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Énergies renouvelables: la longue traversée du désert
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Énergies renouvelables: la longue traversée du désert
Alors que l’objectif du gouvernement est d’atteindre 60 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2030, les chiffres de Statistics Mauritius renvoient à une toute autre réalité. La part d’énergies renouvelables était de 21,5 % en 2021... au même niveau qu’en 2011. Zoom sur ce qui est fait, sur ce qui n’as pas été un succès et comment faire pour y arriver ultérieurement.
Les récents chiffres de l’environnement publiés par Statistics Mauritius indiquent une baisse de la production d’électricité provenant des ressources renouvelables. De 21,5 % en 2021, elle est passée à 19,2 % en 2022. Ce n’est pas tout. Voilà que le promoteur Synnove Solar (Mauritius) One Ltd, qui gère deux fermes photovoltaïques, l’une à Petite-Retraite à Flacq et l’autre à L’Espérance à Quartier-Militaire, est passé sous administration en avril. Il y aurait eu un repreneur depuis. Le Budget 2022-2023 a annoncé plus d’une vingtaine de mesures concernant les énergies renouvelables et des véhicules plus écologiques. L’objectif du gouvernement est d’atteindre 60 % d’énergies renouvelables d’ici 2030. Sommes-nous sur la bonne voie pour le réaliser ? Quels sont les obstacles sur la route de la transition énergétique ?
«Quand nous analysons les chiffres de Statistics Mauritius sur la dernière décennie, nous constatons qu’en 2021, la part d’énergies renouvelables était de 21,5 %, soit exactement le même chiffre qu’en 2010 ! Pire encore, et toujours selon Statistics Mauritius, en 2022, ce chiffre a plongé à 19,2 %», remarque Fabrice David, député du Parti travailliste et également ingénieur en environnement. Il ajoute que : «Le coup de grâce a été porté par le ministre de l’Énergie lui-même lors de son discours au Parlement, le 5 juin 2023, quand il est venu affirmer qu’en 2022, la part d’énergie renouvelable était de 17,4 %, autrement dit une valeur encore plus désastreuse. En réalité, avec le régime en place, sur la question de la transition énergétique comme sur plusieurs autres sujets d’importance capitale, on avance à reculons, et je constate que la politique énergétique menée par le gouvernement du jour est devenue celle non pas des Mega-Watt mais bien celle des Nega-Watt !» Ce qui lui fait dire qu’à ce rythme, l’objectif des 60 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2030 ira aux oubliettes.
Pour le Dr Khalil Elahee, expert en environnement, il faut comprendre ce que représentent les 60 %. «Cela veut dire que si nous avons une croissance de la demande en électricité comme prévu et la mise en œuvre de la roadmap sans délai, il y aura 2487 GWh à partir des renouvelables pour un total de 4 135 GWh générés. Or, selon une réponse parlementaire en mai 2022, la demande aux heures de pointe considère un base-case scenario pour assurer un équilibre entre les besoins et la fourniture. Toutefois, nous observons une reprise économique et il faut s’attendre à une demande plus forte que le base scenario.» Il cite comme exemple la demande de pointe maximale en 2022, qui a été d’environ 500 MW. «C’est le high case, alors que le base case avait initialement prévu seulement 493 MW, voire 487 MW, d’après la feuille de route.»
Ainsi, selon l’expert en environnement, il faut miser sur une stricte maîtrise de la demande d’un côté, et une application sans délai de ladite feuille de route. De plus, il estime qu’il faut mettre en œuvre au plus vite la fusion entre la Mauritius Renewable Energy Agency (MARENA) et l’Energy Efficiency Management Office (EEMO) pour une synergie. «ll y a plus de 20 ans, j’avais proposé un Energy Management Office…»
La collusion qui existe généralement entre les producteurs d’électricité et les décideurs politiques est un fait connu dans le monde entier, et nous ne sommes pas épargnés.»
Dans son analyse de notre secteur énergétique actuel, l’ex-Global Strategist chez Greenpeace, Sunil Dowarkasing, estime que le pays régresse. Il avance plusieurs exemples pour le démontrer. Tout d’abord, en se basant sur des chiffres récents, il explique que Maurice a un taux d’accès à l’électricité relativement élevé, à 98,8 %, ce qui est très louable. Cependant, note-t-il, l’alimentation électrique locale reste fortement dépendante des combustibles fossiles importés, ce qui a un impact à la fois sur la facture des importations et sur le changement climatique. En effet, en 2022, 80,7 % de l’électricité locale était produite par des centrales thermiques utilisant des combustibles fossiles importés. Le fioul lourd (HFO) représentait 49,2 % du mix énergétique total et le charbon consommé par les Independent Power Producers (IPP) 31,5 %. Les énergies renouvelables ont contribué à 19,2 % de la consommation d’énergie. Ainsi, après une baisse due à la pandémie en 2019, la production d’électricité a augmenté de 4,2 %, passant de 2992, 1 GWh en 2021 à 3 119,2 GWh en 2022. En 2021, les sources non renouvelables représentaient 80,8 % de l’électricité produite et les sources renouvelables 19,2 %, comparé à 23,9 % en 2020.
L’autre point soulevé par le consultant en environnement concerne les scénarios énergétiques d’institutions de renommée internationale, qui ont montré que les énergies renouvelables peuvent répondre aux deux tiers de la demande énergétique mondiale totale et contribuer à la majorité des réductions d’émissions de gaz à effet de serre nécessaires d’ici 2050. Pour s’aligner sur l’objectif mondial, Maurice s’était fixé un objectif de 60 % d’énergies renouvelables d’ici 2030. «La feuille de route d’énergies renouvelables locale de 2030 trace la voie pour atteindre 35 % d’énergie renouvelable d’ici 2025. Nous sommes en 2023 et notre part d’énergie renouvelable a diminué de 23,9 % en 2020 à 19,2 % en 2021. Nous régressons, n’est-ce pas !» Le consultant en environnement s’interroge. «Comment le gouvernement va-t-il atteindre l’objectif de 35 % dans deux ans ?» Ce qui le pousse à dire que : «Entre la politique affichée par le gouvernement de génération plus propre et la mise en œuvre des mesures annoncées, il y a un énorme fossé à combler. Une transition énergétique ne peut pas être menée en imposant des mesures et en augmentant les tarifs de l’électricité comme le gouvernement l’a fait récemment. La transition énergétique réussit mieux lorsqu’elle est co-pilotée plutôt qu’imposée.»
Une autre question s’impose. Sunil Dowarkasing s’interroge sur l’importance de savoir quel type de production d’énergie renouvelable souhaite l’État. «Le gouvernement va-t-il favoriser les grands producteurs d’énergie renouvelable ou va-til opter pour des systèmes décentralisés qui donneraient aux gens les moyens de devenir de petits Independent Power Producers (IPP) ? C’est un choix politique que de nombreux pays ne parviennent pas à faire. Le gouvernement doit décider s’il veut démocratiser la production d’énergie ou s’il veut qu’elle reste entre les mains de quelques-uns. Ce n’est pas du tout clair.»
Notre interlocuteur explique que les combustibles fossiles entraînent non seulement des coûts constants, mais ils sont aussi néfastes pour l’environnement. Et qu’une chose est certaine : la majorité des ressources en combustibles fossiles s’épuisent aujourd’hui. «La sécurité énergétique est primordiale et doit provenir de sources locales dans la mesure du possible. Avec la tendance à la hausse de la consommation d’énergie ces dernières années, Maurice sera confrontée à des défis importants, mais elle devra planifier et gérer soigneusement sa consommation d’énergie.»
Quels sont les macadams sur cette route ? «Le plus grand obstacle à cette transition viendra du lobby du charbon et des IPP, qui useront de toute leur influence pour empêcher le déclin des énergies fossiles dans les années à venir», estime Sunil Dowarkasing. «La collusion qui existe généralement entre les producteurs d’électricité et les décideurs politiques est un fait connu dans le monde entier, et nous ne sommes pas épargnés.» Autres obstacles selon lui : le Central Electricity Board (CEB), qui fait face à de nombreux défis, tels que les pressions politiques, les politiques gouvernementales, l’influence des IPP et des infrastructures vieillissantes. «Le manque d’infrastructures adéquates est un obstacle au développement des énergies renouvelables. L’infrastructure actuelle est principalement conçue pour les combustibles fossiles et le charbon. Elle nécessite une réforme immédiate, car elle est incapable de gérer de grandes quantités d’énergies renouvelables. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un système de réseau décentralisé qui fournira plus d’espace et empêchera une panne complète en cas de dysfonctionnement. De plus, le CEB ne peut pas être à la fois producteur, distributeur et régulateur d’électricité.» Le consultant en environnement est d’avis que les principaux défis demeurent l’absence de politiques énergétiques appropriées et d’une vision pour un avenir plus vert, la pression de l’industrie du charbon et la nécessité de surmonter toute collusion, si elle existe.
De son côté, Fabrice David avance plusieurs points qui freinent la transition énergétique. Selon lui, il y a un manque de leadership à ce propos au niveau national. Ensuite, l’absence de cohérence et de synergie entre le ministère de l’Énergie, le CEB, la MARENA et l’EEMO. «D’ailleurs, les annexes du Budget 2023-2024 ont timidement annoncé la fusion de la MARENA et de l’EEMO sans donner de précisions.» Il parle également «d’une frilosité politique et technologique qui nous empêche de développer les énergies renouvelables marines alors que nous sommes un État océanique». Un autre obstacle est le manque de sensibilisation du grand public et la formation des professionnels dans le domaine des énergies vertes. Finalement, l’ingénieur en environnement estime que ce qu’il décrit comme une timidité dans le déploiement d’incitations financières et fiscales liées aux installations photovoltaïques est un autre obstacle à surmonter.
Khalil Elahee considère en outre que les tarifs du CEB ne sont pas attrayants pour des installations photovoltaïques. «Il faut le Net Metering au lieu du Gross Metering, comme c’est le cas en Inde et ailleurs, pour les installations de moins de 10 kW.» Une autre solution selon lui est d’encourager l’efficacité énergétique pour contrer les climatiseurs énergivores qui pourraient être utilisés en été. «Il faut craindre un pic record de la demande si nous avons une vague de chaleur l’été prochain.» Enfin, il met en avant la nécessité d’un Energy Management Building Code pour décourager l’utilisation du béton dans les bâtiments et promouvoir des designs bioclimatiques.
Des questions ont été envoyées au CEB pour un constant sur l’avancée des énergies renouvelables, jeudi. Les réponses sont attendues.
Le projet d’électricité à partir du bambou toujours en attente
Alors qu’on peine à atteindre l’objectif visé de la production de 60 % de l’électricité à partir de sources renouvelables en 2030, des projets tardent à être lancés. Comme celui de Sen Carooppunnen, gérant pour l’océan Indien et l’Océanie de Zeta. Son projet de produire de l’électricité en utilisant le bambou permettra Maurice de créer une économie circulaire en éliminant le site d’enfouissement, en créant un nouveau pilier dans la biomasse et en donnant accès à un produit qui bénéficiera aux agriculteurs.
Après avoir conclu un accord avec l’établissement sucrier de Rose-Belle, le projet bambou est le seul non-intermittent qui produira de l’énergie pendant 8 000 heures par an, soit l’équivalent en nombre d’heures de la production d’un Independent Power Producer (IPP) existant. Sen Carooppunnen estime que le projet apportera un plus à l’objectif du gouvernement d’accélérer le processus de remplacer le charbon par une autre source énergétique non-intermittente, fiable et durable.
En 2016, le promoteur a obtenu un permis du National Plant Protection Office de Maurice pour la culture du bambou. Mais avec le National Biomass Framework mis sur pied en juin dernier, la compagnie a dû soumettre une nouvelle demande. Ce qui explique le retard.
C’est du métal qu’on plante dans la terre pour produire 1 600 heures l’an. Alors que la demande énergétique est de 8 000 heures l’an moi aussi, j’ai commencé avec les panneaux solaires, mais il faut qu’on comprenne que Maurice est une île et non pas un continent.»
Le bambou à partir duquel l’électricité pourrait être produite est une espèce résistant aux maladies et non-invasive. Il peut être récolté après trois ans, mais le promoteur est d’avis qu’avec la terre fertile dans certaines régions de l’île, cela peut prendre moins de temps. Le bambou génétiquement modifié est considéré comme un excellent absorbeur de dioxyde de carbone. À savoir que ce bambou est éligible pour être bénéficiaire du «carbon footprint» auprès de la Banque mondiale et d’autres instances internationales.
Le promoteur soutient que pour développer la biomasse à Maurice, cela nécessitera un investissement de 475 millions d’euros, soit quelque Rs 20 milliards. Donc, sa société a déjà structuré l’aspect financier. Un investissement initial massif mais soutenable qui permettra à Maurice de stabiliser le coût de production énergétique.
Sen Carooppunnen trouve dommage que les autorités se fient trop au photovoltaïque ou aux énergies intermittentes, car selon lui, cela a une limite. «C’est du métal qu’on plante dans la terre pour produire 1 600 heures l’an. Alors que la demande énergétique est de 8 000 heures l’an. Moi aussi, j’ai commencé avec les panneaux solaires, mais il faut qu’on comprenne que Maurice est une île et non pas un continent. We do not have the luxury of land, car le gouvernement œuvre pour une sécurité alimentaire et une sécurité énergétique.»
Le promoteur soutient que le lancement du projet permettra au gouvernement d’économiser jusqu’à Rs 6 milliards annuellement. La société développe déjà cette économie circulaire en Australie, aux Philippines, en Inde, en France et récemment un projet de reboisement 60 000 arpents en Malaisie.
Un expert reconnu dans plusieurs pays
Reconnu pour son expertise internationale, Sen Carooppunnen (photo) a travaillé pour plusieurs États, notamment l’Australie, la France, la Malaisie, l’Afrique, le Moyen-Orient dans le domaine financier et de l’énergie. Il aussi collaboré avec l’Union européenne et le Commonwealth.
En 2015, il décide de développer ses sociétés en France, en Australie et en Angleterre afin de promouvoir et de développer son brevet dans le domaine énergétique. Après huit années de recherche et de développement, ses sociétés ont investi quelque 4 millions d’euros dans le domaine énergétique, notamment dans la production de biomasse, matière première dédiée à garantir une fourniture constante pour la production énergétique. À ce jour, ses sociétés gèrent trois centrales électriques, équivalant à une capacité de production de 87 Megawatt, uniquement avec la biomasse.
Osman Mahomed: «Nous reculons»
Osman Mahomed, porte-parole du Parti travailliste (PTr) sur l’énergie renouvelable, est catégorique : «Le pays ne progresse guère en matière d’énergie renouvelable, au contraire, il recule.» Chiffres du Central Electricity Board (CEB) à l’appui, il démontre que l’énergie renouvelable générée en 2022 était de 17,35 %. Il se demande comment l’objectif de 60 % sera atteint en 2030.
Citant une décision du Conseil des ministres datant du 2 août 2013, il a indiqué que sous la politique de Maurice île Durable, la contribution de l’énergie renouvelable à partir de l’eau, de la bagasse, du vent et du photovoltaïque, entre autres, était de 23,4 %. «Que voyons-nous aujourd’hui ? Elle a été réduite par plus de 6 %.» Il souligne que le gouvernement n’est pas sérieux. «Le ministre de l’Énergie, Joe Lesjongard, ne prononce que de beaux discours, mais comme je l’ai souligné plus haut, nous n’avançons pas mais nous reculons.»
La parlementaire du PTr soutient que le Premier ministre avait pris l’engagement, lors du World Leaders Summit, le 1ᵉʳ décembre 2021, à Glascow, Écosse, que Maurice réduirait ses émissions de gaz par 40 % et que l’apport de l’énergie verte serait de 60 % en 2030. «À moins de sept ans et demi, j’ai des doutes qu’on atteindra ces objectifs. N’oublions pas que Maurice avait fait une demande de Rs 280 milliards auprès des agences de financement. Vous pensez qu’on obtiendra ces fonds avec la façon dont nous traitons ce sujet ?»
Osman Mahomed, qui avait été recruté par le Board of Investment (BoI) en 2009 et qui a ensuite été nommé président du comité Maurice île Durable, organisme tombant sous la tutelle du bureau du Premier ministre, puis au sein de la Mauritius Renewable Energy Agency (MARENA), a décidé de ne plus siéger au sein de cette institution, en raison de la présence de Rajanah Dhaliah. Il estime qu’à cause des allégations contre le secrétaire parlementaire privé, il ne peut s’asseoir à côté de lui.
De plus, le député soutient qu’aujourd’hui, MARENA, qui avait été dirigée par des personnes compétentes, a comme Chief Executive Officer un nominé politique. «Heureusement que j’étais absent lors d’une réunion spéciale pour sa nomination.» Il souligne également que l’Energy Efficiency Management Office ne fonctionne pas comme il faut. Il cite des compagnies qui attendent depuis longtemps que leur Energy Audit soit approuvé. «De quelle efficacité parle-t-on ?»
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