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Fauché par le tram: le dernier voyage de Gilbert Soobhee

9 juillet 2023, 12:00

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Fauché par le tram: le dernier voyage de Gilbert Soobhee

Sept heures et des poussières en ce samedi matin. Les températures hivernales ne découragent pas les joggeurs, emmitouflés dans des track suits, d’épais foulards serpentant autour de leur cou. Sous les capuches, on parle à voix basse de cet accident qui donne froid dans le dos ; «lamem sa ki linn krazé…»

Vendredi aux alentours de 19 h 10, Gilbert Christopher Soobhee, 48 ans, a été fauché par le tram, à quelques mètres du kalimaye sis à l’avenue Victoria, à Quatre-Bornes. Les rumeurs vont bon train depuis, chacun y allant de sa thèse, de son hypothèse. Anton, lui, était sur place. «Le Monsieur marchait sur les rails, des gens ont essayé de le prévenir mais il n’a pas écouté. Il titubait… Ena dimounn ti pé fer TikTok tou apré so lamor hein», raconte l’ado de 18 ans, qui a vu le corps gisant sur l’asphalte et qui n’en a pas dormi de la nuit. Une autre fois, il y a de cela quelque temps, il était descendu du métro pour aider le train captain à déplacer un matelas usé que des inconscients avaient placé au beau milieu du trajet de Mauricio.

Sur la route où gisait encore la veille le corps de la victime, les traces sont déjà choses du passé. La vie a repris son train-train quotidien. Plus de marquage à la craie blanche pour délimiter l’emplacement de l’accident, plus de sang, plus rien, hormis du coaltar fraîchement arrosé par la pluie. Le métro a entamé son ballet mais fait notable : pas de «ding-ding» caractéristique cette fois pour annoncer l’arrivée et le départ. La station de BelleRose est pratiquement déserte, les voyageurs ont cédé la place aux pigeons qui font leur ronde, les tourtereaux qu’on croise parfois sur les bancs avant qu’ils ne se rendent aux leçons se sont envolés.

Presqu’en face, un panneau annonciateur, sans équivoque : «Danger. No tresspass on railway. Heavy penalties apply.» Gilbert, lui, aura payé le prix fort. On essaie de traverser la rue. Au niveau des feux, la «main jaune» sur laquelle il faut appuyer pour que le petit bonhomme rouge vire au vert est en panne sèche. C’est loin d’être le pied dans ce virage où la mort, en cas d’imprudence, attend au tournant. D’habiles exercices cervicaux pour s’assurer que la voie est libre plus tard, on est de l’autre côté.

«Il était descendu du métro pour aider le ‘train captain’ à déplacer un matelas usé que des inconscients avaient placé au beau milieu du trajet de Mauricio.»

Ses rideaux blancs dansent au gré de la brise et d’une chanson de Bollywood. À travers la fenêtre de sa petite maison, des bobines de fils colorés. À 76 ans, Parmawtee Khedun manie toujours la machine à coudre comme pas deux. «Bien triste. Mo ti pé get mo série, ti pé atann pou al get informasion kan aksidan-la inn arrivé. Pann tann métro klaxonné selman. Landrwala bien éklairé pourtan, get komié lampadaires éna devan twa la. Mo névé, ki ress akoté, inn dir mwa linn trouv missyé-la pé mars lor rails. Mwa monn ziss tann lambilans, boukou dimounn pe fer tapaz ek enn ta loto pé vinn viré isi, la…»

Dans une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux, un témoin raconte que le corps de Gilbert Soobhee a heurté le pare-brise du tram, qu’il a été projeté à quelques mètres. Une voiture l’a évité de justesse et le conducteur s’est arrêté pour stopper la circulation, et faire en sorte que d’autres véhicules ne lui roulent pas dessus. «Li ti soulé», allègueront certains.

Ce que nie farouchement le frère de la victime. «Li pa ti bwar li, li ti malade. Li ti pé travay peintre loto lontan mé dépi linn malad, so lavi inn baskilé.» Était-il SDF ? Non, affirme catégoriquement Nicholas Clifford Soobhee, qui a eu la lourde tâche d’identifier le corps de son frère. «Parfwa li ti pé ress kot mwa, pafrwa kot mo lot frer, mé li pa ti dan lari. Momem ti pé donn li kass parfwa kan li ti bizin.»

Gilbert travaillait également dans un fast-food où il donnait un coup de main, histoire de se faire quelques sous. Le ton résigné de sa voix change soudain, la colère contenue est palpable au téléphone. «Mo enn sofer dépi lontan mwa, mo roul antyé Moris, mo fer travay waterproofing. Tou dimounn kan fer aksidan, kraz dimounn, bizin ramass li, passe lakour tousala non ? Train captain-la ki arrivé li ? Lapolis pé kozé-riyé ek li alor ki mo frer inn mor...»

Le train captain, âgé de 24 ans a en fait été relâché sur parole. Le rapport de la police nous apprend également «qu’aux alentours de 19h10, alors qu’il pilotait le LRV (NdlR, Light Rail Vehicle) n°101, venant de Curepipe vers Rose-Hill, il a vu un homme qui marchait sur la voie ferrée (….) sur sa gauche. Il a actionné les freins et klaxonné, néanmoins, la partie avant gauche du LRV a heurté l’homme qui a été projeté sur la route et le LRV s’est arrêté quelques mètres plus loin (…)». Dans un communiqué de presse émis vendredi, Metro Express Limited (MEL) affirme que «MEL regrets to inform that an accident occurred at BelleRose, 200 meters before Belle-Rose Station involving a person who was walking on the railway track while the light rail vehicle (LRV) was moving towards Port-Louis, at around 19h15 today (NdlR, vendredi). As per established protocols, the Emergency Services comprising of police, Mauritius Fire & Rescue Services, SAMU were immediately informed and our Operations, Maintenance and Safety staff were present on site for assistance and co-ordination. The metro service has been interrupted, and a bus bridging service was immediately provided. On arrival of the SAMU, the latter confirmed that the person involved in the accident had unfortunately passed away. MEL is collaborating fully with the police, who is conducting an investigation, as per the normal procedure. We wish to reiterate our appeal to the public, rail commuters and road users to adhere to safety signs, look both directions, use designated pathways and be aware of the surroundings when approaching crossings, junctions, and intersections (…)»

Nicholas Soobhee s’apprêtait, au moment de notre conversation, à se rendre à la morgue, pour récupérer le corps de son frère, l’heure et la date des funérailles n’ayant pas encore été fixées à ce moment-là. D’une voix posée, il confie : «Mo frer ti téléfonn mwa vendredi, li dir mwa linn rêvé monn fer aksidan ek ki monn mor… Monn dir li non do ta, mo ankor vivan… Ou trouvé, finalman limem kinn fer aksidan kinn alé…»

Gilbert Soobhee avait l’index pointé vers le ciel, la main repliée dans le dos après son décès, que l’autopsie pratiquée hier a attribué à de multiples blessures. Des échantillons de sang envoyés au Forensic Science Laboratory détermineront s’il était en état d’ébriété. L’homme de 48 ans est la troisième personne ayant trouvé la mort dans un accident avec le métro, après Yannick Permal, le 23 février 2020 à Barkly et Henashma Beeharry-Ramtohul, à Curepie, le 6 mai.