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Elvis Antoine
«La régionalisation a précipité la chute de notre football»
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Elvis Antoine
«La régionalisation a précipité la chute de notre football»
«Nursing assistant» à Vancouver, au Canada, Elvis Antoine a quitté Maurice en 2008. Défenseur central de métier, ayant débuté à la Fire Brigade à 17 ans, il a rejoint les rangs du Sunrise SC de Paul Jones deux ans plus tard et sera champion dans la foulée. Sélectionné pour les Jeux des îles de 1985 à 19 ans, c’est lui qui inscrira le but de la victoire contre la Réunion en finale. A 57 ans, il joue toujours en vétéran au Canada, où il évolue désormais comme avant-centre et vient de terminer meilleur buteur deux fois de suite ! En visite au pays dans le cadre d’un mariage, on replonge avec lui dans l’âge d’or du football mauricien. Entretien nostalgie..
Elvis Antoine, vous revenez au pays après cinq ans. Avez-vous toujours vos repères ?
Maurice a beaucoup changé. J’ai vu beaucoup de développement, partout. J’habite à Beau-Bassin et je dois dire que je suis assez embrouillé quand je roule… Mo bisin mett mo GPS pou roulé, avec metro tout sa, bocou kitsoz nepli pareil. Ena bocou circulation partou ici !
Depuis 2008, vous avez émigré à Vancouver, au Canada, en famille. Pourquoi ce choix ?
C’est vrai que j’étais bien à Maurice. Je travaillais à l’hôtel, pour le groupe Sun International, ma femme était manager dans une firme privée. On avait une bonne vie. Mais j’ai préféré partir surtout pour l’avenir des enfants, pour leurs études, et aujourd’hui je ne regrette pas ce choix. C’était la meilleure décision. J’ai deux filles, de 23 et 26 ans. La grande est pharmacienne, l’autre fait des études en «public affair». Cela aurait coûté beaucoup plus cher si j’étais resté à Maurice…
Que faites-vous dans la vie ?
Je suis «nursing assistant». Mais je suis resté en contact avec le football là-bas aussi, bien entendu. Avant je m’occupais des U5, U6, U7 etc., maintenant j’entraîne seulement une équipe de filles, des U19, en deuxième division. Je continue aussi en tant que joueur, comme vétéran, dans un tournoi pour les plus de 50 ans où je viens d’ailleurs de finir deux fois meilleur buteur…
Pourtant, vous êtes un défenseur de formation…
Oui, défenseur central, numéro 5. Mais quand l’équipe gagnait un ballon, je devenais automatiquement milieu de terrain. Je pense que le niveau qu’on avait à l’époque était supérieur à celui de maintenant. Je n’ai pas regardé de match depuis que je suis venu ici c’est vrai, mais je sais que nous, on était plus fort tactiquement et techniquement. Physiquement aussi j’ajouterais, si on parle uniquement du Sunrise. Nous ti pe domine championnat deux ou trois saison de suite. Nou bat lekip par 4 ou 5 zero. Mahébourg United, Fuel, Fire, Cadets…
Pourquoi y avait-il un tel écart selon vous ?
Parce que physiquement Sunrise était trop fort. On s’entraînait cinq fois par semaine. Les autres équipes trois fois. Nou ti pe fatigue bann lekip la. On avait un sponsor très solide aussi à l’époque qui était Sun International. Quand on gagnait nos matches, on allait se reposer à l’hôtel. Nos repas étaient contrôlés, notre fonctionnement était vraiment professionnel, comme les grands clubs aujourd’hui. C’est dommage qu’il n’y ait pas eu d’autres équipes qui ont suivi le modèle du Sunrise, avec d’autres gros sponsors peut-être que notre football ne serait pas tombé comme ça.
Les plus jeunes ne connaissent peut-être pas votre parcours. Qui était Elvis Antoine ?
J’ai commencé à jouer pour Fire Brigade. J’étais dans leur équipe junior à 17 ans et j’ai fait une saison avec eux en senior. Fire a perdu le championnat et je suis parti au Sunrise avec Chundunsingh et Changoo. La bande à Paul Jones m’avait repéré très vite. A l’époque, ils prenaient tous les meilleurs joueurs et j’ai eu la chance de rejoindre cette incroyable équipe. Dès ma première saison on est champion. Je suis sélectionné pour les Jeux des îles en 1985 à 19 ans.
Pas facile de se faire une place dans cette équipe à l’époque n’est-ce pas ?
Sa lepok la to bisin mari bon pou to zoué ! La Fire était très forte avec des Jean-Pierre Bellepeau, Jacques Théo et autre Jacques Decotter. Mais Sunrise a mis le paquet pour les dépasser avec des joueurs comme Ashley Mocudé, Satar Mohideen, Sarjoo Gowreesungkur, Dev Gopala. Pendant trois saisons de suite, on remporte toutes les coupes. Meilleure attaque, meilleure défense, meilleur joueur : on raflait tout.
Vous étiez le Manchester City de l'époque quoi !
Oui ! Quand je vois ce que fait City en ce moment, je me dis justement que Sunrise jouait à ce niveau à notre époque, avec un Jean-Marc Ithier en pointe ; c’était un vrai Erling Haaland. Techniquement, notre équipe était très forte. Vous aviez un Saleem Moosa à gauche, Rado à droite, un Sakoor Boodhun aussi. Et Ashok Chundunsingh prônait un football de haut niveau. On ne travaillait pas, on s’entraînait toute la semaine. Et lorsqu’on devait disputer les éliminatoires de la Coupe d’Afrique on s’entraînait deux fois par jour même. La seule équipe semi-pro de l’époque à Maurice c’était le Sunrise.
Qu’est-ce qui a conduit notre football dans le précipice selon vous ?
Le football régional a tout bloqué. On n’était pas encore prêt pour le football régional. A La Réunion ils avaient ça avec St-Paul, St-Pierre etc. mais nous on n’avait même pas de terrains ! Tu joues à Pamplemousses, pas de stade. Dans le nord, pas de stade. On n’a pas d’infrastructures. Pour que le foot devienne régional, il fallait des stades partout. Ce n’est qu’aujourd’hui qu’on a Côte-d’Or. Avec seulement quatre grands stades, on ne peut pas jouer «home» et «away». Les joueurs gagnent peut-être un peu d’argent maintenant, mais ils n’ont pas leur «value for money». C’est dommage que la fédération et le ministère ne soutiennent pas plus le football. Ensuite, il y avait le problème des hooligans. Mais les plus grands hooligans étaient en Angleterre, mais on a su les canaliser en renforçant les mesures de sécurité. A Maurice, on ne l’a pas fait. Les hooligans ont pris le contrôle de tout.
Que regrettez-vous le plus ?
Azordi mo sagrin nou nepli capave bat Seychelles, Madagascar, Réunion. Maldives nou capav bate ? Sa aussi pas sûr ! En 1985 nou bat Mada 3-1, Seychelles 3-1 et nous amené 4-1 contre la Réunion mais match revine 4-4… Mari fatigué nou ti fatigué. Notre groupe était beaucoup plus difficile que celui de la Réunion, c’est pour ça. On était cuit en finale. On s’était dit : «Nou pousse tout bon heure.» Nous étions forts et sûrs de nous. On leur score quatre buts. Mais letan 4-4 nou gagne zouré avec bane fans ! (rires) Bane la pa ti conné qui quantité nou ti fatigué, qui quantité football noune zouer. Mais lors penalty, noune bien concentré.
Avec le petit Elvis Antoine, 19 ans, qui marque le but de la victoire…
Ah oui ! Sur quatre penalties, on marque les quatre. L’Enclume en stoppe deux. Je marque le dernier sans savoir que c’était le dernier tir… Le stade explose et tout le monde me saute dessus. On gagne la médaille d’or et le pays chavire. C’est dommage que les jeunes de maintenant n’aient pas connu cet âge d’or de notre football. Il aurait fallu garder des archives pour que les jeunes voient tout ça…
Quel est le plus grand joueur que Maurice ait eu ?
A l’époque, dans toutes les équipes de D1 il y avait des très bons joueurs. Aux Scouts il y avait Moosa, mais la Police, Cadets, Fire, chacun avait son meilleur joueur. C’est un peu difficile de vous dire qui était le meilleur joueur tellement il y avait de vedettes ! Danny Imbert et Ned Charles au Racing, Lagesse au Dodo Club, l’ensemble de la Fire, Rajesh Gunesh au Cadets… Quand le championnat commençait, on ne savait jamais qui va l’emporter tellement le niveau était élevé.
Quel est votre club préféré à l’étranger ?
Je ne suis pas fan d’une équipe en particulier. Je regarde City, Liverpool, United… Mais l’effectif de City est techniquement super, toutes les recrues ont été prises pour jouer pas pour s’asseoir sur le banc.
Et quel joueur vous appréciez le plus ?
Beaucoup de joueurs m’impressionnent. En Angleterre c’est De Bruyne. En France, je dirais Mbappe, il est extrêmement rapide. Mais mon préféré c’était Franco Baresi, du Milan AC. Si j’ai pu devenir un bon joueur c’est grâce à lui. Quel défenseur ! Il contrôlait sa défense et il avait une grande intelligence. Il m’a inspiré.
L'article publié dans Lékip du vendredi 14 juillet 2023
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