Publicité

Révision du salaire minimal: une question qui divise

19 juin 2023, 22:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Révision du salaire minimal: une question qui divise

Le ministre du Travail, Soodesh Callichurn, a placé son pion. Lors de son intervention sur le Budget 2023-2024, il a avancé que le salaire minimal allait être revu à la hausse en 2024. Si cette nouvelle est bien accueillie par le monde syndical, les économistes se demandent pourquoi aucune étude préalable n’a été faite avant de telles annonces. On fait le point.

Il s’est voulu rassurant lundi dernier lors de son discours. «Je voudrais rassurer les travailleurs et confirmer que le salaire minimal sera effectivement revu en 2024 à la suite de la recommandation du National Wage Consultative Council. Initialement, ce conseil devait soumettre ses recommandations en 2025 mais je peux d’ores et déjà annoncer qu’un amendement sera apporté au Finance Bill pour que le conseil le fasse en 2024», a déclaré le ministre Soodesh Callichurn à l’Assemblée nationale. Depuis, les questions fusent, surtout dans l’intérêt des «petits» travailleurs.

Pour Reeaz Chuttoo, président de la Confédération des travailleurs des secteurs public et privé, (CTSP), si une compagnie pense à licencier du personnel à cause de la hausse du salaire minimal, c’est qu’elle va vers la fermeture.

Il s’explique. «En 2017, quand nous avons discuté de l’introduction du salaire minimal, les déclarations de Business Mauritius et du patronat allaient dans le sens que l’on aurait beaucoup de licenciements avec une telle mesure. Or, cinq ans après, le taux de chômage a baissé. Et où il y avait une exploitation des travailleurs, notamment chez les femmes cleaners, qui ne touchaient que Rs 1 500 par mois, cela n’existe plus.» Augmenter le salaire minimal serait-il risqué pour l’emploi ? «Ne pas le rehausser sera au risque des entreprises. Comme les gens veulent pouvoir joindre les deux bouts, certains s’absentent du travail pour en faire un autre. Et pour que la production ne tourne pas au ralenti, l’entreprise va devoir payer des heures supplémentaires aux autres travailleurs. Donc, c’est un déficit pour l’entreprise.»

Le syndicaliste Fayzal Ally Beegun pense, lui, aux travailleurs étrangers. «Ils seront les plus grands perdants. Pourquoi ? Parce qu’ils doivent verser Rs 3 000 mensuellement pour leur repas et leur hébergement alors que ce n’est pas stipulé dans leur contrat. Ils ne sont même pas au courant de cette clause lorsqu’ils signent pour venir travailler à Maurice.» Toutefois, il ne voit aucune raison qui pourrait pousser les patrons à licencier les travailleurs, même en cas de hausse de salaire. «Quand on pense que des managers touchent jusqu’à Rs 200 000 et que ce sont les ouvriers qui font le plus gros travail ! Le salaire minimal devrait aller jusqu’à Rs 18 000.» Néanmoins, il ne faut pas que les menaces de licenciement ou encore de délocalisation de la compagnie vers un pays étranger empêchent le gouvernement d’aller de l’avant avec ce projet.

Hausse de prix

Fayzal Ally Beegun soutient que la somme de Rs 15 000 est insuffisante. «Surtout quand aucun prix n’est contrôlé. Les denrées alimentaires sont chères également. Les prix du beurre, du fromage, du lait ou encore du thé n’ont pas baissé. Une marque de nouilles instantanées sort de Rs 10 pour aujourd’hui se vendre à Rs 9,99 !» On se souvient que lors de la présentation du Budget, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, avait annoncé avoir enlevé la taxe sur la valeur ajoutée sur «15 produits essentiels de consommation courante pour les familles mauriciennes», dont les nouilles. Fayzal Ally Beegun fait une petite parenthèse et a aussi une pensée pour les personnes âgées, qui malgré la hausse de Rs 1 000, n’arrivent pas à joindre les deux bouts. «Je pense à celles qui souffrent de comorbidités et qui doivent débourser quelque Rs 5 000 mensuellement pour leurs médicaments. Sans parler du loyer si elles louent une maison et qu’elles doivent aussi payer l’électricité et l’eau.»

De son côté, l’économiste Éric Ng s’interroge sur les fonds des petites et moyennes entreprises. «Est-ce qu’elles auront suffisamment de fonds pour payer un salaire de Rs 15 000 ? Cela ne va-t-il pas créer plus de licenciements au sein de ce secteur ?» Pour notre interlocuteur, le risque de licenciement existe au quotidien, sans même avoir à parler d’augmentation salariale. De toute façon, souligne l’économiste, aucune étude sérieuse n’a été entreprise pour fixer le salaire minimal. «Le gouvernement avance un chiffre et depuis son introduction, personne n’a fait d’étude pour savoir quel a été son impact sur les entreprises. Combien cela a coûté en termes de pertes d’emploi ?»

Selon lui, cette étude sur l’impact doit être faite avant d’envisager de rehausser le salaire minimal. «D’autant que c’est donné tous les cinq ans.» Dans le monde, le salaire minimal se situe à environ 60 % du salaire médian. «D’après les derniers chiffres de Statistics Mauritius, le salaire médian est de Rs 18 000. Donc, le salaire minimal devrait tourner autour de Rs 10 800», avance Éric Ng.

Toutefois, il fait un parallèle entre le salaire minimal où la personne travaille et la pension de vieillesse. «C’est un peu une politique de bric-à-brac car les gens qui touchent le salaire minimal perçoivent presque la même somme que le pensionnaire. Si on augmente le montant des pensions, comment la personne qui travaille va se débrouiller avec ses Rs 11 500 ?» Les avis sont partagés…