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Budget 2023-24 - Anthony Leung Shing: «Difficile pour les futurs gouvernements de renverser cette culture de soutien et de protection sociale»

7 juin 2023, 10:22

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Budget 2023-24 - Anthony Leung Shing: «Difficile pour les futurs gouvernements de renverser cette culture de soutien et de protection sociale»

Si la consommation demeure un vecteur de croissance, le Country Senior Partner de PwC souligne le dynamisme des recettes de la TVA et des impôts sur les biens et services. Il craint par ailleurs une trop forte influence du gouvernement sur l’État providence et justifie sa préférence pour un taux fixe de 15 %. Au passage, il trouve difficilement réalisable l’ambition du gouvernement de ramener la dette publique à 60 % du PIB d’ici 2030.

Le 4e Budget du ministre des Finances est éminemment social pour redonner du pouvoir d’achat aux ménages au bas de l’échelle. Est-ce à dire que le gouvernement dispose des moyens financiers pour satisfaire les attentes de ce segment de la population en s’appuyant sur les fruits de la reprise ?
L’économie durant l’année budgétaire 2022-23 a progressé de 8 % et ce même taux de croissance est prévu pour 2024. En comparaison, selon le FMI, l’économie mondiale va croître à un rythme de 3 % en 2024 et la reprise économique du pays est bien réelle. Pour l’année prochaine, le recurrent déficit sera contenu à 0,4 % du PIB, avec les recettes de l’État en hausse de 10 % et les dépenses publiques à 7 %. En effet, ce dynamisme économique permet une certaine largesse du gouvernement. Toutefois, il ne faut pas oublier les fonds spéciaux créés durant la période Covid-19. Le gouvernement dispose d’environ Rs 30 Mds, dont Rs 24 Mds seront dépensées durant l’année courante.

En redonnant les moyens de dépenser à travers de nouvelles prestations sociales, voire des mesures fiscales, le Trésor public entend doper la consommation qui va mécaniquement augmenter les recettes de la TVA avec une inflation à deux chiffres et influer positivement sur la croissance. Pour l’année fiscale 2023-24, le ministère des Finances espère engranger des revenus fiscaux records de presque Rs 105 Mds. Doit-on comprendre que ce que le ministre donne d’une main, il va le reprendre de l’autre ?
Aujourd’hui, la consommation (publique et privée) est un élément clé de la croissance économique du pays et représente environ 80 % de notre PIB. Le dynamisme des recettes fiscales est porté par les impôts sur les produits et services et les recettes de la TVA ont augmenté à Rs 49 Mds contre Rs 45 Mds initialement estimées. En 2024, l’impôt direct (sur les compagnies et les individus) augmentera de 12 %, contre 20 % provenant de sources indirectes (TVA, droits d’accise, etc.). Le dynamisme de la consommation domine l’activité économique. Le taux d’épargne reste faible et, avec la flambée de prix, les soutiens sociaux seront dépensés. Une croissance économique de 8 % devrait per- mettre moins d’intervention de l’État, et je crains l’influence grandissante de l’État providence. Il sera difficile pour les futurs gouvernements de renverser cette culture de soutien et de protection sociale.

La mesure phare du Budget reste la réforme fiscale en introduisant un régime progressif pour remplacer celui de Rama Sithanen en 2006 où il avait proposé un taux fixe de 15 %. Estimez-vous que ce nouveau régime fiscal apporte plus d’équité et de justice fiscale, vu que les revenus seront taxés de manière graduelle ?
L’équité d’un système fiscal demande que les personnes avec un niveau de revenus plus élevé contribuent plus d’impôt. La progressivité d’un système dépend des différents seuils de revenus et du taux d’imposition. Donc, il faut souligner que, même sous un régime à taux fixe de 15 %, les personnes à revenus élevés paient plus d’impôt en absolu et l’impôt est proportionnel au revenu perçu. Un système de taxation à taux variable ne fait qu’accentuer la progressivité du poids de l’impôt à mesure que le revenu augmente. Le régime actuel contient certaines anomalies où, dépendant du seuil, certains individus étaient sujets à un taux effectif d’imposition inférieur, malgré plus de revenus. Ce nouveau régime vient rétablir l’équité fiscale. Dans l’ensemble, je préfère la simplicité d’un régime fiscal à taux fixe et d’ailleurs, le changement apporté en 2006 avait entraîné une hausse des recettes fiscales de l’État.

La mise à exécution du Budget coûtera à l’État Rs 200 Mds. Outre les recettes de Rs 179 Mds que le Trésor public s’attend à recueillir, comment compte-t-il financer la différence ?
Le déficit budgétaire représente l’excédent de dépenses publiques (courant et capital) sur les recettes de l’État et ce montant est évalué à plus de Rs 21 Mds pour l’année fiscale 2023-24. Bien que le montant du déficit ne baisse pas, le ratio déficit-PIB est sur une tendance baissière par rapport à la croissance du PIB, chutant à 3,5 %. Le gouvernement va s’endetter davantage pour financer le programme budgétaire par les bons de trésor ou autres obligations d’État émis sur le marché local. De manière générale, 75 % de la dette publique reste domestique et 50 % est à un taux fixe. Vu la composition de la dette, le pays reste exposé à la dépréciation de la roupie ainsi qu’à la montée des taux d’intérêt. Cependant, plus de 70 % de la dette publique est à long terme et le poids des remboursements est contenu dans l’immédiat.

Dans votre analyse, vous souligniez que le ministère des Finances a recouru une nouvelle fois aux fonds spéciaux pour développer des projets d’infrastructure et d’autres à caractère social, qui ont peu d’impact sur la productivité du pays. Vos commentaires ?
Les fonds spéciaux ont été essentiels pour financer le programme budgétaire – plus de Rs 24 Mds cette année. Rappelons-nous, Rs 55 Mds avaient été préservées durant la pandémie pour des circonstances exceptionnelles. Je trouve inquiétant que 33 % de ces fonds soient maintenant utilisés pour des dépenses courantes, en apportant peu de valeur ajoutée à long terme. Les projets d’infrastructure routière et le métro auront un effet positif sur la croissance, permettant une meilleure utilisation et accessibilité aux facteurs de production. Cependant, les logements sociaux et les drains ont moins d’impact puisque les matières premières sont importées. La capacité productive d’un pays est un des moteurs clés d’une croissance durable et il faudrait privilégier les projets visant à améliorer notre puissance économique, par exemple, le port qui reste une zone sous-exploitée.

Le ministre vise une croissance de 8 % et une dette publique de 71,5 % du PIB à juin 2024 et de 60 % du PIB à 2030. Ces objectifs sont-ils réalisables à moyen et long termes dans la conjoncture économique ?
En 2022, l’économie a connu une reprise forte : les secteurs touristique, manu- facturier et financier ont été les piliers de la croissance et le gouvernement prévoit la même tendance pour la prochaine année. Cependant, le FMI estime que l’économie mauricienne va croître de 4,6 % en 2023 et les prévisions budgétaires me paraissent plutôt ambitieuses. L’économie mondiale reste fragile et, même si je suis de nature optimiste, je pense qu’il serait difficile de maintenir ce rythme de croissance. Aujourd’hui, notre PIB est à Rs 614 Mds (6 % plus que prévu) alors que le ratio dette publique-PIB est chiffré à 79 %. Le gouvernement peine à contenir la dette publique malgré une croissance forte et, pour réduire le ratio à 60 % en 2030, il faudrait réduire les dépenses publiques ; avec une idéologie socialiste, je trouve cela difficilement réalisable.

Des spécialistes soutiennent que ce Budget ne s’attaque qu’aux urgences économiques et sociales sans une réforme structurelle de l’économie. Cet exercice se contenterait de distribuer des cadeaux ici et là et d’augmenter les dotations aux secteurs traditionnels sans une profonde restructuration alors que la crise pandémique est venue secouer l’architecture économique mondiale et rappeler que le «business-as-usual mode» n’est plus à l’ordre du jour. Partagez-vous cette analyse ?
Sous l’effet de la reprise, le gouverne- ment joue sur cette vague de dynamisme économique. Les mesures macroéconomiques consistent principalement en subventions, prêts concessionnels et abattements fiscaux pour stimuler l’activité sectorielle, mais peu de politique de réforme. Cependant, je trouve le positionnement du pays comme une île carboneutre et à certification green intéressant et cela pourrait ouvrir de nouvelles opportunités; mais il nous manque un plan national pour harmoniser les aspects de l’élaboration des politiques sectorielles. Dans l’ensemble, ce budget poursuit la philosophie des dernières années et comporte une forte dose sociale. Ainsi, seulement certains secteurs, comme les banques et les télécommunications, ont été touchés négativement. La population bénéficiera d’aides directes et des mesures fiscales ; le peuple est heureux mais pour l’économie, tout reste à jouer.