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Vente illégale: le notaire Roopun sur un terrain glissant
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Vente illégale: le notaire Roopun sur un terrain glissant
Un habitant de Triolet poursuit le notaire pour avoir effectué la vente de son terrain à son insu. Au moins deux plaintes ont aussi été déposées à la police depuis l’année dernière. Mais Soudesh Roopun ne semble pas avoir été inquiété. Tout comme pour ses précédentes affaires…
Suffit-il qu’un escroc utilise une fausse carte d’identité pour vendre un terrain qui ne lui appartient pas? C’est pourtant la défense du notaire Soudesh (Dharmaveersing) Roopun. Il se dit victime de deux courtiers. Dans une plainte rédigée le 31 octobre 2022 par l’avouée Yogina Yerriah, le propriétaire d’un terrain vendu à son insu par le notaire, un certain JC, explique qu’il a acquis ce terrain situé à Balaclava en 1997 et n’a encore pas décidé d’y construire. Il s’en occupait quand même en le faisant nettoyer de temps à autre. Cependant, à partir de 2020, il ne visite plus le terrain en raison du Covid et après la pandémie, il a perdu l’habitude de s’y rendre.
Le 16 juillet 2022, il reçoit un appel du voisin de Balaclava qui lui demande s’il a vendu le terrain. Réponse catégorique de JC : non. Son voisin l’informe que pourtant une personne est en train de nettoyer les lieux et lui a dit que le terrain a été vendu. JC se rend immédiatement sur place et constate le nettoyage. JC obtient le numéro de l’acquéreur et le contacte. Celui-ci, un certain KPK, habitant également Triolet, lui apprend qu’il est désormais propriétaire du terrain qu’il a payé en vertu d’un acte de vente dûment rédigé par le notaire Soudesh Roopun. Il n’est pas nécessaire de décrire la stupéfaction de JC.
JC se rend le même jour au poste de police de Terre-Rouge et y porte plainte (OB 3039/2022). Le 18 juillet, accompagné de son fidèle voisin, il rencontre le notaire à son étude, qui lui montre l’acte de vente. Toutefois, Roopun refuse de lui en remettre une copie, lui, le véritable proprio ! JC a cependant pu remarquer que l’acte de vente ne contient pas la photo des parties à la transaction.
Fausse carte d’identité, fausse facture du CEB
Le 20 juillet 2022, JC retourne au bureau de Soudesh Roopun qui accepte de ne lui remettre qu’une copie de la carte d’identité, d’une facture d’électricité et de l’acte de naissance du prétendu vendeur qui aurait – JC en est convaincu à cet instant – usurpé son identité. La photo n’est, bien évidemment, pas celle de JC. Quant à l’acte de naissance, c’est celui de JC, qui y voit d’ailleurs tous les détails y compris le nom de son regretté père.
Et la facture d’électricité ? JC note que l’adresse de l’usurpateur est le 14, rue Gladstone, Rose-Hill. Il s’y rend séance tenante. Et constate à son grand étonnement que c’est l’adresse d’un… temple. Il montre aux voisins du temple la photo du faux vendeur qui figure sur la carte d’identité mais personne ne reconnaît cette tête comme un habitant de l’endroit, et encore moins comme quelqu’un travaillant dans le temple. En comparant la facture du CEB remise par Roopun avec ses propres factures, JC découvre que c’est un faux document, la police de caractère (font) utilisée étant différente et les escrocs ayant mal additionné le montant dû. Le notaire Soudesh Roopun n’y a vu que du feu.
Le 21 juillet 2022, JC dépose une autre plainte au Central Criminal Investigations Department (CCID) où l’acquéreur KPK était également présent. Et JC se rend une deuxième fois au CCID durant la même semaine, mais sans l’acquéreur qui s’en est allé rencontrer le notaire Soudesh Roopun. JC a pu enfin obtenir une copie de l’acte de vente et apprend ainsi que la transaction a eu lieu les 11 mai et 15 juin 2022 à l’étude de Roopun, notaire.
La plainte de JC, dirigée contre l’acquéreur et le notaire Roopun, demande à la cour de déclarer la vente nulle et non avenue en citant l’article 1599 du Code civil (la vente de la chose d’autrui est nulle.) JC y déclare qu’il a déjà demandé à la cour le 27 juillet 2022 d’interdire toute vente du terrain qui pourrait tomber alors entre les mains d’un «acheteur de bonne foi». Mais l’acquéreur KPK n’est-il pas lui-même un acheteur de bonne foi ? avons-nous demandé à l’avocat de JC, Me Aroughen Aran. «C’est à la cour de juger», nous répondil. L’avocat et l’avouée ont déjà été payés par le pauvre JC pour Rs 150 000 ! Il leur doit encore Rs 50 000.
Entre-temps, le 6 octobre 2022, l’acquéreur KPK a déjà pris l’engagement devant un juge en référé de ne pas vendre le terrain ni de le mettre en garantie contre tout emprunt. La demande d’injonction faite par les légistes de JC ne tient donc plus. Une demande payée par JC pour rien?
Il y a une autre complication. L’acquisition du terrain par KPK a été financée par Rs 750 000 de ses propres économies et Rs 1,6 million par un emprunt auprès de la MauBank. Rs 2 350 000 donc en tout. JC affirme que depuis l’éclatement de cette affaire, le notaire Soudesh Roopun a tenté de le convaincre de trouver un arrangement à l’amiable et d’accepter un paiement de Rs 2,9 millions – Rs 2 350 000 plus un bonus de Rs 550 000 – venant de la poche du notaire. Celui-ci détiendrait toujours l’argent de la vente qui n’aurait pas encore été remis au faux vendeur. Arrangement à l’amiable ou tentative «to pervert the course of justice», délit cher à certains ? La ligne de démarcation entre les deux est très floue. En tout cas, JC refuse et veut qu’on lui rende son terrain.
Nous apprenons qu’en fait, lors de la rencontre entre KPK, JC et Roopun, celui-ci a d’emblée reconnu qu’effectivement il y avait un problème d’usurpation d’identité. Et que c’est le notaire qui a tenté de convaincre que la seule solution est de régler le problème par un accord mutuel. Mais pourquoi, lui a demandé KPK, l’argent est-il toujours en sa possession? Réponse du notaire : le vendeur lui aurait dit de ne pas le payer mais de payer d’autres personnes à qui le vendeur devait de l’argent. «Mais c’est contraire àla Notaries Act» lui a rétorqué KPK.
Contacté, Dharmaveersing Roopun se défend qu’il ne pouvait savoir si la carte d’identité était une fausse. Et que si arnaque il y a eu, cela viendrait des courtiers. Qui sont ces courtiers ? Il a promis de revenir vers nous avec ce renseignement depuis mardi. Toutefois, nous avons pu contacter l’un des deux courtiers, un certain Ashwin, qui nous a déclaré que la police l’a juste convoqué une fois mais qu’il a demandé et obtenu un renvoi de l’interrogatoire! Quant à son compère Salim, il ne répond pas à nos appels. Ce sont l’avoué Me Hunchun Gunesh et l’avocat Hitesh Gunesh qui défendent le notaire Roopun. Sollicité, l’avoué ne veut commenter.
Ce qui est encore plus troublant dans cette affaire, c’est qu’il y a eu une autre tentative d’arrangement à l’amiable venant des juristes mêmes de JC. Ce que réfutent ces derniers. On ne sait pas si c’est pour sauver le notaire ou pour trouver une solution en faveur de JC.
Comment se passera le procès ?
<p>Si la cour conclut à la mauvaise foi de l’acquéreur KPK, elle prononcera l’annulation de l’acte de vente et JC rentrera en possession de son terrain. KPK perdra alors ses Rs 2,3 millions. Que se passera-t-il si la cour conclut que JC et KPK sont tous deux des victimes ? La vente sera-t-elle annulée et KPK privé de terrain qu’il aura acquis de bonne foi ? C’est possible, nous dit un homme de loi. «<em>KPK pourra alors se retourner contre le faux vendeur.»</em> Un autre homme de loi est d’avis que si les deux parties sont de bonne foi, il voit mal la cour prononcer la nullité de la vente.</p>
<p>Mais même si KPK décide de poursuivre le faux vendeur et obtient gain de cause,<em> «il faudra encore que le faux vendeur ait les moyens de le rembourser»</em>. Or, il se pourrait que ce dernier ne soit jamais identifié. Selon nos informations, la personne figurant sur la carte d’identité trafiquée ne serait qu’un vendeur de légumes au marché de Port-Louis qui pourrait se révéler être sans le sou. Il ne semble pas avoir été interpellé par la police.</p>
<p>Dans ce cas, KPK pourrait se retourner contre le notaire Roopun pour négligence ou complicité. Le lourd passé du notaire ne l’aidera pas. Mais KPK devra attendre plusieurs années pour retrouver son argent. À moins que le notaire accepte un arrangement à l’amiable et rembourse à KPK ses Rs 2 350 000. Nous voulions recontacter le notaire pour lui demander pourquoi il détient toujours l’argent après plus d’un an, mais il a bloqué notre journaliste après la conversation de la veille.</p>
<p>Roopun aurait proposé de payer Rs 2,3 millions à JC qui refuse et qui d’ailleurs évalue son terrain à beaucoup plus – les terrains vendus frauduleusement le sont normalement à un prix réduit. Il aurait proposé d’ajouter un bonus au prix, et laissant KPK avec le terrain. Pourquoi n’a-t-il pas proposé de rembourser plutôt à KPK ses Rs 2,3 millions et annuler la vente ? Selon un homme de loi, un notaire ne peut annuler un acte de vente si l’acte a déjà été enregistré. «<em>Seule la cour peut prononcer l’annulation de la vente ou la nullité de la vente.»</em></p>
<p>Que faire alors ? <em>« Que le notaire prenne l’engagement dans l’affaire en cours devant le juge de faire une rétrocession du terrain à JC avec l’accord de KPK et que Roopun prenne un deuxième engagement de rembourser à KPK les Rs 2,3 millions et d’encourir tous les frais.»</em> Soudesh Roopun acceptera-t-il ? La MauBank acceptera-t-elle ? Et les hommes de loi, qui peuvent laisser traîner l’affaire pour percevoir le maximum d’honoraires ? «<em>Si le notaire accepte ces engagements, il devrait quelque part reconnaître au moins ses erreurs si ce n’est sa complicité…Roopun est pris au piège qu’il a lui-même construit.»</em></p>
<p>En attendant, KPK se retrouve dans une situation difficile : il doit rembourser son emprunt auprès de la MauBank mais ne peut construire sur le terrain devant ces incertitudes.</p>
<p>JC qui n’est pas riche – il n’a que ce terrain et vit en locataire à Triolet – se retrouve privé du bien, avec des milliers de roupies à payer à ses juristes et sans aucune lumière au bout du tunnel. Quant au notaire Soudesh Roopun, il exerce toujours et fait d’autres victimes. Comme Rose Blattes, la gréviste de la faim. Et il n’existe pas de fonds de l’État pour compenser les victimes de telles escroqueries.<strong> </strong></p>
<p><strong>Frère du président</strong></p>
<p>Pourquoi KPK a-t-il choisi Dharmaveersing Roopun comme notaire ? Réponse : c’est le courtier escroc qui le lui a référé et, lui, il ne pouvait <em>«mettre en doute l’intégrité du frère du président de la République»</em>. De plus, il paraît que la MauBank, qui a financé à hauteur de Rs 1,6 million l’achat du terrain, n’a pas objecté non plus à «travailler» avec ce notaire.</p>
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