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Conseil de district de Rivière-du-Rempart: comment une dette de Rs 8,2 millions s’est transformée en Rs 437 millions
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Conseil de district de Rivière-du-Rempart: comment une dette de Rs 8,2 millions s’est transformée en Rs 437 millions
Le Privy Council vient de condamner le conseil de district de Rivière-du-Rempart à payer Rs 437 millions à Alphamix. Alors que son budget de fonctionnement ne dépasse pas Rs 323 millions. Qui va payer ? Le contribuable, bien sûr. Dans cette affaire, il semble que ce soient les hommes de loi du conseil de district qui se soient le mieux servis en abusant presque des procédures juridiques.
Une vraie étude de cas. Le montant du contrat alloué le 6 février 2003 pour la construction du marché de Rivière-du-Rempart était de Rs 52,7 millions. Montant qui a été payé à Alphamix Ltd. Sauf qu’un montant de Rs 8,2 millions a été retenu par le conseil de district de Rivière-duRempart, cela pour cause de retard dans la livraison du marché plus des dommages subis pour ce même retard. Cette retenue était-elle justifiée ? «Cela avait été certifié par l’architecte et le consultant», nous dit-on. Pour d’autres (voir l’express du 6 juillet 2017), «le conseil de district de Rivière-du-Rempart n’a jamais pu expliquer la raison pour laquelle il n’avait pas payé ses frais envers cette compagnie». Toujours est-il qu’aucun compromis n’est recherché et l’affaire est portée par Alphamix devant la Cour Suprême qui tranche en juillet 2009 et accorde Rs 138 000 au contracteur.
Pour une autre raison inconnue, Alphamix revient alors avec une réclamation additionnelle de… Rs 130 millions au lieu des Rs 8,2 millions dues ! Réclamation qui était en fait de Rs 210 millions et qu’elle aurait volontairement réduite de Rs 80 millions. Et d’un commun accord, le litige est porté devant un arbitre, l’exmagistrat Denis Vellien, nommé par la Cour suprême. L’arbitre délivre trois sentences entre janvier 2012 et juillet 2013 en faveur d’Alphamix pour un chiffre total de Rs 6,2 millions. Le conseil de district aura donc payé jusque-là Rs 52,7 millions pour le contrat plus Rs 24,1 millions pour les réclamations supplémentaires obtenues de l’arbitrage de Denis Vellien.
Pas de solution à l’amiable svp !
Par la suite, l’ex-magistrat Vellien se retire de cette affaire après la circulation d’une lettre anonyme et c’est le juge Benjamin Marie-Joseph qui est proposé pour le remplacer. Le conseil de district y objecte, alléguant que le précédent arbitre avait tout bouclé. Le juge Madhub note le 15 février 2015 que l’avoué de ce dernier n’avait pas objecté au (même) cahier des charges de l’arbitrage qui a pris quatre ans et demi pour délivrer trois sentences et surtout qu’aucune des parties n’a objecté à la récusation de l’arbitre Vellien. Première incohérence des hommes de loi. Le juge Madhub constate également que le conseil de district a refusé toute solution à l’amiable «pour laquelle pourtant», nous fait remarquer un avocat, «il n’y avait aucun frais légal à payer».
Le deuxième arbitre, Benjamin Marie-Joseph, annule les précédentes sentences arbitrales de son collègue Vellien et recommence à zéro. Le 20 août 2015, il accorde Rs 3,5 millions de dommages à Alphamix, le 30 juillet 2016 Rs 3,5 millions comme intérêts et le 23 septembre 2016 Rs 83,8 millions, représentant le coût de variation du contrat ! À noter que les deux tranches de Rs 3,5 millions sont réglées par le conseil de district mais non les Rs 83,8 millions car le conseil dit manquer de fonds. Le 7 octobre 2016, Benjamin Marie-Joseph impose Rs 9,4 millions pour les frais des hommes de loi et d’arbitrage en faveur d’Alphamix. Dans le libellé sont inclus aussi les frais de consultants mais cela, nous dit notre interlocuteur avocat, «c’est pour que l’on ne sache pas combien exactement a été payé aux hommes de loi».
Le conseil de district dépose le 31 janvier 2017 une demande d’injonction en Cour Suprême pour empêcher Alphamix de procéder à la saisie des biens du conseil qui n’a pu payer les Rs 83,8 millions qu’il lui doit. Le 27 juillet 2017, la juge Narain refuse d’accorder cette injonction.
Collection d’actions en justice
Les légistes du conseil déposent au moins trois contestations qui ont toutes été rejetées, l’affaire étant tellement claire. On apprend aussi que l’enquête de l’Independent Commission against Corruption (ICAC), ouverte sur les allégations contenues dans la fameuse lettre anonyme et qui a valu à l’ancien arbitre Vellien de se retirer, «est en cours». Autre information intéressante : le ministère des Administrations Régionales, qui était cité comme codéfendeur dans cette affaire, a, le 8 mars 2017, affirmé dans un affidavit qu’il ne déboursera pas la somme due car, entre autres, «the sum […]exceeds by far the yearly grant allocated to it from the Consolidated Fund». Le conseil de district se plaint, lui, qu’une saisie éventuelle provoquera une perturbation dans les services offerts aux villageois. C’est vrai mais est-ce une raison de ne pas faire appliquer la loi ? Le juge Madhub n’a pas voulu envisager cet argument ni celui qui disait, assez naïvement, que ce pouvoir de saisie donné au Master and Registrar est anticonstitutionnel. Car pour le juge, ce n’était pas ainsi que l’on contestait la constitutionnalité d’une loi. Avec recul, un avocat nous explique que les hommes et femmes de loi du conseil devaient nécessairement savoir que leur argument n’allait pas convaincre. Une autre «action inutile». Le juge note également que le conseil de district n’a pas nié avoir fait une proposition acceptée par Alphamix pour le paiement de Rs 72,9 millions plus VAT pour le règlement final de cette affaire. Pourquoi le conseil de district est-il ensuite revenu sur cette proposition ? Contacté, le président du conseil, Soobiraj Ellayah, a déclaré qu’il ne veut pas commenter et que «mo pa konn narien ladan».
Dans l’impossibilité de régler ces Rs 83,8 millions (Rs 72,9 millions plus la TVA), Alphamix veut saisir les biens du conseil y compris la Jaguar du président Ellayah et les camions de ramassage d’ordures ménagères. Le conseil, ou plutôt ses hommes de loi qui semblent avoir pris le contrôle de l’affaire, n’arrête pas les contestations, procédurales pour la plupart, et «perdues d’avance», selon notre interlocuteur avocat. (NdlR : On ne sait pas si et comment le conseil a pu quand même payer ses hommes de loi.) Ainsi, il est reproché à Alphamix de n’avoir pas servi de commandement avant l’avis de saisie. En fait, il y en avait bien eu. Les hommes de loi le reconnaissent mais «essaient» d’autres arguments qui ne marchent pas. L’avouée du conseil fera même quelque chose d’incroyable : «On 19 January 2017, the applicant’s Attorney wrote to the Master and Registrar for an issue of an order to all ushers of the Supreme Court for compliance with procedures prior to the sale of applicant’s properties.» Et demande à un juge en chambre le 30 janvier 2017 «restraining the first respondent from executing the distress warrant». Le 27 juin 2017, la juge A. D. Narain rejettera bien sûr cette demande. Le 7 juillet 2017, la juge R. Teelock refuse une deuxième tentative «déguisée en appel». La juge G. Jugessur-Manna autorise le 30 avril 2018 les saisies en résumant toute l’affaire ainsi : «the first respondent (Alphamix, ndlr) has an award in its favour as far back as on 23 September 2016 and the applicant has, at every stage of the process of the execution of the award, taken 10 steps to restrain the first respondent from exercising the legal right vested in it namely to proceed with the seizure of applicant’s property».
Une seule victoire en 20 ans
C’est fini ? Non. Les hommes de loi du conseil de district s’attaquent en janvier 2019 devant la Cour suprême à la décision de l’arbitre du 31 décembre 2018 en avançant que l’ex-juge Benjamin Marie-Joseph a fait connaître sa décision en dehors de son mandat qui se terminait le 31 décembre 2018, soit le 3 janvier 2019. Le 14 janvier 2022, la Cour suprême donne raison au conseil de district. Ce sera la seule, la première et la dernière victoire des hommes de loi du conseil dans cette affaire qui dure depuis 20 ans ! La condamnation à payer les Rs 83,8 millions à Alphamix est donc annulée.
Cette fois, ce sont les hommes de loi d’Alphamix, menés par le SC Antoine Domingue, qui font appel devant le Privy Council. Les Law Lords concluent le 5 juin 2023 qu’en fait, l’arbitre avait déjà fait connaître sa décision informellement le 31 décembre 2018 mais vu qu’il était souffrant (et que c’était la veille du Nouvel An), il avait promis aux hommes de loi des deux parties de leur communiquer «later on» la décision formelle qui ne contiendra aucun changement de fond. Ce à quoi l’avocat du conseil de district a agréé. Ce point est important car il contribuera à faire renverser la décision de la Cour Suprême et à condamner le conseil à payer à Alphamix la somme de Rs 83,8 millions plus les frais et surtout les intérêts accumulés durant toutes ces années de bataille juridique. Facture finale : Rs 467 millions !
À noter que le Budget 2023- 2024 a prévu un «grant in aid» de Rs 323 millions au conseil de district de Rivière-du-Rempart. Comment fera ce dernier pour payer les Rs 467 millions ? Et comment faire pour faire tourner les services ? Et pourquoi ces Rs 8,2 millions sont devenues Rs 83,8 millions ? Le président Soobiraj Ellayah, qui était aussi à ce poste en 2003 lorsque le conseil avait refusé de payer les Rs 8,2 millions de «retention money» à Alphamix et qui est cause de ce grand malheur, se tait.
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