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Conflit police vs Directeur des poursuites publiques: Le DPP reste le contrôleur judiciaire des enquêtes pénales

30 juin 2023, 17:00

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Conflit police vs Directeur des poursuites publiques: Le DPP reste le contrôleur judiciaire des enquêtes pénales

Après maints conflits, le commissaire de police veut maintenant se passer des services du Directeur des poursuites publiques dans les affaires jugées au pénal. Une première, car la décision de poursuivre un suspect relève uniquement de ce dernier, après que le dossier de l’enquête policière lui ait été communiqué. Il a donc le dernier mot.

 Le Directeur des poursuites publiques (DPP), qui est nommé par la Judicial and Legal Service Commission (JLSC), est qualifié pour être nommé juge à la Cour suprême et bénéficie d’une stabilité similaire à celle d’un juge. Ses pouvoirs sont régis par l’article 72 de la Constitution et, dans l’exercice de ses pouvoirs, le DPP est indépendant, et n’est soumis à la direction ou au contrôle d’aucune autre personne ou autorité.

Le DPP a le pouvoir, dans toute affaire où il le juge souhaitable : (a) d’engager et de mener des poursuites pénales devant toute juridiction (à l’exception d’une juridiction créée par une loi disciplinaire) ; (b) de reprendre et de poursuivre toute poursuite pénale engagée par une autre personne ou autorité, et (c) de mettre fin à tout stade, avant le prononcé du jugement, à toute poursuite pénale engagée ou entreprise par lui-même ou toute autre personne ou autorité.

Le DPP n’a aucune obligation légale de donner de motifs, et aucune règle juridique, si des motifs sont donnés, ne régit leur forme ou leur contenu. Il lui appartient de décider s’il convient de donner des motifs et, le cas échéant, de déterminer leur degré de détail.

Dans la réalité, la police après avoir enquêté, envoie le dossier au bureau du DPP qui décide s’il y a matière à poursuite. Les avocats de son bureau se penchent sur le dossier, examinent les éléments de l’enquête et décident s’il y a suffisamment de preuves pour loger des charges formelles en justice. Il faut souligner que, dès qu’un dossier de la police atterrit à son bureau, le DPP prend le contrôle de l’affaire et les enquêteurs sont appelés à travailler de concert avec son bureau pour les procédures au tribunal. Dans le milieu légal, l’on fait donc ressortir que si la police, qui doit agir en consultation avec le DPP, prend ses distances, ce dossier sera mal ficelé dès le départ. «C’est du jamais-vu ; c’est la première fois que la police sollicite un avocat du privé dans une affaire pénale. Cela a beaucoup d’implication et pourrait être perçu comme une entorse à la Constitution», déclare une Senior Counsel. Pour rappel, à la MBC mercredi dernier, l’inspecteur Shiva Coothen que «si komiser fi’nn pran desizion pran enn avoka prive, li fi’nn baz li lor bann desizion presedan».

 Soumis à aucun contrôle

Une chose est claire : même si la police décide de retenir les services d’un avocat du privé, le bureau du DPP aura toujours la mainmise sur le dossier car la décision de poursuivre lui revient uniquement, et l’avocat du privé ne pourra pas se passer de la présence de ses avocats. Il faut ici souligner que les avocats de l’Independent Commission Against Corruption (ICAC) qui comparaissent dans une affaire la concernant, doivent obtenir l’aval écrit du DPP pour plaider le procès sans que les avocats de son bureau ne se chargent du dossier. Dans l’exercice de ses pouvoirs constitutionnels, le DPP n’est soumis à aucune autorité ou à aucun contrôle externe. Bien que le commissaire de police (CP) Anil Kumar Dip s’attend à ce que le DPP le consulte avant de prendre une décision, il est clair que le DPP n’a pas à le faire. D’ailleurs, lors d’une récente rencontre avec le CP, Me Rashid Ahmine a réitéré sa demande pour plus de collaboration entre son bureau et la police, et que cette dernière prenne conseil dans une enquête.

La Constitution a prévu expressément un pouvoir totalement discrétionnaire pour le DPP, qui ne dépend d’aucune autre autorité pour garantir son indépendance et sa liberté de décision. Il n’a de compte à rendre à personne. On pourrait même aller plus loin et dire que l’on ne peut pas critiquer ses décisions : celui qui s’aventurerait à le faire risquerait de se voir répondre que, d’abord, il ne connaît pas les données de l’affaire et, qu’ensuite, le propre d’un pouvoir discrétionnaire est d’être sujet à l’appréciation de celui qui l’exerce. Ici, la règle du jeu veut que l’on ne critique pas les décisions de l’arbitre.

Prise de décisions après consultation

Cependant, les décisions au niveau du bureau du DPP ne sont pas uniquement les siennes. Le stand du DPP est souvent pris d’un commun accord après consultation avec les avocats responsables des dossiers. Chaque officier travaille dans son domaine d’expertise et toute décision doit obtenir l’aval du DPP. Mais quand une affaire demande une intervention rapide, le DPP intervient seul ou à travers son représentant, comme cela a été le cas dans l’affaire d’Akil Bissessur. Il a été clairement dit que la décision de ne pas objecter à la remise en liberté conditionnelle des trois suspects était celle du DPP luimême (NdlR, la DPP suppléante Me Ramdin).

Bien que le bureau du DPP ne dirige pas la façon de mener une enquête, il s’attend toutefois à ce que l’enquêteur sollicite son avis. Hélas, en dépit des maintes remarques de l’ancien DPP sur l’importance de bien mener une enquête avant de loger des charges provisoires, et d’un communiqué de l’actuel DPP, Me Ahmine, pour que le CP sollicite son avis avant de procéder à des arrestations, la police ne semble point s’inquiéter. Or, si le DPP estime qu’une enquête est mal partie, il peut intervenir pour éviter les abus. En l’absence de textes à ce sujet, les pouvoirs du DPP au niveau de l’enquête policière restent flous.

La genèse du conflit

<p>Les&nbsp;dissensions entre la police et le bureau du DPP ont en fait commencé pendant l&rsquo;enquête judiciaire sur la mort de Soopramanien Kistnen. Au fur et à mesure des audiences, les cachotteries des témoins policiers ont fini par agacer l&rsquo;avocat du bureau du DPP, Me Azam Neerooa, qui a alors commencé à leur poser des questions dans une tentative de découvrir la vérité.&nbsp;</p>

<p><strong>Janvier 2022.</strong> À la réception du rapport de la magistrate Vidya MungrooJugurnath, le DPP aurait recommandé des enquêtes approfondies sur certains témoins, et non des moindres. Or, plus d&rsquo;un an et demi après, la police ne semble avoir rien fait. Ce serait la première fois dans notre histoire que le CP refuse de suivre les instructions du DPP. Cela, bien qu&rsquo;il y ait eu des désaccords ponctuels entre les deux institutions, comme dans l&rsquo;affaire Betamax, rappelle Me Antoine Domingue, SC, dans l&rsquo;express d&rsquo;hier. Mais cela a été résolu, soulignet-il, à travers une procédure légale : le recours du CP à une révision judiciaire pour contester la décision du DPP de n&rsquo;engager aucune poursuite pénale dans cette affaire. Depuis, le CP n&rsquo;avait jamais boycotté les services <em>&laquo;gratuits&raquo;</em> du DPP.</p>

<p><strong>&nbsp;Mars 2023. </strong>Après le conflit larvé depuis l&rsquo;affaire Kitsnen, la décision du DPP de ne pas contester la libération conditionnelle de Bruneau Laurette, dans l&rsquo;affaire de saisie alléguée de drogue à son domicile par la SST, aura ouvert les hostilités. Le CP a contesté cette décision du DPP et s&rsquo;est fait représenter par des légistes du privé, mais réputés proches du pouvoir, comme avouée Shamila SonahOri et l&rsquo;avocat Ravi Yerrigadoo. L&rsquo;affaire est toujours devant la cheffe juge.</p>

<p><strong>&nbsp;Mars 2023. </strong>On ne sait pas pourquoi le CP a eu recours aux mêmes juristes du privé dans l&rsquo;affaire Chavan Dabeedin, affaire qui à première vue ne semble pas politique. &laquo;<em>C&rsquo;est peut-être pour brouiller les pistes&raquo;</em>, nous dit un avocat. Le CP conteste cette fois la radiation des charges contre cet ex-haut cadre du CEB.&nbsp;</p>

<p><strong>9 mai 2023.</strong> Lors d&rsquo;une audience dans le procès de détournement de Rs 80 M de l&rsquo;ex-Bramer Bank, impliquant Prakashingh Dip, le DPP est intervenu vigoureusement dans cette procédure qui dure depuis longtemps, et a déposé 225 charges contre Chandra Dip et ses complices allégués.</p>

<p><strong>24 mai 2023</strong>. Après l&rsquo;arrestation de Rama Valayden avec une accusation provisoire de perverting the course of justice, la magistrate Azna Bholah a rayé la charge après que Me Razia JannooJaunbocus, Senior Assistant DPP, ait fait la déclaration suivante, qui résume la situation : <em>&laquo;There is no need for a provisional charge to stay pending against the defendant (Me Rama Valayden) until the completion of the investigation. The absence of such a charge at this stage will not jeopardise the good progress of the investigation. The DPP urges the police to complete the enquiry following which to refer the matter to him for decision. A decision will be made on the basis of sufficient evidence and the public interest.&raquo;</em></p>

<p><strong>&nbsp;26 juin 2023. </strong>Lorsque le DPP n&rsquo;objecte pas à la remise en liberté provisoire des frères Bissessur et de Doomila Moheeputh, le SP Gangadin déclare que le CP lui a déjà demandé d&rsquo;informer la cour que la police se passera des services du DPP si celui-ci n&rsquo;objecte pas à cette remise en liberté conditionnelle. On saura le 18 juillet si la police mettra sa menace à exécution.</p>

<p><strong>&nbsp;Mercredi.</strong> Dans l&rsquo;accusation provisoire de conspiracy to do money laundering contre le couple Singh, le Police Prosecutor, le chef inspecteur Pratabsing Sandoram, annonce à la cour que la police a retenu les services d&rsquo;un avocat du privé, Me Ammar Oozeer, au lieu du bureau du DPP. Ce dernier attendra-t-il donc vainement les réponses à ses questions à la police dans cette affaire ? Ces questions ont-elles provoqué le &laquo;volte-face&raquo;<strong> </strong>de la police ? Ou était-ce programmé d&rsquo;avance ?</p>