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Quelle alternative à l’«extended programme» ?

12 mai 2023, 19:00

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Quelle alternative à l’«extended programme» ?

L’«extended programme» (EP) a fait l’objet de vifs débats lors de la «Private Notice Question» de Xavier-Luc Duval, mardi. Il est clair que les chiffres fournis par la ministre de l’Éducation elle-même démontrent que ce programme de quatre ans n’est pas adapté aux 11 172 élèves inscrits après le grade 6. Quel est l’option idéale pour eux ? Qu’est-ce qui ne marche pas ? Les avis divergent...

En 2022, seuls 71 élèves sur 3 291, qui ont suivi l’extended programme (EP), ont réussi. Les 3 220 autres ont été «jetés sur le pavé», a souligné le leader de l’opposition Xavier-Luc Duval lors de sa Private Notice Question (PNQ) à la ministre de l’Éducation, mardi. Cela démontre clairement que ce programme de quatre ans, destiné aux enfants qui n’ont pas atteint le niveau du grade 6, n’est nullement adapté à ceux inscrits. Faut-il trouver une autre solution pour le bien des 11 172 élèves concernés ?

Plusieurs enseignants et syndicats estiment que le mieux serait de revenir à l’ancienne formule des cours pré-vocationnels. D’ailleurs Xavier-Luc Duval, lors d’une conférence de presse de mardi, l’a aussi indiqué : «Le pré-vocationnel n’était pas parfait, mais il marchait.» Le député travailliste en charge du dossier éducation, Mahend Gungapersad, qui était à ses côtés, a souligné qu’il faudrait mettre plus l’accent sur le développement des compétences de ces enfants avant de les initier à l’alphabétisation et au calcul. Un enseignant d’un collège de la zone 2, qui travaille avec les élèves de l’EP, explique que la plupart de ces enfants sont issus de familles à problèmes et défavorisées. «Ils ont des difficultés d’apprentissage depuis leur plus jeune âge et arrivent difficilement à se concentrer. Nombreux sont aussi très turbulents en classe. Est-ce que vous pensez que ces élèves arriveront à suivre les classes ? Ou pa pou kapav nek vini ekrir not lor tablo, zot pa pou pran ou mem kont. Il aurait fallu un programme éducatif mieux encadré, qui réponde à leurs besoins.»

De plus, il est difficile de leur faire cours, en prenant en considération que plusieurs ne savent même pas écrire leur nom, ajoute-t-il. «Ils n’ont pas la base alors qu’ils ont passé six années au primaire, et vous pensez qu’en quatre ans ils auront le même niveau qu’un élève du mainstream et pourront prendre part aux examens du National Certificate of Education (NCE) ? Avec eux, il faut littéralement tout reprendre à zéro une fois qu’ils intègrent le grade 7-extended. C’est une perte de temps, un fiasco total que ces élèves prennent part au NCE. Il leur aurait fallu des cours techniques. Il est démontré aussi qu’ils sont plus aptes dans la filiale technique que dans l’académique...»

Notre interlocuteur confie qu’il faut aussi plus de formation aux enseignants pour pouvoir aider au maximum ces enfants. Si auparavant, pour des classes pré-vocationnelles, il y avait des enseignants dédiés, tel n’est plus le cas. Les mêmes enseignants travaillent avec le mainstream et ceux de l’EP. «Nous avons eu une formation d’un ou deux jours, est-ce suffisant ? Nou gagn per pou travay ek sa bann zanfan la ! Par manque de formation, nous avons peur de leur faire plus de mal que de bien.» Pour lui, il est clair que les cours pré-vocationnels étaient mieux adaptés à ce type d’enfants. «Il est encore temps de faire marche arrière. Ces élèves de l’EP, après avoir perdu quatre ans au secondaire, n’ont pas de plans futurs et n’ont fait que perdre leur temps. Alors qu’auparavant, après avoir fini les cours pré-vocationnels, leurs places étaient sécurisées au Mauritius Institute of Training and Development (MITD). De plus, plusieurs élèves du pré-vocationnel ont bien réussi leur vie en faisant plusieurs métiers. Aujourd’hui, un élève qui a échoué l’EP a un choix limité. Il devra rechercher d’autres cours, sans accompagnement ni soutien. Surtout que la plupart ne peuvent pas compter sur leur famille. Be sir pa boukou ki pou kapav sorti latet andeor délo...»

«La ministre a échoué…»

Patrick Freyneau, président de la Secondary and Preparatory School Teachers and Other Staff Union, ne passe pas par quatre chemins. «La ministre de l’Éducation a échoué dans son travail et les enfants sont devenus des dommages collatéraux. Depuis longtemps, les syndicats dénoncent l’EP qui n’est pas adapté. L’enfant n’a pas réussi au Primary School Achievement Certificate (PSAC), pensez-vous que ce sera possible pour le NCE ? Le problème se trouve au primaire car, dès le départ, il aurait fallu donner une base à ces enfants.» Pour lui, les 2 % de réussite de l’EP viennent remettre en question les dires de la ministre Dookun-Luchoomun que sa réforme marche ; une réforme vouée à l’échec, dit-il, dès le départ. «Ce n’est pas un programme qui a été calculé pour les besoins de l’enfant.»

Alors quel aurait été la bonne formule pour ces élèves ? Selon Patrick Freyneau, il ne faut pas abolir le pré-vocationnel. Il faut étudier ensemble les lacunes et y remédier pour un meilleur résultat. «Mais on voit que chaque gouvernement vient avec une nouvelle réforme pour défaire ce que l’autre gouvernement a fait dans le passé. Une bataille politique devrait rester politique, sans que l’enfant ne soit perdant.»

Que pourrions-nous proposer aux élèves qui, arrivés à la fin de l’EP, échouent ? «Les envoyer dans les polytechniques, par exemple. Mais aussi mettre en place une unité spéciale au ministère de l’Éducation, avec la collaboration de celui des Finances, pour donner un soutien financier et moral à ces enfants afin qu’ils deviennent autonomes et ne se retrouvent pas à la rue ou déstabilisés parce qu’ils se sont laissé tenter par la drogue, par exemple.» Un recteur d’un collège d’État reconnaît qu’il y a des problèmes avec les classes de l’EP. Par exemple, le fait qu’il y ait des classes bondées alors qu’il est préconisé qu’il n’y ait pas plus de 20 élèves par classe. «Ainsi, l’enseignant ne peut pas donner une attention particulière à tous, sachant que ces élèves ont un gros problème d’apprentissage.»

Cependant, le problème ne vient pas juste des enseignants, mais aussi des parents, de la famille et du milieu de l’enfant. «Il n’y a pas de suivi une fois à la maison. Ils ont constamment des problèmes émotionnels qui les empêchent de progresser. Par exemple, en classe, ils ne sont pas concentrés sur leurs cours, mais sur ce qui s’est passé à la maison, leur problème familial. Chez une bonne partie de ces élèves, on note une constante irrégularité dans la présence à l’école.» Par exemple, dit-il, des élèves de l’EP ne prennent pas leurs examens du NCE. «Il y a eu un cas où un élève n’était pas venu pour les examens d’art parce qu’il s’était rendu à un mariage. Par la suite, ses parents sont venus à l’école pour demander qu’il puisse y participer. Mais comment peut-on faire ça, surtout que les examens du NCE sont au niveau national ?»

Pour lui, l’EP est la bonne méthode, mais il faut que les parents soient impliqués «pour le bon déroulement de cette réforme». «Par exemple, des social workers du ministère de l’Éducation sont dans les écoles et font le suivi, mais ils n’arrivent pas à mettre la main sur les parents. Plusieurs enfants ont plusieurs adresses, venant de parents divorcés. Certainement, le suivi ne peut se faire comme il se doit avec les parents. Le soutien d’un psychologue est encore une fois compliqué, si l’aval du parent n’est pas obtenu.»

Pour ce recteur, le pré-vocationnel n’est pas d’actualité car ces élèves doivent avoir une base. «À l’étranger, en Allemagne, par exemple, ils obtiennent même des diplômes et des licences. Pourquoi pas à Maurice ?» Selon nos renseignements, l’EP sera «enhanced» prochainement. «Un projet pilote sera lancé l’année prochaine, si tout va bien. Car le ministère travaille sur ce projet», indique un haut gradé du ministère, sans vouloir donner plus de détails.

Le bilan des trois dernières années

Entre Covid et congé forcé à cause du mauvais temps, quel est le bilan de ces trois dernières années ? Selon plusieurs sources du ministère, le niveau a baissé, mais il ne faut pas tout mettre sur le dos de la pandémie car les cours se sont tenus en ligne. «Il y a une baisse de niveau car plusieurs autres facteurs viennent s’y ajouter. Notamment le manque d’enseignants. Il y a des écoles où les élèves n’ont toujours pas d’enseignants pour un sujet spécifique. Si nombreux peuvent se permettre des leçons particulières, une poignée d’élèves ne le peuvent pas, faute de moyens.» Toujours selon cette source, si dans l’immédiat des enseignants à la retraite (moins de 70 ans) sont recherchés pour pallier ce manque, c’est parce que plus de 500 enseignants seront recrutés l’année prochaine. «Comme vous le savez, le recrutement par la PSC prend du temps ; c’est donc une solution à court terme.»

Patrick Freyneau parle d’une baisse de performance qui ne date pas des dernières années non plus. «Oui, il y a eu le Covid, mais il y a aussi la manière dont le secteur de l’éducation est géré. Ce gouvernement ne travaille pas en collaboration avec les parties prenantes. Il n’y a pas de consultations.» Mais il faut reconnaître que le Covid a eu un impact sur la psychologie des élèves en général. Ajouté à cela, ceux dont les parents ont perdu leur travail ou qui ont perdu des proches. D’autres encore parlent de promotion automatique dans plusieurs classes et le deloading of syllabus, ou encore le marking scheme revu à la baisse pour réussir dans les sujets. «Tout cela montre que la qualité de l’éducation n’est plus la même. Nou nivo ba, lerla kan ariv dan form 5 ou tas lor poto !»