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MIC : entre guichet de la Banque de Maurice et fonds souverain
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MIC : entre guichet de la Banque de Maurice et fonds souverain
Ayant bientôt trois ans d’existence, la Mauritius Investment Corporation (MIC) continue de susciter interrogations et incompréhensions. Tant par la classe politique que par les spécialistes de la finance qui croient dur comme fer qu’à la base du désordre monétaire et de l’inflation historiquement élevée auxquels l’économie est confrontée actuellement, il y a forcément une part de responsabilité de la Banque de Maurice (BoM) ; pour avoir puisé Rs 82 milliards en juin 2020 de ses réserves en devises étrangères pour les mettre à la disposition de la MIC en vue de sauver des entreprises systémiques affectées par l’effet économique de la pandémie.
Devenue une filiale de la BoM, la MIC s’est attelée depuis à sauver des opérateurs dans l’hôtellerie, la construction, la manufacture ou encore l’évènementiel. Soit des entreprises économiquement inactives pendant les deux confinements, confrontées, disent leurs dirigeants, à des défauts de paiements et menacées de fermeture. Avec à la clé des risques de licenciements massifs. Le ministre des Finances évoquait à l’époque le chiffre de 100 000 chômeurs.
Certes, les risques étaient là, grossis probablement par certains opérateurs pour alerter l’opinion publique, et forcer l’État à réagir promptement à leur menace alors même que ce dernier cherchait à tout prix à éviter une crise sociale. Ce qui serait d’ailleurs la dernière chose à espérer dans un pays miné par la crise pandémique avec une économie contractée à 15 % de son Produit intérieur brut (PIB) en 2020. D’où la rapidité avec laquelle les demandes de financement de la MIC ont été approuvées ; mais dans la foulée, elles ont conduit certains experts à s’interroger sur les contrats d’emprunt signés entre la MIC et des sociétés en quête d’assistance financière. Faut-il ici insister sur le fait que dans sa politique du «quoiqu’il en coûte», le gouvernement est venu, à travers la MIC, sauver des sociétés zombies, qui auraient dû tôt ou tard disparaître du paysage tant leur business model ne correspond plus aux nouvelles réalités économiques.
«Dans sa vocation actuelle, la MIC est perçue comme un guichet de la banque de Maurice, d’où les critiques dont elle a fait l’objet de spécialistes financiers, mais aussi d’institutions internationales.»
Quoi qu’il en soit, les dernières statistiques de la MIC nous éclairent sur l’étendue de ses financements. Soit que, sur les Rs 82 milliards transférées à la MIC, il y a au moins Rs 64 milliards déjà investies dans divers secteurs d’activité, l’hôtellerie engrangeant la part du lion avec un montant déboursé de Rs 15,2 milliards ; l’agriculture, Rs 7,4 milliards; la manufacture, Rs 2,6 milliards ; les biens immobiliers, Rs 1 milliard ; la construction, Rs 415 millions ; et d’autres secteurs, Rs 27 milliards.
Quid des bénéficiaires ? Si on se fie au tableau dressé par la MIC dans son dernier rapport clos au 30 juin 2021, soit une année après son incorporation, le groupe New Mauritius Hotels a eu droit au plus gros emprunt, soit Rs 2,5 milliards, dont Rs 1,5 milliard avait déjà été débloqué ; Long Beach Resort à Belle-Mare, Rs 2 milliards ; Veranda Leisure Hotel, Rs 1,3 milliard ; et Lux Island Resorts, Rs 920 millions. Dans la foulée, on relève Mauriplage Beach Resort appartenant à la famille Ramdenee et Luxury Retirement Village d’Avinash Gopee. Le secteur textile avec la CMT de François Woo s’est vu lui octroyer un prêt de Rs 900 millions.
Certes, il faudra attendre le prochain rapport annuel, qui doit théoriquement être publié dans les prochains jours, pour analyser la performance de la MIC, qui a enregistré, pour sa première année d’opération, des pertes de Rs 538 millions. Toutefois, les résultats financiers au 30 juin 2022 et soumis au Registrar of Companies, montrent des profits de plus de Rs 2 milliards. Mais aussi, l’existence de nouveaux prêts approuvés et décaissés ainsi que l’identité des bénéficiaires. Toutefois, ce retard d’une année dans la publication du deuxième rapport annuel est pointé du doigt pas des observateurs, estimant qu’il est inacceptable de la part d’un fonds public qui brasse des dizaines de milliards de roupies et qui doit donner l’exemple à ses propres débiteurs. La Banque de Maurice, dont la MIC est une filiale, accepterait-elle qu’une banque commerciale soit en retard dans la publication de son bilan annuel, sans donner d’explications, s’interrogent-ils.
Toujours est-il qu’il n’est un secret pour personne que dans sa vocation actuelle, la MIC est perçue comme un guichet de la Banque de Maurice, d’où les critiques dont elle a fait l’objet de spécialistes financiers, mais aussi d’institutions internationales. Le FMI a, plus d’une fois, demandé à la Banque de Maurice de se retirer de son actionnariat et d’en confier la responsabilité au Trésor public ou à défaut à la Banque de développement.
L’économiste Eric Ng rappelle que la MIC fut lancée comme un fonds de sauvetage pour sauver des entreprises ayant un chiffre d’affaires de plus de Rs 100 millions. Elle est devenue ensuite un fonds de développement, le gouvernement utilisant les fonds de la MIC pour investir dans des projets publics, comme la distribution d’eau à Rodrigues sans garantie de retour sur investissement. Maintenant le chairman, Mark Floman, annonce que la MIC sera un fonds souverain. «Je ne connais aucun autre fonds dans le monde qui cumule trois objectifs qui n’ont aucun lien entre eux. La MIC n’a, de ce fait, aucune orientation stratégique claire», martèle l’économiste.
Faut-il accréditer la thèse trop souvent relayée dans la presse que la MIC est un «war chest» ? Eric Ng ne partage pas cette opinion. Car ses ressources financières viennent de la pure création monétaire. «Si Maurice avait découvert de l’or ou du pétrole, le pays aurait alors eu un war chest et aurait pu alors investir cette manne financière dans un fonds souverain. Un fonds souverain peut aussi être constitué d’un excédent de réserves internationales ou d’une partie d’un surplus budgétaire. Un fonds souverain financé par de l’argent imprimé, c’est du délire», s’exclame-t-il.
Entre-temps, les réserves officielles propres à la Banque de Maurice diminuent sensiblement en raison du fort déficit courant de la balance des paiements, tandis que le déficit budgétaire se détériore au-delà de 5 % du PIB. Outre ce twin deficit, qui traduit la faiblesse de l’épargne nationale, les passifs éventuels des pensions à prestations définies (Basic Retirement Pension et pensions du secteur public) sont énormes et insoutenables, sans compter le niveau très élevé de l’endettement public.
Dans ces conditions, l’économiste estime que créer un fonds souverain est un contresens alors qu’il faut d’abord rétablir les fondamentaux économiques. Toujours est-il que Marc Floman persiste et signe. Il croit dur comme fer que le positionnement de la MIC comme un fonds souverain sera la prochaine étape à franchir pour permettre à l’économie mauricienne de franchir un palier critique de son développement. Un premier pas vers cet ambitieux objectif aura été, dit-on, son adhésion à l’International Forum Sovereign Wealth Fund Association.
Entre un guichet de la BOM et un fonds souverain, la MIC devra choisir sa voie.
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