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Interview │ D’un travailleur de terrain chez AILES: «Les amphétamines mélangées à l’héroïne sont en vogue en ce moment...»

18 juin 2023, 17:00

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Interview │ D’un travailleur de terrain chez AILES: «Les amphétamines mélangées à l’héroïne sont en vogue en ce moment...»

L’association Aide, Info, Liberté, Espoir et Solidarité (AILES), qui milite contre la transmission du VIH à Maurice et offre soutien et accompagnement aux usagers de drogues et à leur famille, a bien voulu répondre à nos questions liées à la consommation et au trafic de drogue. Toutefois, pour sa sécurité sur le terrain, le travailleur de terrain n’a pas souhaité le faire à visage découvert...

Lors de la PNQ du leader de l’opposition au Parlement mardi, le Premier ministre a divulgué des chiffres. 25 345 cas de drogue ont été détectés de 2015 à ce jour avec plus de 22 000 arrestations. La valeur marchande des stupéfiants saisis équivaut à Rs 15 milliards… Pour vous qui êtes présents sur le terrain, cela vous étonne-t-il ?
Cela ne nous étonne pas car la plupart de ces arrestations concernent les consommateurs, mais il faudrait noter que cela devrait changer dans les mois/années à venir avec l’avènement du Drug Users Administrative Panel (DUAP) et qu’à travers des plaidoyers des ONG et de la société civile, les consommateurs sont désormais considérés comme des patients atteints d’addiction et doivent être pris en charge par notre système de santé et aborder le problème d’addiction comme une maladie. Il est essentiel de reconnaître que l’approche envers les consommateurs de drogues est en train de changer, passant d’une perspective pénale à une approche axée sur la santé. Cette évolution reflète une meilleure compréhension de la dépendance et de ses implications sur la santé des individus concernés.

Comment se fait-il que malgré toutes ces saisies et arrestations, la drogue pullule toujours à Maurice ? La situation empire-t-elle ?
La situation est plus qu’alarmante, certes, il y a des arrestations mais il faudrait également comparer le nombre de condamnations. Car cet exercice nous permet tout simplement de nous demander si la répression et cette guerre contre la drogue fonctionnent vraiment.

Pourquoi la plupart des gros requins passent entre les mailles du filet, selon vous ?
Cela a été dit et archi-dit, il faut suivre l’argent pour arriver aux vrais coupables et on ne le fait pas assez. Mais il faudrait aussi se rendre compte que le marché représente des milliards et des milliards de roupies. Avec ce genre de moyens, ils arrivent à utiliser le système à leur avantage. Car aucun trafic n’est possible s’il n’y a pas de complicité avec des personnes clés dans des positions influentes.

Franklin & Co, vous en aviez entendu parler avant que l’affaire n’éclate ?
On en avait entendu parler sur le terrain.

Racontez-nous la situation actuelle sur le terrain justement. Voit-on de plus en plus de jeunes sombrer dans ce fléau ? De plus en plus de filles ? Indépendamment des couches sociales ?
Nous avons constaté que plus de jeunes sont touchés. Et nous n’arrêtons pas de le dire aux séances de travail avec diverses autorités. Depuis que la drogue synthétique est présente, nous avons constaté un rajeunissement chez les usagers... Nous constatons aussi plus de jeunes avec des comportements à risques et qui s’exposent à des maladies telles que le VIH, l’hépatite C et d’autres maladies sexuellement transmissibles.

Quelles drogues sont les plus prisées ? Le synthé fait-il toujours autant de ravages ?
La drogue synthétique et l’héroïne sont toujours les drogues les plus prisées parmi la communauté avec laquelle nous travaillons principalement.

Y a-t-il des drogues moins connues qui sont apparues sur le marché ?
Nous constatons également l’arrivée des amphétamines (dont le crystal meth) mélangées à l’héroïne et les composants des drogues synthétiques n’arrêtent pas d’évoluer et de changer.

Nous avons noté des cas récents où des dealers utilisent des enfants de six à neuf ans comme mules… Est-ce que cette pratique se généralise ?
Nous n’avons pas été témoins de cette pratique mais nous en avons entendu parler sur le terrain.

Peut-on vraiment aider un usager de drogue à sortir de ce fléau ? Comment ? Quel est le pourcentage de réussite ?
L’émergence du DUAP est un pas important dans cette direction pour aider un usager à traiter son addiction. Ce dispositif vise à fournir un accompagnement médical et psychosocial aux personnes confrontées à des problèmes de dépendance, en reconnaissant leur statut de patients plutôt que de criminels. Il reconnaît que l’addiction est une maladie qui nécessite une prise en charge appropriée. Les ONG et la société civile ont joué un rôle crucial dans le plaidoyer pour ce changement d’approche. Leur travail a contribué à sensibiliser davantage aux problèmes liés à la dépendance, à déstigmatiser les consommateurs de drogues et à promouvoir des politiques basées sur la santé et les droits humains.

Il est encourageant de constater que la vision de la dépendance comme une maladie et la nécessité de fournir un soutien médical et psychosocial approprié aux consommateurs de drogues sont de plus en plus acceptées. Cela ouvre la voie à des programmes de prévention et de traitement plus efficaces, axés sur la réduction des méfaits, la réhabilitation et la réintégration sociale des personnes concernées. Il est important de continuer à soutenir les efforts des ONG et de la société civile dans leur plaidoyer en faveur de politiques de drogue basées sur la santé. En travaillant ensemble, nous pouvons changer les perceptions, promouvoir l’accès aux soins de santé et améliorer la qualité de vie des personnes vivant avec des problèmes de dépendance.

Parlons des trafiquants, votre constat sur le terrain ? Pensez-vous qu’il y en a de plus en plus ?
De plus en plus de jeunes sont attirés par le trafic de drogue en raison de la perspective d’un gain financier rapide, surtout dans des situations de pauvreté ou de manque d’opportunités économiques. L’environnement social et culturel dans lequel évoluent ces jeunes peut également jouer un rôle dans leur décision de s’engager dans des activités illicites. Le nombre de trafiquants ne cesse de grandir et ne cessera pas tant que nous ne changerons pas notre approche dans notre lutte contre la drogue.

Pensez-vous que la loi est assez sévère et que les autorités font un bon travail sur le terrain ? (Les usagers de drogues disent qu’ils sont les seuls à être inquiétés, persécutés par la police...)
Cela a toujours été le cas dans tous les pays où existent des lois répressives sur les drogues; ce sont les consommateurs qui en payent toujours le prix. Les trafiquants sont souvent arrêtés mais il n’y a que très rarement des suites ou poursuites.

Que pensez-vous de la «Special Striking Team» ? De la police en général ?
Nous pensons qu’ils ne font que suivre un système dépassé. Cette guerre contre la drogue est perdue d’avance car lorsqu’une commission fait des recommandations pour démanteler une unité de la police, nous devons nous poser les bonnes questions. Nous constatons des cas avec de grosses saisies mais pas de controlled delivery pour ces grosses cargaisons alors qu’en suivant ces cargaisons nous aurions pu démanteler des réseaux entiers et surtout arriver à leurs sources de financement. Nous devrions avoir un système bien rodé avec des ‘cases’ bien préparés et mettre des stratégies pour attaquer un réseau à tous les niveaux en simultané (distribution, financement, blanchiment, logistique, etc.)

Des policiers ripoux, vous en connaissez ?
Si on les connaissait, on les aurait dénoncés tout de suite..

Que savez-vous des «rave-parties» et soirées huppées où différents types de drogue couleraient à flots ?
Dans toutes les fêtes, il y a des consommateurs de tous types de drogues, l’alcool étant la première.

Pourquoi avez-vous choisi le social et pourquoi le sort des drogués en particulier ?
D’avoir un emploi pour faire une différence dans la vie de quelqu’un et la rendre un peu meilleure, d’accompagner des personnes vivant avec le VIH dans leurs soins alors qu’elles n’ont pas de proches ou d’amis pour les aider, c’est tout ce dont nous avons besoin comme motivation pour faire ce que nous faisons. La mission de notre organisation est la lutte contre le VIH et la plupart de nos patients sont des personnes qui utilisent ou utilisaient des drogues.

Un cas qui vous a particulièrement marqué ?
Chaque cas que nous rencontrons est unique. Chaque cas nous marque d’une façon spéciale et nous rappelle qu’il faudra toujours améliorer la qualité des services que nous offrons...

La légalisation du cannabis, vous êtes pour ou contre ?
La légalisation du cannabis à des fins récréatives, médicales ou industrielles peut avoir plusieurs impacts sur l’économie, la réduction de l’utilisation de drogues synthétiques, le développement de dérivés du chanvre/cannabis et le tourisme. Voici quelques points à considérer :

Impact économique : la légalisation du cannabis peut créer de nouvelles opportunités; l’industrie du cannabis – production, vente et distribution de produits dérivés du cannabis – pourrait générer des revenus, des emplois et contribuer à diversifier l’économie mauricienne.

Réduction de l’utilisation de drogues synthétiques : en fournissant un accès réglementé au cannabis, la légalisation pourrait réduire la demande et l’utilisation de drogues synthétiques. Si les consommateurs ont accès à des produits de qualité contrôlée, ils seraient moins enclins à se tourner vers des alternatives nocives.

Produits dérivés du chanvre/cannabis : la légalisation pourrait favoriser le développement industriel de produits dérivés du chanvre/cannabis, tels que les cosmétiques, les textiles, les matériaux de construction, les bioplastiques, etc. Ces industries pourraient stimuler l’innovation, créer de nouvelles entreprises et offrir des possibilités d’exportation.

Utilisation médicale : la légalisation du cannabis à des fins médicales peut permettre aux patients d’accéder plus facilement à des traitements pour certaines affections médicales. Cela pourrait améliorer leur qualité de vie et ouvrir de nouvelles perspectives en matière de recherche médicale.

Impact sur le tourisme : la légalisation du cannabis à des fins récréatives peut attirer les touristes intéressés par cette industrie, ce qui pourrait avoir un impact positif sur le tourisme à Maurice. Cependant, il est essentiel de mettre en place des réglementations appropriées pour garantir un tourisme responsable et respectueux des lois.

Il convient de noter que la légalisation du cannabis nécessite une approche équilibrée, avec des réglementations et contrôles adéquats pour prévenir les abus, protéger la santé publique et promouvoir un usage responsable. Une étude approfondie des impacts potentiels et des consultations avec les parties prenantes sont essentielles pour prendre des décisions éclairées et adaptées à la réalité de Maurice.