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De «Les Mares» à Plaine-Champagne: aller aux goyaves
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De «Les Mares» à Plaine-Champagne: aller aux goyaves
Ailleurs, ils vont aux champignons. Ici, d’avril à juillet, c’est devenu un rituel ; on envahit Plaine-Champagne et ses environs pour la grande cueillette de goyaves (de Chine) rouges et jaunes lors de randonnées, souvent sous une pluie battante et dans un froid polaire. Et l’on y découvre aussi la lente agonie des forêts de pins…
Ceux de sortie dimanche dernier pour la rando de ‘Les Mares’ à Plaine - Champagne (7 à 8 km) n’ont pas été gâtés. Le brouillard, une pluie fine et le froid plantaient un décor londonien et indiquaient que la marche ne serait pas de tout repos. Une marche laborieuse dans une forêt épaisse pendant une trentaine de minutes avant que le déluge ne s’abatte sur ces aventuriers du dimanche qui ont voulu aller jusqu’au bout parce que «c’était fun». Oui, comme une manière de retrouver des joies juvéniles, trempés jusqu’aux os et à mi-mollets dans la boue.
Le témoignage de Stéphane Lucchesi, Communication Designer, à ce propos, est édifiant : «Manteaux de pluie, anoraks, imperméables et sacs étanches étaient de rigueur.La grisaille épaisse de l’hiver, phénomène répandu dans cette région, s’est fondue sur les lieux ; ce lent assombrissement a eu pour effet d’engloutir la cime des arbres. Le décor est planté, et comme pour donner le ton, Dame Nature, en début de parcours, nous a gratifiés d’un torrent de pluie qui s’est déversé sur pratiquement tout le parcours. Nul besoin de préciser que ça a pataugé, ça a plouffé, et ça a été la flotte de toute part. Par endroit, hormis un terrain gras, il fallait faire preuve d’agilité pour s’affranchir d’un terrain argileux.
Il faut avancer, on avance, et ça avance à un rythme régulier. Les dénivelés du terrain s’étaient transformés en ruissellements fluviaux et c’est à une belle allure que nous entamons chaque descente et chaque montée. Les deux rivières que nous avons traversées grondaient. Toutefois, le spectacle n’était pas en reste : nous avons été bien servis à certains endroits. Des ravins s’ouvraient devant nous, arborant de belles robes embrumées. Autre tableau : près d’un plateau rocailleux, défiant la brumaille, d’imposants arbres surplombant toute une zone comme une haie d’honneur en guise de clap de fin…»
Joey Jean-Jacques Sauzier, enseignant de français au collège St. Mary’s et lauréat du Prix Jean Fanchette 2020-21, renaît à chaque randonnée : «À un moment où le béton ne cesse de bouffer le paysage, je crois qu’il faut recourir à la nature. Sans renoncer au progrès, nécessaire, il ne faut pas oublier que nous venons des branches et des feuilles. Les promenades que je fais les dimanches avec Arnaud Godere me ramènent à cela, à ce bienêtre primordial. Surtout que cette fine équipe a le génie de nous mener par des sentiers délicieux pour goûter l’eau de toutes les sources secrètes d’une île Maurice que l’on croit connaître. Tout cela nous ramène à la vie le temps d’un dimanche. Ces moments me font renaître à moi-même», écrit-il.
Pour une expédition lointaine
En revanche, pour ceux des régions côtières, comme des Portlouisiens, Plaine-Champagne a, dans le passé, représenté un lieu mythique, lointain, presque inaccessible, si l’on ne disposait pas d’un moyen de transport. Le taxi coûtait trop cher. À l’époque, il fallait alerter les voisins, réunir le nombre adéquat pour louer un autobus à la journée pour une virée à Plaine-Champagne, pour les goyaves. Ensuite, direction la mer pour terminer la journée lors d’un pique-nique avec des adultes chantant les tubes du jour.
Et l’on revenait de cette aventure avec des perturbations abdominales pour avoir abusé de ces petits fruits quand ce n’était pas avec une grosse grippe à cause du froid polaire qui régnait là-haut ; mais c’était une bonne raison pour justifier notre absence à l’école de la Montagne le lendemain. Toutefois, l’on ramenait assez de goyaves pour partager avec ceux qui n’avaient pas été de la partie et pour que grand-mère transforme le reste de notre moisson en marmelade qui allait rehausser le goût de notre sandwich de pain-maison avec du beurre Plume en boîte métallique ronde.
L’on partait aux goyaves, au moins une fois l’an en famille, le dimanche, après la messe de 4 h 00 qu’officiait le père Trublet-Raoul à l’église de Cassis dans les années 60 et dont les prêches, dans un français de la Sorbonne, n’étaient compréhensibles que des seuls quelques fidèles qui occupaient les cinq à six bancs réservés du bout de la nef.
Un émigré d’Amérique du Sud
À l’époque, l’on se contentait de cueillir des goyaves se trouvant en bordure de route sans oser s’aventurer dans les bois. Il y a avait tellement d’histoires d’accidents de chasse et d’agressions, dont le quotidien Advance de Anauth Beejadhur et de Marcel Cabon en faisait état régulièrement. Des faits divers qui alimentaient nos peurs (comme le kidnapping et le meurtre de deux enfants à La Citadelle) de cette région éloignée.
C’est sous un déluge, avec une visibilité réduite, que nous avons emprunté dimanche dernier, le sentier de ‘Les Mares’ dont le nom, de toute évidence, provient des accumulations d’eau de cette région en passant sous une voûte verte de goyaviers qui, selon Jean-Claude Sevathian, botaniste et auteur de nombreux ouvrages, peuvent atteindre quatre à cinq mètres de hauteur en avril et mai. «Ces goyaviers sont originaires de l’Amérique du Sud. La Chine en avait importés et par la suite, c’est arrivé chez nous. Ces arbres poussant dans des régions très humides ont vite colonisé des pans entiers de forêts au détriment de plantes endémiques et indigènes grâce aux oiseaux, singes, cochons marron et aux hommes en dispersant les graines. Ils sont connus comme des pestes végétales» nous explique-t-il.
Cette prolifération de goyaviers gêne non seulement la régénération des espèces indigènes mais est susceptible d’empêcher l’épanouissement de quelque 300 espèces de plantes des forêts avoisinantes. Surtout pour protéger des arbres rares, comme le takamaka, l’ébénier, le colophane, le camphrier, entre autres. Sans oublier les neuf espèces d’oiseaux endémiques qui y vivent. Donc il faudra continuer à limiter la progression de ces goyaviers prédateurs. Cueillir régulièrement les goyaves pour les transformer comme à la Réunion ou la goyave est reine à la Plaine-des-Palmistes, car chaque année à pareille époque (entre mai et juillet) se tient le ‘Festival de la Goyave’ pour la décliner dans toutes ses saveurs (jus, marmelade, gelée, sorbet) et même en sauce rougaille qui s’accommode bien au poisson. À l’île-sœur, la goyave est devenue une arme touristique enrichie d’un concours ‘Miss Goyave’ ! Chez nous, il n’est pas rare de retrouver de la marmelade de goyave de Chine en dégustant un gâteau napolitaine ou autres viennoiseries que concoctent les Chefs Nizam Peeroo et Steeven Poonoosami.
La senteur des pins
À l’époque, quand l’on s’approchait de cette région (Plaine-Champagne, Pétrin, Maccabée) la senteur des pins indiquait qu’on était arrivé à destination. Or, les pins– qui ont été introduits à Maurice en 1929 de la Géorgie, selon Suryadev Ramphul, Forestry Officer – en bordure des sentiers à ‘Les Mares’ ressemblent à des sentinelles rabougries, à la limite de l’agonie, mais d’aspect menaçant, un peu comme dans le roman de John Wydham The day of the Triffids où des plantes et des arbres, après le passage d’une météorite, se nourrissent des humains devenus aveugles ! Un triste destin pour ces pins, dont le bois allait être utilisé à de multiples fins, dont le coffrage.
Ces arbres se sont ainsi épanouis dans des régions humides : de Curepipe à Bel-Ombre en passant par Parc-aux-Cerfs, Montvert, Plaine-Champagne, Grand-Bassin et Combo. Ils avaient fière allure avant de dépérir et se décomposer pour plusieurs raisons. Mourir ainsi, avant tout de vieillesse, rongés par une mousse blanche envahissante sans que personne ne s’en soucie et ensuite par manque d’eau, provoqué par la construction des routes. Il convient de souligner que sur la petite colline verte qui surplombe Quartier-Militaire, une forêt de pins résiste encore, bien que partiellement dépeuplée. On y gravit pour rallier Alma, les lacs de Dagotière et le village longiligne de l’Espérance avec une belle vue, par beau temps, sur le Pouce et Pieter Both.
C’est ainsi qu’une simple randonnée, même dans la boue, devient un émerveillement. Et pour pasticher Baudelaire, «dans le vert paradis, plein de plaisirs furtifs».
Photos: JEAN FRANCOIS MOOTOOSAMY, VISHAL MUNNOHUR ET CHRISTINE MATHURIN
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