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Trinité-et-Tobago: le Conseil privé déclare anticonstitutionnelle la prolongation du mandat des conseillers régionaux

22 mai 2023, 22:00

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Trinité-et-Tobago: le Conseil privé déclare anticonstitutionnelle la prolongation du mandat des conseillers régionaux

Les «Law Lords» du «Privy Council» ont tranché le 18 mai : l’amendement à la «Municipal Corporations Act» de Trinité-et-Tobago est anticonstitutionnel. À Maurice, le gouvernement MSM veut aussi étendre le mandat des conseillers régionaux. On ne sait si cela concernera les conseillers élus ou les prochains. Si l’amendement proposé passe et si le président de la République étend le mandat des conseillers existants, cela voudra dire que les élections municipales seront renvoyées.

Le 7 novembre 2022, la Municipal Corporations Act 1990 de Trinité-et-Tobago, l’équivalent de notre Local Government Act, est amendée pour étendre le mandat des conseillers municipaux de trois à quatre ans. Seulement, l’amendement ne précise pas si la prolongation du mandat des conseillers concerne seulement les prochains élus ou aussi les titulaires, c’est-à-dire les conseillers déjà élus dont le mandat arrivait à terme en décembre 2022. Les prochaines élections devaient avoir lieu en mars 2023.

Ravi Balgobin Maharaj a saisi la cour trinidadienne pour demander une révision judiciaire de cet amendement car, selon lui, il est anticonstitutionnel. La cour en première instance ayant rejeté sa demande, Maharaj a fait appel. La Cour d’appel de Trinité-et-Tobago a confirmé la décision de la cour inférieure en affirmant que l’amendement n’était pas anticonstitutionnel eu égard au fait que la Constitution trinidadienne ne parle pas des élections régionales. Maharaj a alors saisi le Privy Council. Les Law Lords ont tranché le 18 mai : l’amendement à la Municipal Corporations Act est anticonstitutionnel. Le principal argument avancé : le manque de précision de l’amendement du 7 novembre 2022. Il ne devait pas permettre aux conseillers élus de demeurer en poste pour une année supplémentaire et devrait être interprété comme s’appliquant uniquement aux conseillers qui seront élus lors des prochaines élections.

Cet amendement à la Municipal Corporations Act le 1er juillet 2022 ne visait en fait qu’à étendre le mandat de trois à quatre ans. Et les Trinidadiens pensaient sans doute qu’il ne s’appliquerait qu’aux prochains élus. Or, le 3 novembre 2022, le ministre du Rural Development and Local Government annonce l’intention du gouvernement de mettre en pratique cet amendement et surtout que le nouveau mandat de quatre ans s’appliquera «to the Councillors and Aldermen then in office (…) who would therefore serve for an additional term of one year until December 2023, with elections postponed for one year». Le 7 novembre 2022, le gouvernement émet un communiqué déclarant que l’amendement prendra effet dès le lendemain, le 8 novembre 2022.

La majorité des Law Lords a conclu que prétendre, comme l’a fait la Cour d’appel de Trinité-et-Tobago, que l’amendement de juillet 2022 s’applique aussi aux conseillers déjà élus (et pas seulement aux prochains élus) reviendrait à appliquer une loi rétroactivement. Si l’amendement se voulait rétroactif, cela «would require much clearer language… in our view, even read on their own, they more naturally read as applying to Councillors and Aldermen elected after the amendments come into force».

Conseillers choisis par le gouvernement

Pourquoi le Privy Council interprète-t-il restrictivement l’amendement ? Il s’explique : «A democratic society will necessarily engage other rights – freedom of expression and association, for example – but the election of representatives for a fixed or maximum period is the foundation on which it is built.» Et d’enfoncer le clou : «Ce serait une atteinte à une démocratie participative que ses représentants soient choisis par d’autres que l’électorat. Ce n’est pas au Parlement et encore moins au gouvernement de le faire. Et en appliquant l’amendement aux conseillers existants, c’est ce que fait le gouvernement.» Pour les Law Lords, le Parlement ne peut lui-même violer les droits fondamentaux en usant d’amendements ambigus et le système des collectivités locales fait partie intégrante de la démocratie.

Et à Maurice ?

Le Privy Council, qui est l’ultime cour de justice de notre pays également, vient donc de statuer que ce n’est pas au gouvernement ni même au Parlement de choisir les élus et qu’en étendant le mandat des conseillers régionaux, le gouvernement se substitue à l’électorat. Le gouvernement ne peut appliquer une loi étendant le mandat des conseillers municipaux à quatre ans alors qu’ils ont été élus avant cet amendement, lorsque le mandat n’était que de trois ans.

Certes, dans cette affaire trinidadienne, il s’agissait pour les Law Lords d’interpréter l’amendement à la Municipal Corporations Act qui n’était pas claire au sujet de son champ d’application.

Et si l’amendement était clair et disait que le mandat des conseillers existants serait étendu, c’est-à-dire qu’il serait rétroactif ? Le Privy Council semble reconnaître que ce serait légal, à condition que l’amendement établisse clairement qu’il s’appliquera rétroactivement pour un sujet aussi important que le mandat des conseillers.

À Maurice, le gouvernement paraît s’engager sur la même voie que celui de Trinité-et-Tobago en proposant de donner le pouvoir au président de la République, «acting in accordance with the advice of the Prime Minister», d’étendre le mandat des conseillers municipaux et villageois de deux ans (et non d’un an comme à Trinidad). Le communiqué du Conseil des ministres de vendredi est clair à ce sujet : «Cabinet has agreed to the introduction of the Local Government (Amendment) Bill into the National Assembly. The object of the Bill is to amend the Local Government Act to empower the President, acting in accordance with the advice of the Prime Minister, to further extend the life of the entire Municipal City Council and Municipal Town Councils, or entire Village Councils for a period of two years.»

Le président Roopun étendra-t-il le mandat des conseillers existants ou des conseillers futurs ? On ne le sait pas. Le projet d’amendement qui sera présenté et voté demain nous aidera à mieux comprendre. D’ailleurs, le certificat d’urgence pourrait s’expliquer par le besoin du gouvernement d’appliquer l’amendement aux conseillers existants. En tout cas, le jugement Ravi Balgobin Maharaj de Trinité-et-Tobago est tombé à point nommé et il faudra compter avec lui. Ce qui est sûr, c’est que l’opposition en fera probablement bon usage. Dans une déclaration à l’express hier, Me Rama Valayden fait savoir qu’il compte, avec les autres partis d’opposition, saisir la justice ce mercredi pour contester cet amendement renvoyant les élections municipales.

Samedi, Kugan Parapen de Rezistans ek Alternativ a mis le président Roopun devant ses responsabilités. S’il accorde son «assent» à cet amendement, il sera complice d’un viol de la démocratie. Après son éventuel assentiment, le président sera aussi appelé à étendre le mandat des conseillers déjà élus et ceux qui le seront dans le futur quand cela lui plaira. Ou plutôt quand cela plaira au Premier ministre qui l’avisera selon son bon vouloir.