés sur les chiffres compilés manuellement et non pas sur ceux de la Computer Room. Ensuite, tous ceux qui participent à des élections connaissent ce yoyo lors de la compilation des voix. Il s’explique aisément par la topographie électorale. Sauf en cas de raz de marée électoral, type 60-0, le vote des électeurs ne suit pas la même tendance dans toutes les régions d’une circonscription. Ce qui fait que les tendances s’inversent en fonction de la région dont on compte les voix. C’est aussi simple que cela.

L’autre fantasme ramgoolamien, c’est le vote des Bangladais. En réalité, ils étaient 199 inscrits sur le registre électoral des dernières élections. Pour s’inscrire, il faut établir deux ans de résidence dans le pays. Pour voter, il faut présenter sa carte d’identité, vérifiable par les officiers de la Commission électorale présents dans les salles de vote, de même que les agents représentants les candidats. L’histoire racontée dans les «Kistnen Papers» ne tient pas la route. Il y a eu dans le passé quelques cas d’«impersonation» mais pas du tout d’une ampleur à conclure qu’il s’agit de «massive rigging». La proposition de l’opposition d’utiliser l’encre indélébile pour identifier ceux qui ont déjà voté devrait permettre d’éliminer les rares risques d’impersonation.

Est-ce à dire que le processus et parfait, que les élections sont vraiment «free and fair» ?
Ce n’est pas ce que je dis. Il est toujours possible de perfectionner le système et certaines propositions de l’opposition vont dans ce sens. Il y a eu, lors de la dernière consultation, certains incidents qui restent intrigants. La Commission électorale n’a pas donné des explications sur les allégations des bulletins vagabonds par exemple.

Maintenant, la question d’un scrutin vraiment free et fair dépasse les prérogatives de la Commission électorale. Elle mobilise d’autres institutions, la police, les médias, les réseaux sociaux et notamment la MBC-TV censée être un service public mais qui n’est que le propagandiste des partis au pouvoir, détenant de plus un monopole. La propagande progouvernementale de la MBC-TV est quotidienne. Elle est ouverte et cynique. Il faudra beaucoup de moyens et d’imagination aux partis de l’opposition pour contrecarrer cette propagande qui risque de s’amplifier.

Effectivement ! D’autant plus que les partis de l’opposition parlementaire semblent avoir du mal à s’entendre. Pensez-vous que cette alliance de l’opposition se concrétisera finalement ?
J’en doute. Il y a trop de «macadams», comme ils disent eux-mêmes. Le premier est la méfiance que Ramgoolam continue à cultiver à l’égard de Bérenger malgré les apparences. Il n’est pas à l’aise avec l’idée que Bérenger soit son numéro deux dans un éventuel gouvernement. Il aurait préféré Duval, ce qui lui permettrait d’aller à Londres en paix…

Ce n’est pas tout. La configuration du front bench pose problème. Un tandem Bérenger-Duval face à un seul Travailliste est difficile à vendre à l’électorat rouge. Seule la crainte d’une débâcle pourrait amener les trois partis à se faire les concessions mutuelles pouvant déboucher sur une entente. Et même dans ce cas, la victoire n’est nullement garantie. On a vu combien les élections font mentir les mathématiques.

C’est pourquoi il vaut mieux se dire que rien n’est encore joué. Les cartes seront rebattues. Des regroupements aujourd’hui impensables pourraient se réaliser. Des scissions chez les vieux partis politiques traditionnels sont possibles. Le jeu politique va sans doute s’ouvrir avec de nouvelles alternatives. Certaines d’entre elles pourraient apparaître séduisantes à une grande partie de l’électorat.