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Charge provisoire: entre soupçons raisonnables et motifs déraisonnables

31 mai 2023, 15:33

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Charge provisoire: entre soupçons raisonnables et motifs déraisonnables

En l’absence de critère spécifique pour définir ce qu’est le soupçon raisonnable, le système de charge provisoire confère un pouvoir énorme à la police. Comme l’illustre l’arrestation du couple Singh.

Sherry Singh et son épouse ont été arrêtés lundi après plus de deux heures de fouille à leur domicile à Ébène. Au bout du compte, rien d’in- criminant n’a été trouvé. Des charges provisoires ont tout de même été portées contre le couple Singh, car ce que la police appelle «reasonable suspicion» suffit pour arrêter quelqu’un. En l’absence de critère spécifique pour définir ce qu’est une suspicion raisonnable, le système de charge provisoire confère un pouvoir considérable à la police. Pourtant, comme l’a fait comprendre la justice et même le DPP à maintes reprises en rayant des charges provisoires, «de simples soupçons ne suffisent pas».

L’avocate de Sherry Singh, Me Urmila Boolell, est tout aussi intriguée par l’arrestation de ses clients. La SST est venue effectuer une fouille à leur domicile avec un mandat d’arrêt faisant état de «possession of stolen objects» Rien de tel n’a été trouvé, mais Sherry Singh et son épouse ont tout de même été arrêtés après l’exercice. Sur quel soupçon raisonnable la police s’est-elle basée pour justifier cette arrestation ? Y a-t-il vraiment des éléments de preuve ou les hommes de Jagai se fient-ils à leur instinct ? Pour priver une personne de sa liberté, il faut se baser sur des preuves, des suspicions raisonnables. Il faut des preuves concrètes de l’infraction.

Bien que les tribunaux nationaux et la Cour européenne des droits de l’homme se soient prononcés à plusieurs reprises sur le critère de la suspicion raisonnable, il n’y a cependant pas de critère spécifique pour évaluer ce qu’est un soupçon raisonnable. Ainsi, le système de charge provisoire confère donc un immense pouvoir à la police, qui n’hésite pas à s’en servir. Dans de nombreux cas, la police procède à une arrestation, puis commence à rechercher des preuves qui justifieraient une telle privation de liberté.

«No guess, no sixth sense»

En cour, la police dira qu’elle est toujours à la recherche de preuves ou que l’enquête est toujours en cours et qu’il y a une «reasonable suspicion» pour ne pas rayer l’affaire. Toutefois, jusqu’ici, les policiers ont très rarement pu expliquer ou développer davantage les suspicions raisonnables qui les poussent à arrêter quelqu’un. Après plusieurs années d’enquête, ils ne seront toujours pas en mesure de le faire. D’où, la raison pour laquelle la justice finit par rayer bon nombre d’accusations provisoires portées au petit bonheur.

Prétexte

Récemment, la cour a tranché en faveur de la radiation des charges provisoires contre l’avocat Akil Bissesur, Brinjendrasingh Naeck, l’ex-commissaire de police Mario Nobin, les magistrats faisant à chaque fois ressortir que «the requirement of reasonable suspicion has not been met» et que le soupçon raisonnable «is no instinct, allows no guess, no sixth sense. It is scientific. It has to support on facts not equivocal facts but facts consistent with guilt».

Le DPP, Me Rashid Ahmine, l’a aussi dit dans l’affaire de Me Rama Valayden : «The DPP strongly recommends the Commissioner of Police not to resort instantly into lodging provisional charges invariably in all cases but rather seek prior legal advice from the DPP who is constitutionally mandated to decide in all criminal proceedings.» Pourtant, tout en étant bien conscient de ce qui se passera ensuite, la police continue à faire un abus de son pouvoir d’arrestation, en utilisant le prétexte de «reasonable suspicion» alors qu’il est évident que les motifs pourraient être autres. Au bout du compte, est-ce une énième affaire qui finira par être rayée en cour par manque de preuves ?