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Jean Claude de l’Estrac: «S’il le pouvait, ce gouvernement renverrait également les élections législatives»
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Jean Claude de l’Estrac: «S’il le pouvait, ce gouvernement renverrait également les élections législatives»
Il crie son indignation face à l’attitude antidémocratique adoptée par le gouvernement. Jean Claude de l’Estrac déplore que le pouvoir utilise les instruments de la démocratie pour asseoir son autocratie. «Les maires sont les eunuques du Premier ministre...»
Comment réagit l’ancien maire que vous avez été à ce nouveau renvoi des élections municipales ? Le projet de municipalisation paraît séduisant, n’est-ce pas ?
J’accueille ce nouveau renvoi avec colère ! Mais ce renvoi était prévisible, et je l’avais prédit. Ce gouvernement n’arrête pas d’utiliser les instruments de la démocratie pour asseoir son pouvoir autocratique. En accordant comme un nouveau mandat aux conseillers municipaux existants, cela équivaut à dire que c’est le gouvernement qui choisit les conseillers à la place des électeurs.
Cette pratique vient d’être condamnée par le Privy Council dans un cas similaire à Trinité-et-Tobago. Les Law Lords écrivent : «The election of representatives for a fixed or maximum period is the foundation on which a democratic society is built. It is inimical to representative democracy that the representatives are chosen by anyone other than the electorate. It is not for Parliament, still less the government to choose the representative.» C’est une condamnation par avance de ce que le Parlement mauricien s’apprête à faire.
S’il le pouvait, ce gouvernement renverrait également les élections législatives. Heureusement, l’amendement constitutionnel de 1982, qui prévoit une majorité parlementaire ABSOLUE (après un référendum) pour ce faire, nous préserve de cette ignominie.
Le prétexte d’une municipalisation ou d’une restructuration à venir est fallacieux. Ce n’est pas de municipalisation qu’il s’agit mais de politisation. De toute façon, il n’y a plus de «local government» à Maurice. Les municipalités ne sont plus que des antennes de l’administration centrale. Les maires sont les eunuques du Premier ministre. Et dire que fut un temps, les conseils municipaux avaient les moyens et l’autonomie pour construire des logements, aménager des gares routières, bâtir des marchés, installer des complexes sportifs, gérer des théâtres. Ce temps est révolu, les pouvoirs et les moyens des maires sont passés entre les mains des secrétaires parlementaires qui sont les sirdars des ministres.
Vous avez été également un «whip» de l’opposition en 1976. Quel regard portez-vous sur ce qui vient de se passer à l’Assemblée nationale ?
Vous évoquez le Parlement des années soixante-dix. Je vous l’affirme, c’était l’âge d’or du parlementarisme mauricien. Entre 1976 et 1982, nous avons connu une expérience parlementaire d’un niveau jamais égalé depuis.
D’un côté, sur les bancs gouvernementaux, les grands ténors du Parti travailliste, sir Seewoosagur Ramgoolam lui-même, sir Veerasamy Ringadoo, sir Satcam Boolell, sir Harold Walter. Et de mon point de vue, le plus élégant d’entre eux, Kher Jagatsingh. En face, une meute de jeunes parlementaires, idéologues et radicaux mais aussi instruits et avertis. Et pour arbitrer les joutes de haut niveau, un speaker cultivé et impartial. Personne, jusqu’ici, n’a été à la hauteur de sir Harilall Vaghjee. Il faut se rendre à l’évidence : oui, le fond est maintenant touché.
Et par-dessus tout, à cette époque d’intense opposition idéologique, il existait quand même un respect mutuel. Je me souviens d’un incident : un mardi, après un échange musclé entre Harold Walter et moi-même au Parlement, nous nous sommes retrouvés, ensemble, dans les couloirs pour fumer une bonne cigarette Dunhill que le ministre m’offre. Arrive sir Seewoosagur, qui ordonne à sir Harold de rentrer tout de suite dans l’Hémicycle, pour s’instruire des discours des membres de l’opposition qui étaient en train de s’exprimer.
Mais le problème posé est celui de déterminer la ligne de démarcation entre vie privée et vie publique d’une personnalité publique. N’est-il pas justifié que le Premier ministre dénonce les travers incriminés de son adversaire ?
Il n’y a pas de problème. La déontologie en la circonstance, en particulier pour la presse, est on ne peut plus claire. La seule justification d’une divulgation de faits privés de la vie d’un d’homme public, c’est la démonstration que le fait privé est lié et tributaire de son action publique. Dites-moi en quoi les produits pharmaceutiques trouvés chez Ramgoolam sont un sujet d’intérêt public ? Jugnauth se fourvoie. Je crois reconnaître la plume qui a écrit le texte du Premier ministre…
Est-ce que cet épisode aura une conséquence négative sur les négociations d’alliance des partis de l’opposition parlementaire ?
Je ne le crois pas. Je crois même que l’opération a été contre-productive pour Pravind Jugnauth. Ramgoolam a eu raison de ne pas répondre. Casanova, s’il en fut, n’a pas besoin de répondre au Grand Inquisiteur…
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