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Aadil Ameer Meea, député MMM de Port-louis-Maritime/Port-Louis-Est (n°3) : « Je suis conservateur, et alors… »

23 septembre 2012, 10:12

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Le VRP de la nouvelle formule Bérenger, c’est lui. Le client idéal pour une explication de texte. L’occasion de constater aussi que le « puceau » politique de 2010 a fait du chemin. Il le dit luimême : « Je prends mon pied ». Ses adversaires, eux, prennent des tartes. Interview kick-boxing.

Alors, sympa ce nouveau job de salesman ?

Salesman ?

N’êtes-vous pas chargé de « vendre » à l’électorat musulman la nouvelle proposition du MMM sur la réforme électorale ?

Effectivement. Je suis un député musulman, un élu de la circonscription n°3, j’ai une responsabilité sur ce dossier et je l’assume. J’ai passé une bonne partie de la semaine avec des leaders d’opinion de ma communauté.

Qui, par exemple ?

Des maulanas, des intellectuels, des journalistes, d’anciens parlementaires et des gens de ma régionale.

Et alors, êtes-vous un bon vendeur ?

C’est difficile. Il y a une résistance de la communauté musulmane sur l’élimination du Best Loser System (BLS).

Votre dernière formule ne convainc pas ?

Pas encore. Je sens une inquiétude. Il va falloir expliquer, rassurer, se donner du temps.

Votre job, c’est de convaincre tout ce beau monde ?

J’aurais aimé me convaincre moi-même avant…

Parce que vous ne l’êtes pas !?

Moi, je peux vivre avec le BLS, ça ne me dérange pas. Mais le jugement des Nations unies nous met dos au mur, d’où cette nouvelle formule. Elle présente un double avantage. D’un côté, on conserve l’objectif du BLS, c’est-à-dire la possibilité d’un rééquilibrage communal, et l’on rassure ainsi les musulmans. De l’autre, on supprime la déclaration d’appartenance ethnique.

Entrons dans le détail. Le MMM, mercredi, a proposé d’élire nos représentants au Parlement selon la formule « 62 + 20 + 8 ».

C’est ça. 62 députés au First Past The Post, 20 à la proportionnelle et 8 désignés par les partis, en fonction de leurs scores respectifs.

Par exemple, aux élections de 2000, le MMM a recueilli 44% des suffrages et l’Alliance de l’avenir 49%.

Une règle de trois donne 3,52 députés au MMM et 3,92 députés au PTr. Vu que l’on ne tient pas compte des décimales, Paul Bérenger et Navin Ramgoolam désignent 4 députés chacun.

Vous ne vous fichez pas un peu du monde ?

Pourquoi ?

Vous supprimez les huit Best Losers désignés par la commission électorale…

Exactement…

Et vous les remplacez par huit Best Losers désignés par les leaders.

La différence, c’est qu’officiellement, il n’y a plus de Best Losers ! Le terme disparaît des textes, et la déclaration d’appartenance ethnique avec. Elle est là, l’idée de génie. Les « meilleurs perdants », c’est fi ni.

Les partis ne sont pas tenus d’attribuer ces huit sièges en fonction du score des candidats.

Où comment les génies du MMM inventent le MBLS : le Mari Best Loser System.

Pourquoi dites-vous cela ?

Parce que le système actuel a au moins le mérite de tenir compte du résultat du vote. Avec votre formule, l’ethnicité reste le seul critère.

Encore une fois, l’avantage c’est qu’il n’y a plus aucune référence ethnique dans les textes.

Et dans les faits ?

Dans les faits, les leaders pourront rectifier le tir si une communauté est sous-représentée.

On désinstitutionnalise le BLS, et l’on règle ainsi nos problèmes avec les Nations unies et avec truc machin (sic) Resistans ek Alternativ.

Remplacer un BLS officiel par un BLS officieux, c’est donc l’idée ?

Exactement. L’élimination pure et simple du BLS me gêne. On se trompe de cible en voulant s’en débarrasser.

Le BLS n’est pas le poison mais le remède. Le poison, c’est le communalisme.

En 1948, cinq candidats musulmans, aucun élu.

En 1953, cinq candidats musulmans, un seul élu. D’où la création des Best Losers.

Ils n’engendrent pas le communalisme, ils atténuent ses effets.

Nous ne sommes plus en 1953, personne ne vous a prévenu ?

Les choses ont-elles vraiment évolué ? Est-ce que les minorités ont les mêmes chances que les autres ? Evidemment, non. Le jour où le représentant d’une minorité pourra devenir Premier ministre, commissaire de police ou gouverneur de la banque centrale, alors nous pourrons supprimer sans crainte les Best Losers. Les idéaux, il en faut, mais la réalité du pays me fait dire que nous avons encore besoin de donner des garanties aux minorités.

Or ces garanties-là, avec notre nouvelle formule, sont transférées de la commission électorale aux chefs de parti.

Qu’est-ce qui vous garantit qu’ils joueront le jeu ?

Rien, mais ils ont tout intérêt à le faire, sans quoi ils le paieront cash aux élections suivantes.

Les huit sièges, qui peut postuler ?

A priori, tout le monde.

Aussi bien des candidats battus que des non-candidats.

On pourrait donc entrer au Parlement sans passer par les urnes ?

A ce moment-là, il faudrait amender la Constitution.

Mais nous n’en avons pas encore discuté, je ne voudrais pas trop m’avancer. Notre formule n’est pas définitive, elle peut être améliorée.

Trois modes de désignation des députés, n’est-ce pas beaucoup ?

Si cela peut régler nos problèmes, ce ne sera pas la mer à boire.

Vous imaginez la pression sur les leaders au moment de désigner les huit heureux « élus » ?

Effectivement, ce sera compliqué à gérer. C’est peut-être le point faible de cette formule, mais je n’en connais pas de parfaite.

Passons à autre chose. Vous êtes le plus jeune député du Parlement []Il a 35 ans, ndlr], mais aussi l’un des plus conservateurs. Vous assumez ?

Je viens d’une famille musulmane conservatrice. J’ai des règles, des principes, des valeurs. Si c’est cela être conservateur, alors oui, je le suis. Et alors ?

Un Shakeel Mohamed, par exemple, est plus ouvert que vous sur la question du BLS. A-t-il moins de principes ?

Ce qui est certain, c’est qu’il est plus hypocrite ! Je le revois encore à Plaine- Verte pendant la campagne de 2010, son bonnet rouge sur la tête : « Mo ena disan sir Abdul Razack Mohamed dan mo lekor. I’m a muslim ! » S’il avait dit à l’époque qu’il était favorable à l’élimination du BLS, vous croyez qu’il aurait été élu ? Hier, il était musulman. Aujourd’hui, pour faire plaisir à Navin Ramgoolam, il est Mauricien.

Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis…

Pas sur les fondamentaux. Shakeel Mohamed a trompé son monde. Je le mets au défi d’être à nouveau candidat dans la n°3. Venez faire un tour à Plaine-Verte, vous verrez… Shakeel Mohamed a une peur bleue de prendre une rouste. Et qu’il n’essaie pas de fuir dans la n°13 []]Souillac/Rivière-des-Anguilles] ou la n°15 []]La Caverne/ Phoenix], comme j’entends dire ici ou là. Moi, j’ai la conscience claire, je suis constant, je tiens le même langage qu’en 2010.

S’il y a des élections demain, je suis sûr d’être élu.

Mais c’est qu’il a pris confiance en lui, le p’tit Aadil…

Le p’tit Aadil, pour votre information, a été élu en tête de liste. Et depuis, il n’a couillonné personne et il a été disponible sur le terrain. Alors oui, le p’tit Aadil n’a rien à craindre et il faudra compter de plus en plus sur lui. Ce n’est pas de la prétention, juste de l’envie.

L’envie d’être le numéro 3 du MMM ?

Pourquoi numéro 3 ?

Parce que les deux premières places sont prises.

Chaque chose en son temps.

Qu’est-ce que Reza Uteem a de plus que vous ?

Il était là avant moi. C’est lui le numéro 3 et cela ne me gêne pas. J’apprends.

Quelle qualité lui enviez-vous ?

Aucune.

Admettons que Navin Ramgoolam et Paul Bérenger s’entendent sur la réforme électorale. Le MMM fait quoi du MSM ?

… (Il boit son verre d’eau cul sec)

Le « remake » est-il soluble dans la réforme électorale ?

(Rires) Pas du tout. Ce sont deux choses bien distinctes. Je ne vois pas d’incompatibilité.

Le MSM a dit maintes fois qu’il ne voulait pas toucher au système actuel…

C’est vrai, mais ils commencent à s’assouplir. Certes, nous sommes passés par des moments difficiles, il y a eu des maladresses, des incompréhensions, mais tout a été clarifié et le « remake » est « on ».

Vous voulez le beurre et l’argent du beurre ?

Et Ramgoolam veut, en plus, la fermière ! Il souhaite l’élimination du BLS, vingt sièges à la proportionnelle: c’est lui, le gourmand !

Et vous, êtes-vous gourmand ? Ces deux années semblent avoir fait naître de l’ambition…

J’avoue que je prends mon pied. De l’ambition, j’en avais déjà avant. Je ne suis pas entré en politique pour faire de la figuration mais pour jouer les premiers rôles.

Puisque vous avez l’air branché ciné, vous en pensez quoi de L’Innocence des musulmans ?

Je ne l’ai pas vu.

Un tel chaos pour un tel navet, est-ce bien raisonnable ?

La colère est à la hauteur de notre amour pour le prophète.

On ne plaisante pas avec ça. Une douzaine de pays ont bloqué le fi lm sur YouTube, Maurice devrait en faire autant.

Pour sanctionner les auteurs de blasphèmes, les tribunaux ne sont-ils pas plus légitimes que les lance-roquettes ?

Dans une démocratie comme Maurice, oui. Mais il y a des pays qui ne comprennent pas le langage de la démocratie, alors les gens s’expriment avec des armes.

Sans lien, l’autre député de votre circonscription, Cehl Meeah, a promis de mouiller sa chemise pour les recalés du Hadj. Et vous, que comptez-vous faire?

(Il fulmine) Cehl Meeah, je ne le prends pas au sérieux.

Le nombre de conneries qu’il peut dire, c’est effrayant. Si vous avez dix heures devant vous, je peux vous citer des tonnes de promesses non tenues. Ils sont où les milliards qu’il devait faire venir des pays du Golfe ? Il a peut-être touché un héritage qu’il a dilapidé depuis. Sait-il, au moins, combien il y a de zéros dans un milliard ?

Vous faites le malin parce que vous êtes comptable ?

(Passablement agacé) Cehl Meeah est un rigolo. Il est ridicule, folklorique. Au Parlement, quand il se lève, j’ai honte. « Envoyez-moi au Parlement, vous verrez, je me battrai pour ma communauté. » La vérité, c’est qu’il n’a rien fait. Sa performance à l’Assemblée est médiocre, et encore, je suis gentil. Je suis allé me documenter, j’ai les preuves de ce que j’avance.

Cehl Meeah est le député qui a posé le moins de questions. Pas une fois, en deux ans et demi, il n’a soulevé un problème lié à la circonscription.

Il paraît qu’il est plus à l’aise à l’hôtel. Ses talents, un député doit les exercer au Parlement, pas dans une chambre d’hôtel.

Vous êtes amer parce qu’il vous pique le job, pas vrai ?

Quel job ?

Le calife de Plaine- Verte, c’est lui, pas vous…

Un calife de pacotille ! Il n’a rien fait de ce qu’il avait dit. Moi, je peux présenter un bilan.

Aadil, roi de Plaine- Verte, ça vous fait rêver ?

Pour l’instant, prince me convient bien. Cehl Meeah était candidat aux élections de 1991, il est là depuis 20 ans ! Moi, je suis entré en politique en 2010 et j’ai été élu la même année. Lui, un calife ? A la Iznogoud, alors.

Outre le fait de montrer vos muscles, qu’avez vous appris en deux ans ?

J’ai appris que tout est une question de rapport de force en politique. Y compris au sein de son propre parti.

Là, vous en dites trop ou pas assez.

Peut-être trop…

Entretien réalisé par Fabrice Acquilina